Correspondance de Victor Hugo/1825

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(tome 1p. 397-431).
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1825.


Au général Hugo.


19 février [1825].

J’ajoute un mot, cher papa, à la lettre de notre Adèle ; je voudrais pouvoir ajouter quelque chose à l’expression de sa tendresse pour toi et ta femme ; mais je ne saurais exprimer mieux qu’elle ce qu’elle sent aussi bien que moi.

Je voulais, comme elle te le dit, t’envoyer le portrait de ta Léopoldine dans ma plus prochaine lettre ; mais mon désir de te le donner ressemblant me l’ayant déjà fait deux ou trois fois recommencer, je ne veux pas tarder plus longtemps à solliciter de tes nouvelles pour nous, pour Abel et pour la famille Foucher.

Rabbe[1], qui est venu hier dîner avec nous, m’a parlé de toi avec le plus tendre et le plus respectueux attachement ; c’est un bon et noble ami.

Louis nous a envoyé ces jours-ci un superbe panier de gibier que nous avons mangé en famille, avec le vif regret de ne pas vous le voir partager.

Adieu, bien cher et bien excellent père ; je m’occupe en ce moment de ramasser de la besogne pour notre séjour à Blois, qui nous promet tant de bonheur.

Notre Didine est charmante. Elle ressemble à sa mère, elle ressemble à son grand-père. Embrasse pour elle sa bonne marraine.

Ton fils tendre et respectueux,
V. H.

Où en est ta demande près du ministre ? Veux-tu que je m’en informe ? As-tu vu que des exceptions ont été faites[2] ?

Au général Hugo.


Ce 17 février [1825].
Mon cher papa,

Tu as vu que nos lettres se sont croisées ; je désire que notre lettre t’ait fait autant de plaisir que la tienne nous en a fait ; elle ne pouvait nous apporter de plus agréable nouvelle que celle de votre prochaine arrivée, et j’espère presque, en t’écrivant celle-ci, qu’elle ne te trouvera pas à Blois.

Tu ne saurais croire quelle fête nous nous faisons de vous présenter notre Léopoldine, toujours petite, mais toujours bien portante et si gentille !… elle vous aimera tous deux comme nous l’aimons : nous ne saurions dire davantage.

Nous nous applaudissons presque d’avoir été une partie du mois sans nouvelles de toi, puisque tu as été malade ; nous aurions eu des inquiétudes ; maintenant nous n’avons que le plaisir de te savoir rétabli.

Adieu, bon et cher papa, je ne t’en écris pas plus long, puisque nous pourrons bientôt communiquer de vive voix. Quelles que soient les affaires qui t’amènent, tu sais que tu peux compter en tout et pour tout sur notre dévoûment comme sur notre tendre et respectueux attachement.

Embrasse pour nous la bonne marraine de ta Léopoldine.

Victor[3].


À Monsieur J.-B. Soulié[4]
hôtel de Hollande, rue Neuve-des-Bons-Enfants, à Paris.


Blois, 27 avril 1825, matin.

Savez-vous, mon bon Soulié, que les grâces royales pleuvent sur moi, au moment où je viens à Blois me faire hermite[5] ? Le roi me nomme chevalier de la légion d’honneur, et me fait l’insigne honneur de m’inviter à son sacre. Vous allez vous réjouir, vous qui m’aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous fera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Il y a entre nous une telle fraternité de sentiments et d’opinions, qu’il me semble que ma croix est la vôtre, comme la vôtre serait la mienne. Ce qui accroît beaucoup le prix de cette croix à mes yeux, c’est que je l’obtiens avec Lamartine, par ordonnance spéciale qui ne nomme que nous deux, attendu, a dit le roi, qu’il s’agit de réparer une omission. Ces deux décorations ne comptent pas dans le nombre donné au sacre.

Ce qui ajoute aussi un grand charme à mon voyage de Reims, c’est l’espérance de le faire avec notre Charles Nodier[6], auquel j’ai écrit hier, pour qu’il s’arrange de manière à m’avoir pour compagnon. Je dois ajouter à tout ceci que M. de La Rochefoucauld a été charmant, dans cette circonstance, pour Lamartine et moi. Il est impossible de s’effacer plus complètement pour laisser au roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grâce et de délicatesse dans ses rapports avec nous. C’est à lui que nous devons nos croix, et c’est lui qui nous remercie. Je dois cette justice haute et entière à un homme qui ne l’obtient pas toujours.

Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espérance pour apporter quelque adoucissement au chagrin de quitter mon Adèle pour la première fois. Dites tout cela à ceux de nos bons amis auxquels je n’aurai pas le temps d’écrire.

Votre canif est beau et excellent ; votre dessin est d’une bizarrerie charmante. Mille fois merci, et merci surtout de votre franche et tendre amitié.

Personne ne vous aime plus que moi.

Victor[7].


À Monsieur le comte Alfred de Vigny,
rue Richepanse, Paris.
Blois, 28 avril 1825.

Il ne faut pas, cher Alfred, que vous appreniez d’un autre que moi les faveurs inattendues qui sont venues me chercher dans la retraite de mon père. Le Roi me donne la croix et m’invite à son sacre. Réjouissez-vous, vous qui m’aimez, de cette nouvelle ; car je repasserai à Paris en allant à Reims, et je vous embrasserai.

Je compte faire le voyage avec notre Nodier auquel je viens d’écrire. Vous nous manquerez !

Tous les honneurs, du reste, portent leur épine avec eux. Ce voyage me force de quitter pour quinze éternels jours cette Adèle que j’aime comme vous aimez votre Lydia, et il me semble que cette première séparation va me couper en deux. Vous me plaindrez, mon ami, car vous aimez comme moi.

Je suis ici, en attendant mon nouveau départ, dans la plus délicieuse ville qu’on puisse voir. Les rues et les maisons sont noires et laides, mais tout cela est jeté pour le plaisir des yeux sur les deux rives de cette belle Loire ; d’un côté un amphithéâtre de jardins et de ruines, de l’autre une plaine inondée de verdure. À chaque pas un souvenir.

La maison de mon père est en pierres de taille blanches, avec des contrevents verts comme ceux que rêvait J.-J. Rousseau ; elle est entre deux jardins charmants, au pied d’un coteau, entre l’arbre de Gaston et les clochers de Saint-Nicolas. L’un de ces clochers n’a point été achevé et tombe en ruine. Le temps le démolit avant que l’homme l’ait bâti.

Voilà tout ce que je vais quitter pour quinze jours, et mon vieux et excellent père et ma bien-aimée femme par-dessus tout. Mais je vous reverrai un instant, et il y a tant de consolations dans la vue d’un ami !

Adieu, cher Alfred, mille hommages à votre chère Lydia. Avez-vous terminé votre formidable Enfer[8] ? C’est une page de Dante, c’est un tableau de Michel-Ange, le triple génie.

Embrassez bien pour moi Émile [Deschamps], Soumet, Jules [Lefèvre], Guiraud et d’Hendicourt et tous nos amis, auxquels j’écrirai dès que j’aurai quelque loisir.

Victor.

Je suis encore ici pour trois semaines. Vous m’écrirez vite, n’est-ce pas ?

Mille respects de ma part à Madame votre mère.
À Monsieur le baron d’Eckstein.


Blois, 29 avril [1825].

Je reçois à l’instant même, monsieur le baron, une lettre de M. Alphonse Rabbe, et son Résumé de l’histoire de Russie. Cet ouvrage important, sur lequel je viens de jeter un rapide coup d’œil, me paraît, si j’en juge d’après ce que j’en connais, digne de toute votre attention comme l’auteur est digne de toute votre estime. M. Rabbe, dont la conviction politique diffère de la nôtre, est un homme d’un beau talent et d’un beau caractère. Ce sont deux nobles rapports avec vous. Les hommes d’un haut mérite, comme vous et lui, doivent se comprendre et s’estimer, à quelque drapeau qu’ils appartiennent. Sans cesser de prendre part à la lutte de leurs armées, les généraux ne se battent pas corps à corps : ils se saluent de leurs rangs opposés. Vous et M. Rabbe vous êtes généraux.

M. Rabbe, dont j’aime la personne et le talent, et qui n’a pas besoin de cette recommandation auprès de vous, vous rend déjà toute justice. Vous êtes du petit nombre des hommes honorables qui doivent être séparés de la tourbe des partis. M. Rabbe vous en sépare.

Vous lui rendrez, je n’en doute pas, la même justice. Vous aurez sans doute reçu son Résumé et sa lettre quand celle-ci vous parviendra, et je serai heureux d’apprendre que votre jugement favorable aura devancé ce que je ne dois pas (je le répète) appeler ma recommandation.

