Correspondance de Lagrange avec d’Alembert/Lettre 074

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Texte établi par Ludovic LalanneGauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIIIp. 159-161).

74.

D’ALEMBERT À LAGRANGE.

À Paris, ce 27 décembre 1769.

M. le baron de Goltz[1] veut bien se charger, mon cher et illustre ami, de vous remettre ce paquet. Vous y trouverez :

1o Un carton d’une feuille volante pour un endroit de mon troisième Mémoire sur les lunettes achromatiques : c’est le dernier Mémoire que vous avez reçu. Le carton a pour objet une faute de calcul que j’ai corrigée. L’erreur était peu importante, mais il vaut mieux être exact, quoique le philosophe de Lalande ait dit, dans la Préface de son Astronomie, que l’exactitude était le sublinte des sots[2] ; heureuse application d’un trait qui n’est pas de lui.

2o Vous trouverez les Mémoires de MM. Fontaine et de Borda[3]. Vous y verrez que ce dernier vous traite avec beaucoup d’honnêteté ; il n’en est pas tout à fait de même de l’autre, que je vous exhorte fort à ne pas ménager sur la théorie des équations. Quant à l’affaire des isopérimètres, je ne l’ai pas assez examinée pour savoir si ces messieurs ont raison contre vous, d’autant plus que depuis quinze jours j’ai des insomnies et des maux de tête abominables. Ah ! mon cher ami, ménagez-vous et ne soyez pas vieux, comme moi, à cinquante ans.

3o Vous trouverez enfin deux pièces sur la théorie de la Lune[4], que le P. Frisi m’a chargé, il y a déjà quelque temps, de vous envoyer. Je ne me suis pas pressé, parce que ces deux pièces, comme vous le verrez, sont peu de chose.

4o Vous trouverez enfin (et c’est même le second article, que j’avais oublié) l’énoncé de différents théorèmes sur le Calcul intégral que j’ai lus l’été dernier à l’Académie[5], ne voulant pas être prévenu par le second Volume du Calcul intégral d’Euler, qui ne paraissait pas encore. J’ai réservé pour le Volume de 1769 les démonstrations de ces théorèmes, qui ne sont pas fort difficiles à trouver, avec plusieurs autres corollaires. Quelques-uns de ces théorèmes sont assez généraux, et la plupart peuvent souvent être utiles.

On imprime actuellement le Volume de 1768, où il y aura deux Mémoires de moi sur la libration de la Lune[6]. Je vous les enverrai dès qu’ils seront imprimés, mais ce ne sera guère que dans deux ou trois mois au plus tôt.

Vous avez dû recevoir un paquet dans lequel il y avait un assez long Mémoire sur les lunettes achromatiques, à l’occasion de celui de M. Beguelin. Si ma pauvre tête me le permet, je pourrai vous envoyer dans quelque temps d’autres broutilles, car je ne suis guère en état de suivre un long travail, et je ne fais guère que voltiger d’un objet à l’autre pour ne me point trop fatiguer ; encore suis-je sujet à en perdre le sommeil, pour peu que l’objet demande quelque application. Comme je suis, Dieu merci, délivré du directorat de l’Académie, qui a exigé de moi plus de travail, je vais me ménager le plus que je pourrai l’année prochaine. Peut-être, en unissant le régime du travail au régime du manger et du reste, je pourrai faire encore quelque petite chose en Géométrie. Adieu, mon cher ami vous qui êtes destiné pour les grandes, ayez bien soin de votre santé, car, en vérité, il n’y a que ce bien de réel au monde. Je vous embrasse de tout mon cœur. Mille compliments à MM. Bitaubé, Lambert, Thiébault, Beguelin, et à tous ceux qui veulent bien se souvenir de moi.

N. B. — Je n’ai point encore reçu votre paquet de Briasson il faut que le diable l’ait emporté.


  1. Le baron Bernard-Guillaume de Goltz, né vers 1730, mort le 6 février 1795. Il fut ministre plénipotentiaire de la Prusse, en France, de 1772 à 1792.
  2. Voici la phrase de Lalande « J’écris pour mon amusement, et j’y renoncerais si j’étais obligé de mettre dans mes écrits cette rigoureuse exactitude si ennuyante pour un auteur et qui fait souvent, dit-on, tout le sublime des sots. » (Astronomie, 1764, 2 vol in-4o, t. I, Préface, page xv.)
  3. Addition à la méthode pour la solution des problèmes de maximis et minimis ; p. 588 du Volume de l’année 1767 de l’Académie des Sciences. Il y parle ainsi du Mémoire de Lagrange :

    « Je me mis à examiner le Mémoire de M. de la Grange ; je trouvai qu’il s’était égaré dans la route nouvelle qu’il avait prise pour n’en avoir pas connu la vraie théorie, »

    Borda, dans son Mémoire qui traite du même sujet, dit de son côté (voir plus haut, p. 158, note 1) « La méthode (de M. Euler) n’ayant pas paru assez simple à M. de la Grange, cet auteur, qui s’était déjà fait en Géométrie une réputation aussi brillante que rapide, etc. » (p. 551.)

  4. Voir plus haut, p. 152, note 2.
  5. On trouve (p. 573-587) dans le Volume des Mémoires de l’Académie de 1767 (publié en 1770) des Recherches sur le Calcul intégral qui ne contiennent que l’énoncé de quarante-neuf théorèmes dont les démonstrations furent lues par d’Alembert à l’Académie en juillet 1769 et figurent (p. 73-146) dans le Volume de cette même année (publié en 1772).
  6. Ils sont intitulés : Recherches sur les mouvements de l’axe d’une planète quelconque dans l’hypothèse de la dissimilitude des méridiens (p. 1-53 et p. 332-384).