Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 006
6.
LAGRANGE À D’ALEMBERT.
Mon cher et respectable ami, j’ai passé par Genève comme je me l’étais proposé, et, à la faveur de votre recommandation, j’ai eu l’honneur de dîner chez M. de Voltaire[1], qui m’a fait un très-gracieux accueil. Il était ce jour-là en humeur de rire, et ses plaisanteries tombaient toujours, comme de coutume, sur la religion, ce qui amusa beaucoup toute la compagnie. C’est, en vérité, un original qui mérite d’être vu.
J’ai été assez bien reçu ici du Roi[2] et des ministres ; on m’a donné de belles espérances, mais je n’y fais pas grand fond. Vos Lettres ont fait beaucoup d’impression à la cour et à la ville ; tout le monde en est encore rempli, et je puis bien vous assurer que vous êtes aussi connu ici qu’ailleurs. On ne cesse de me questionner sur votre sujet ; on est fort empressé surtout de savoir si vous viendrez en Italie quelque jour ; on brûle de vous connaître personnellement.
Je n’ai pas encore repris mon assiette ordinaire ; j’ai pourtant déjà barbouillé quelques pages sur les cordes vibrantes ; si je trouve quelque chose qui ne me paraisse pas indigne d’être soumis à votre jugement, j’aurai l’honneur de vous en faire part. Je vous entretiendrai aussi, si vous me le permettez, de quelques idées qui me sont venues touchant les autres matières dont nous avons causé à Paris.
Adieu, mon cher Monsieur, portez-vous bien et conservez-moi votre précieuse amitié, que je regarde comme le principal avantage que mon voyage de France m’ait procuré. Je vous aime, autant que je vous estime, et c’est dans ces sentiments que je serai toujours,
P.-S. — Je suis impatient de voir votre Ouvrage sur l’Optique.