Aussi est-ce moins dans ce but que je vous écris que dans l’intention de me rappeler à votre amical souvenir. Les journaux vous auront appris la faveur dont Sa Majesté m’honore[9]. Je vous remercie d’avance du plaisir que vous aurez éprouvé de cette nouvelle. Vous voyez que je me crois sûr de votre amitié comme vous l’êtes de la mienne. Personne n’a pour vous une plus haute estime que votre bien dévoué

Victor Hugo.

Mon adresse est chez M. le général comte Hugo, à Blois.

Je serais enchanté que votre loisir vous permît de consacrer à l’ouvrage de M. Rabbe un de ces excellents articles où vous savez si bien allier la critique impartiale à l’accent de l’estime. Vous savez que je pense comme vous sur le compte des résumés, mais vous savez aussi que j’excepte M. Rabbe de cette tourbe d’écrivains ignorants et superficiels. Il est, lui, tout à fait à part, et je suis convaincu que vous le jugerez comme moi. En combattant quelquefois ses doctrines, vous admirerez toujours son talent[10].


À Adolphe de Saint-Valry.


Blois, 7 mai 1825.

Oui, mon ami, de cette ville historique et pittoresque, je tournerai bien souvent mes regards vers Paris et Montfort, et le château de Blois ne me fera point oublier Saint-Laurent. J’ai passé là, en août 1821, des moments bien doux, et votre excellente mère m’y a fait presque oublier pendant huit jours l’admirable mère que je venais de perdre.

Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez. Je suis charmé que le bon Jules Lefèvre vous doive la vente de son Clocher de Saint-Marc. C’est un homme d’un vrai talent, et il ne manque à ce talent qu’un succès.

Rien de tout cela ne vous manque à vous, mon cher ami, et vous avez tort de désespérer de vous-même ; il faut que votre poème se vende[11], et il se vendra. Entre le talent et le public, le traité est bientôt fait.

On me dit ici que l’on dit là-bas que j’ai fait abjuration de mes hérésies littéraires, comme notre grand poëte Soumet[12]. Démentez le fait bien haut partout où vous serez, vous me rendrez service.

J’ai visité hier Chambord. Vous ne pouvez vous figurer comme c’est singulièrement beau. Toutes les magies, toutes les poésies, toutes les folies même sont représentées dans l’admirable bizarrerie de ce palais de fées et de chevaliers. J’ai gravé mon nom sur le faîte de la plus haute tourelle ; j’ai emporté un peu de pierre et de mousse de ce sommet, et un morceau du châssis de la croisée sur laquelle François Ier a inscrit les deux vers :

Souvent femme varie,
Bien fol est qui s’y fie !

Ces deux reliques me sont précieuses.

Adieu, mon ami, vous savez que le roi m’invite à son sacre. Je serai à Paris vers le 20, et je vous embrasserai.

L’amitié d’un homme comme vous est douce et inappréciable.

Victor.
À Paul Foucher,


La Miltière[13], ce mardi 10 mai [1825].

Je commence ceci, mon cher Paul, avec l’intention de t’écrire une des plus longues lettres que j’aie encore écrites depuis que je suis parti. Si, par hasard, elle ne répondait ni à ton attente, ni à la mienne, n’en accuse pas mon intention, mais bien je ne sais quelle cause imprévue qui sera venue me couper ma satisfaction et mon loisir. D’ailleurs nous nous verrons bientôt à Paris, et je te raconterai tout ce que je n’aurai pu t’écrire.

Je suis pour le moment dans une salle de verdure attenante à la Miltière ; le lierre qui en garnit les parois jette sur mon papier des ombres découpées dont je t’envoie le dessin, puisque tu désires que ma lettre contienne quelque chose de pittoresque[14]. Ne va pas rire de ces lignes bizarres jetées comme au hasard sur l’autre côté de la feuille. Aie un peu d’imagination. Suppose tout ce dessin tracé par le soleil et l’ombre et tu verras quelque chose de charmant. Voilà comme procèdent ces fous qu’on appelle des poëtes.

