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Correspondance de Gustave Flaubert/Tome 8-9/1979

La bibliothèque libre.
Louis Conard (Volume 9p. 19-20).

1979. À GUY DE MAUPASSANT.
Croisset [avril 1880].
Mon cher Ami,

J’ai reçu la lettre de Baudry, qui ne répond à aucune de mes questions. (J’en suis à me demander si je suis fou.) Mais en revanche, il me donne des conseils sur l’art d’écrire : « Pourquoi vous engagez-vous dans la botanique, que vous ne savez pas ? Vous vous exposez à une foule d’erreurs qui n’en seront pas moins drôles pour être involontaires. Il n’y a de bon comique dans cet ordre d’idées que celui qui est prémédité ; celui que l’auteur a fait malgré lui est tout de même comique, mais autrement ! etc. »

Savoure la finesse de ces railleries. Est-ce assez attique ?

Et il me reproche de ranger les tubéreuses dans les liliacées, quand je me suis exténué à lui dire que Jean-Jacques Rousseau les classe ainsi ; et il m’apprend que dans « les roses, l’ovaire est caché au-dessous des pétales », ce qui est la phrase même de la lettre que je lui envoie.

J’ai répondu que je lui demandais pardon, tout en réclamant un peu d’indulgence. N’importe ! Me croire a priori incapable de donner un renseignement fourni par d’autres, et 2o me juger assez charlatan pour faire rire à mes dépens, c’est vif. Creuse le fait, il me paraît gros de psychologie et j’en reviens à mon dada : « La haine de la littérature ». Vous avez lu 1 500 volumes pour en écrire un. ça n’y fait rien ! Du moment que vous savez écrire, vous n’êtes pas sérieux et vos amis vous traitent comme un gamin. Je ne cache pas que je la trouve « mauvaise ».

J’en viendrai à bout tout seul ! dussé-je passer dix ans là-dessus, car j’en suis enragé. Mais tâche par tes relations professorales de me dénicher un botaniste ; ça m’épargnerait bien du temps.

Je t’embrasse.

Ton vieux,
dans un état d’exaspération impossible à décrire.