J’ai laissé ton aimable lettre à Blois, ce qui m’empêche d’y répondre en détail. D’ailleurs, tu m’y faisais plus de questions que ne t’en feront certainement les six pédants noirs de la Faculté lors de ta candidature au baccalauréat ès lettres de l’Université de Paris. Tu m’y parlais de la butte des Capucins et de Diane, et moi, pour te contrarier, j’ai bien envie de ne te parler que de Chambord et de Chabara.

Imagine-toi, mon cher Paul, que depuis que j’ai vu Chambord, je vais demandant à chacun : Avez-vous vu Chambord ? comme La Fontaine qui disait à tout passant : Avez-vous lu Baruch ?

À propos de La Fontaine, parlons du colonel Féraudy. Il t’aime toujours beaucoup, quoique tu te sois avisé de trouver un de ses vers faux, ce qui lui est sensible. Il fait toujours des fables : il en a même fait une en mon honneur où il me traite d’animal, et qui finit par un calembour. C’est une galanterie !

Adieu, mon cher Paul, embrasse bien tendrement ton bon père et ta bonne mère pour mon Adèle et pour moi. Papa et sa femme et Didine leur disent, ainsi qu’à toi, mille choses affectueuses. Tout le monde se porte bien. Remercie ton papa de tous les deuils de sa dernière lettre. Je serai le 20 à Paris.

Mille amitiés à ton oncle et à ta tante, M. et Mme Deschamps[15], M. et Mme François. J’écrirai à ton père dès que notre ménage sera revenu à Blois qui est à 8 lieues d’ici.


À Monsieur Foucher.


La Miltière, 12 mai 1825.
Mon cher papa,

Le messager envoyé par mon père à Blois est de retour. Il nous rapporte l’aimable lettre de maman à son Adèle, que nous avons lue en famille, et une lettre fort cordiale de Victor Foucher[17], qui nous fait aussi beaucoup de plaisir. Nous nous attendions également à recevoir la croix de la Légion d’honneur et les papiers, etc., que vous nous avez annoncés pour le commencement de cette semaine. Notre espérance est frustrée de ce côté, et mon père désirerait que vous eussiez la bonté de passer encore une fois à la Légion, pour presser cet envoi. Car ma place est retenue pour le 19 au matin, et si nous ne recevions pas tout cela au moins le 18, je courrais grand risque de ne pouvoir porter la décoration au sacre, ce qui serait inconvenant.

Je sens, mon excellent père, combien je vous donne de peines, et je suis pénétré d’une vive reconnaissance de toutes vos bontés. La lettre de maman Foucher est bonne comme elle : elle est remplie de détails qui nous intéressent. Nous sommes enchantés des progrès de Juju[18] autant que de ceux de Didine ; quand nous serons de retour à Paris, ces deux enfants seront l’objet de nos curiosités réciproques, et nous en aurons de longs récits à nous faire.

Voudriez-vous bien ajouter encore à tous vos soins paternels celui de payer nos contributions dont le papier a été remis à maman. Nous vous rembourserons cette petite somme, bien entendu.

Maman nous apprend que la chambre à Reims est louée 350 francs et qu’on cherche une quatrième personne. Est-ce pour la voiture ou pour le logement ? Vous me disiez dans votre dernière que Beauchêne s’occupait de la fabrication de mon habit. Comment a-t-il eu ma mesure ? Il faudra sans doute les culottes, bas, souliers à boucles, épée d’acier, chapeau à ganse d’acier et plumes. En quel métal doivent être les boucles de la culotte et des souliers ? Faudra-t-il les jabots et les manchettes ?

Nous sommes désolés de la mauvaise santé de Mlle Jeanne. Parlez de nous à la bonne Mme Deschamps. M. Deschamps m’a écrit une charmante lettre. Veuillez l’en remercier en attendant que je le fasse moi-même. Il faut que notre tante Asseline[19] se soigne un peu, et j’espère la retrouver tout à fait rétablie. Faites-lui bien nos amitiés ainsi qu’à son mari.

Paul a dû recevoir aujourd’hui une lettre de moi, la première que j’aie écrite à la Miltière. Celle-ci est la seconde. Je vais écrire la troisième à Ch. Nodier.

Adieu, mon cher et bon père ; papa et son excellente femme, mon Adèle et sa petite Didine aux joues fermes, vous embrassent ainsi que maman Foucher, et je me joins à eux de cœur. Vous ne sauriez croire comme on parle de vous en Sologne à l’heure qu’il est.

Votre fils tendrement dévoué,

Victor.

Comment se porte François ? Mon portier a-t-il reçu quelques lettres depuis notre départ ? J’en reçois une bien paternelle de M. de La Rivière[20].

Mille remerciements à MM. Vénot, Pichot, et tutti quanti.


Madame Victor Hugo,
chez le général comte Hugo, à Blois.

Me voici à Orléans, mon Adèle, et avant de dîner, avant de me reposer, avant même de m’asseoir (car je suis debout), je veux t’écrire. Tu recevras cette lettre inattendue demain, et c’est une grande joie pour moi au milieu de toute ma tristesse que de penser au plaisir que ce papier te fera. Et puis, j’ai vraiment le cœur si plein de douleur, qu’un peu d’épanchement me fera du bien, mon Adèle. Tu ne saurais croire combien, depuis que je t’ai quittée, bien-aimée, le temps me semble long et la distance énorme. Je ne pense qu’avec un grand abattement aux quatorze lieues qui me séparent déjà de toi, aux huit heures que je viens de passer sans te voir. Que sera-ce donc demain ? que sera-ce après-demain, et après ? et après ? Vraiment, mon Adèle, ma bien-aimée Adèle, prie Dieu qu’il me donne du courage, j’en ai besoin, et ces quinze jours me font l’effet de l’éternité.

Mais je m’aperçois qu’au lieu de te fortifier, c’est moi qui suis faible, et que je t’attriste au lieu de te consoler. Pardonne-moi, Adèle, c’est une chose bien affreuse que de se trouver seul, isolé, environné de visages froids, curieux ou indifférents, sans autre ami que sa bourse, comme je suis en ce moment, lorsqu’on a pris la douce habitude de trouver partout ton sourire tendre et ton regard consolateur.

Je serai demain à Paris, et je t’écrirai sur-le-champ. Aie bien du courage, mon adorée, nourris bien ta petite Didine, qui n’est pas plus ange que toi, donne-lui une ou deux dents pour mon retour, embrasse-la mille fois, embrasse mon excellent père et son excellente femme, je ferai la même commission pour toi dans le même moment à Paris.

Nous avons très bien fait la route jusqu’ici. Les chemins sont superbes, le temps beau quoique froid. Je n’aurai pas chaud cette nuit, mais je penserai à toi, et je brûlerai.

Écris-moi dès demain, à Paris ; je t’enverrai de Paris mon adresse à Reims.

Que tous ces honneurs sont tristes. Bien des gens m’envient ce voyage, et ils ne savent pas combien je suis malheureux de ce bonheur qui me fait des jaloux.

Adieu, chère ange, adieu, mon Adèle, porte-toi bien. Je t’embrasse bien tendrement de bien loin. Ne pleure pas ; ne gâte pas tes jolies joues. Je veux te retrouver fraîche et grasse en arrivant.

Dis à mon père que l’on m’a demandé en route si j’allais rejoindre mon corps, etc. Tout cela à cause du ruban.

Adieu encore, et encore mille baisers et mille caresses.

Ton Victor.

Ouvre mes lettres s’il en vient, et donne-m’en l’analyse en quelques mots. Adieu, adieu encore.

Orléans, 19 mai, 4 heures après-midi[21]
À Madame Victor Hugo,
chez Monsieur le général comte Hugo, Blois.


Paris, vendredi 20 mai, 7 h. 1/2 du matin.

Tu n’as pas encore lu ma première lettre, mon Adèle bien-aimée, au moment où je commence cette seconde. Me voici à Paris, j’ai déjeuné avec tes bons parents que j’ai retrouvés toujours les mêmes, me soignant ici, comme les miens te soignent là-bas. J’ai encore le bruit de la diligence dans les oreilles, je suis moulu et étourdi par cette rude voiture, mais il ne m’est pas malaisé de rassembler mes pensées pour t’écrire : elles se réduisent à une seule, toi ! et toujours toi, et toujours toi ! C’est toi qui m’as tenu compagnie dans mon insomnie de cette nuit ; c’est toi qui m’as entretenu au milieu de ces monotones et insipides conversations de voyage ; c’est toi qui m’as donné le courage de me séparer de toi, et me conserveras ma force durant cette éternelle absence. Ne lis tout ce que je t’écris qu’à nos bons parents ; d’autres pourraient trouver notre chagrin ridicule, et il est inutile de les faire rire de ce qui nous fait souffrir.

Notre voyage a été bon, quoique toutes les dispositions pour mes places eussent été mal prises, et que je me sois toujours trouvé rangé où je ne devais pas être, par suite de la bêtise de cette hôtesse de Blois. Je ne me ressens plus du froid et presque plus de la fatigue, mais la tristesse et l’ennui me restent, et vont s’accroissant. Si je suis inspiré au sacre, ce ne sera pas par ma muse gaie. Je trouve ici force lettres, paquets, papiers, livres, etc. Je t’envoie ci-inclus la lettre de Soumet, elle te fera plaisir ainsi qu’à mon excellent père. Conserve-la bien. J’ai trouvé aussi une félicitation bien aimable de Villemain[22], datée du 27 avril ; il m’invite à dîner pour le 1er mai dernier, et me recommande de ne pas lui faire faute. Tu vois s’il a dû m’attendre longtemps. Je vais lui écrire pour lui expliquer mon absence et mon silence, et j’irai le voir.

Il faut que je te quitte, mon ange adoré, les mille et une affaires m’appellent. Je vais commencer mes courses. J’ai remis la note à ta bonne mère qui t’embrasse avec ta Didine bien tendrement, mais non autant que moi. Ton bon père se joint à nous, il est toujours gai, cordial et spirituel, comme le mien ; mais chacun à sa manière. Embrasse pour moi mon noble et charmant père, et celle qui ne fait qu’une chair et qu’un cœur avec lui. Je te recommande bien à leurs tendres soins. Il faut que tu sois mieux avec eux qu’avec moi. Ils sont si bons que cela ne leur sera pas difficile.

Je t’écris dans notre chambre nuptiale[23], dont le séjour me fait encore plus sentir mon veuvage. Tout m’est redevenu étranger ici depuis que tu me manques. En entrant dans Paris, je l’ai admiré comme un provincial. Il me semblait que ce n’était pas mon pays. C’est toi qui es ma patrie.

Écris-moi tous les jours.

Ton Victor.

Écris-moi ici une lettre, et toutes les autres poste restante à Reims. Je dîne dimanche chez Mme Duvidal, qui arrange le petit portrait et travaille à celui de Juju. Juju est embellie. Prie papa d’écrire à Victor Foucher pour le remercier de l’envoi de son livre. Quatre lignes affectueuses suffiront[24].


À Madame Victor Hugo,
chez Monsieur le général comte Hugo, Blois.
Paris, 21 mai.

Voici mon seul moment heureux dans tout le jour, mon Adèle. Je vais m’entretenir avec toi et oublier un instant peines, fatigues, chagrins et embarras. Tu es là, présente à ma pensée, sans que rien vienne me distraire de toi. Tu verras ce papier, tu le toucheras, il me devancera près de toi de douze ou treize jours, c’est comme un messager auquel tu vas faire mille questions. Il est bien heureux !

Je suis donc ici depuis hier matin, et je vais te rendre compte de l’emploi de mon temps. En arrivant j’ai trouvé ton père et ta mère au lit ; Paul m’a sauté au cou, et les mille interrogations ont commencé. Nous avons déjeuné, ton papa m’a fait de la sauce de homard ; le café et la crème étaient excellents. Après déjeuner, je t’ai écrit la lettre que tu recevras aujourd’hui. Comme je revenais de la mettre moi-même à la poste, Mlle Julie[25] montait me voir. Je me suis habillé, et je suis descendu à son atelier, où l’interrogatoire a recommencé. Comment se porte Adèle ? et Didine ? et le général ? et sa femme ? Cette excellente amie nous chérit tous comme une famille. Elle m’a montré le portrait de Didine qui est presque achevé et délicieux, celui de Juju qui est commencé sur une grande toile à tableau ; je pense qu’elle en fera un petit pour le pendant. Ta maman me l’assure. Juju est bien ressemblante et fort jolie. Sa ronde figure s’est allongée, et elle a pris un air de petite femme. En sortant de chez Mlle Duvidal (où nous dînons dimanche) j’ai été de mon pied voir Beauchêne. Destains et Jules Maréchal m’ont félicité. Beauchêne m’a montré mon habit qui va bien ; il est fort laid et très à la mode. Il me reste à faire faire la culotte, à louer ou acheter l’épée. Il y avait beaucoup de monde et je ne suis pas entré chez M. de La Rochefoucauld. Abel était chez Beauchêne. J’ai embrassé ce bon gros frère pour tout le monde. Il est toujours dans les cabriolets courant après les six millions, qu’il espère attraper. Puis je suis allé chez Soumet, qui est toujours tendre et bon, comme tu sais ; il m’a offert sa culotte. Il m’a reconduit par les Tuileries jusqu’à l’entrée de la rue du Bac. J’ai été toucher ma pension à l’Intérieur où mon ruban a été félicité. — Après quoi je suis allé chez Adolphe et chez Mme Dumesnil, qui n’y étaient ni l’un ni l’autre. J’ai commandé une paire de bottes, une de souliers, une d’escarpins, j’aurai tout cela dimanche soir. En revenant, je suis entré chez notre portier qui m’a remis entre autres noms celui de l’abbé de Lamennais. Il ne faut pas oublier de te dire que j’ai vu aussi Rabbe, qui me charge de mille respects et amitiés pour nos bons parents de Blois et toi. Abel et Beauchêne ont dîné avec nous. Après le dîner je n’ai pas voulu aller au spectacle avec ta famille. Cela eût été trop triste sans toi. J’ai été voir Charles Nodier. Ce pauvre ami vient de perdre sa belle-mère. Toute la maison est noire. Cependant j’ai tâché d’égayer ces dames, moi qui ne suis guère gai. Notre bon Nodier m’avait attendu toute la journée, sachant que j’arrivais, d’abord à déjeuner, puis à dîner. Il est comme moi dans les embarras d’argent. Il ne paraît pas qu’on nous en donne avant le voyage. Nous partons mardi matin, avec Alaux, le peintre. La voiture (aller et retour) coûtera 400 francs. Si nous avons la chambre de Taylor[26], nous l’aurons gratis. Autrement nous trouverons ce que nous pourrons, et nous payerons ce qu’on voudra. Il paraît que nous serons très bien pour voir la cérémonie. Nos places sont peut-être, dit-on, les meilleures de toutes. Nous ne serons que deux jours en route, et même nous arriverons de bonne heure mercredi. Je dois aller revoir Nodier lundi matin et lui porter mes effets.

Je suis rentré hier soir à onze heures, après avoir été chercher ta mère au spectacle. J’ai dormi cette nuit à force de fatigue, et je t’ai vue dans tous mes rêves. Cette nuit a été bien triste, c’est la première que je passe loin de toi, dans un lit quelconque. Ce matin, je viens de voir notre excellent abbé de Lamennais qui est toujours dans ses maudites affaires. Il m’a demandé bien affectueusement de tes nouvelles, m’a beaucoup parlé de ma Didine, et a été charmant comme à son ordinaire. Je verrai aujourd’hui M. de La Rochefoucauld. Je commanderai ma culotte. Tout cela va me forcer de te quitter déjà. Ta pauvre tante est bien malade. Mlle Zoé[27] se porte, dit-on, fort bien. Mlle Justine est aux sacrements. M. et Mme Deschamps, M. et Mme François te font mille amitiés et mille hommages, ainsi qu’à nos chers parents.

Si le vicomte[28] ne me donne pas d’argent, ton père m’en prêtera et se payera sur le remboursement.

Adieu, chère Adèle, adieu, bien-aimée. Qu’il m’en coûte de fermer déjà cette lettre ! Quand donc en recevrai-je une de toi ?

Tes bons parents sont aux petits soins pour moi. Ils t’embrassent, et ta Didine, et nos parents. Dis à mon bon père qu’il ne se fatigue pas trop aux travaux de tête, et qu’il se promène. Mille hommages à Mme Brousse[29]. Embrasse ton père et ta mère de Blois. Tu sais comme je t’aime ! Adieu pour aujourd’hui[30].


À Madame Victor Hugo.


Paris, 11 mai, midi et demi.

Je rentre triste et abattu comme à mon ordinaire, et je trouve ta lettre du 19 mai. Quel bonheur ! Mais comment n’en ai-je encore que du 19, mon Adèle bien-aimée ? Elle a dû être mise à la poste le 20 et aurait dû arriver hier, je devrais aujourd’hui en avoir une du 20. Sais-tu qu’il y a quatre jours et trois nuits que nous sommes séparés ! Que le temps est long ! et qu’il me tarde de savoir ce que tu fais depuis l’éternité que je ne t’ai vue ! Comme tout est désert autour de moi maintenant que tu n’es plus là ! Quelle force nous avons eue, chère amie, et quelle force il nous faut encore. Tu dois recevoir en ce moment même ma troisième lettre, et je n’en ai encore qu’une de toi ! vois combien je suis malheureux ! J’espère encore en recevoir une demain, puis je n’aurai plus de bonheur jusqu’au 26, jour de notre arrivée à Reims. Tu sais que nous partons après-demain mardi matin. J’espère trouver à Reims un gros paquet de tes lettres tendres et douces qui me font tant de bien et dont ton cœur d’ange a le secret.

Garde cette pauvre Augustine, mon Adèle, tu as raison, c’est une bonne action, à laquelle ta bonne mère de Blois sera charmée de s’associer. Garde cette pauvre orpheline, nous l’emmènerons puisqu’elle est dévouée et reconnaissante. Cela est trop rare pour ne pas se récompenser. Ensuite tout cela s’arrangera du mieux qu’on pourra. Garde-la, mais dis-lui tout ce qui peut lui faire sentir ce qu’elle te doit et lui donner du zèle et du soin.

Ne te tourmente pas, mais ne te contiens pas. Si tu as envie de pleurer, pleure. Les larmes qui restent font du mal, celles qui coulent font du bien. Je voudrais bien, moi, pouvoir et savoir pleurer. Mais j’ai toujours le cœur gonflé parce que j’ai toujours les yeux secs.

Tes bons parents continuent à m’entourer d’attentions. Remercie bien les miens pour moi. Dis à mon excellent père combien je le reconnais à cette bouteille qui ne doit se vider qu’à ma santé. Dis à sa femme que tout le monde ici l’aime et a raison. Nous parlons toujours de Blois ; Mlle Duvidal me disait hier, à propos de mon père, que rien n’était plus noble et plus vénérable au monde qu’un vieux soldat qui avait conquis son haut rang par de hautes actions et de grands talents. C’est aussi mon opinion, mais j’ai été heureux de l’entendre sortir de cette âme élevée et généreuse. J’ai été heureux de voir parler de mon illustre père comme j’en parle moi-même, comme j’en parlerai toujours, comme la postérité en parlera.

Je reprends mon journal. J’ai vu hier M. de La Rochefoucauld qui a été fort aimable et m’a donné rendez-vous à Reims. M. de Cailleux[31] sera notre quatrième compagnon de voyage. Il m’a dit faire ce voyage pour être avec moi. J’ai voulu voir le ministre de la Guerre ; il était à la Chambre. Son secrétaire me donnera les renseignements que je voulais demander au ministre. Du ministère, mon cabriolet m’a conduit chez mon tailleur auquel j’ai commandé ma culotte. En passant devant le Palais-Royal j’ai vu Ladvocat, qui court déjà après l’ode future. Je ne sais encore ce que j’en ferai, si je la fais. Ma troisième édition s’avance. Les gravures nous retardent. J’ai été chez Villemain. Sa mère m’a offert pour toi une fenêtre sur le passage du roi. Hélas, chère amie, comme cette offre m’a attristé ! — J’ai terminé mes courses du jour par mon imprimeur, toujours occupé du titre et de la couverture. Je crains de ne pouvoir rapporter cette troisième édition à Blois. Ladvocat voudrait publier l’ode en même temps à part, avec notes, préface et bagage. Il la ferait insérer partiellement dans tous les journaux, qui sont, m’a-t-il dit, fort bien pour moi maintenant. Voilà des projets. Pourvu qu’ils ne me retardent pas, c’est tout ce que je demande au bon Dieu, et je l’espère.

Ton père, à mon retour, m’a remis un billet de mille francs qu’il a emprunté à la caisse d’un de ses amis. Ainsi me voilà lesté. Biscarrat a dîné avec nous, et le soir nous avons fait avec MM. Paulin, François, Carlier, etc., l’écarté du samedi. Que tout cela est triste !

Ce matin, j’ai visité notre appartement où tout est en fort bon état. J’ai vu Mme Devéria[32]. Ses fils étaient sortis, et j’ai déposé chez eux les crachats, etc., de papa. Tout cela est bien recommandé. M. Louis Decleu m’a apporté l’épée de son père dont la poignée est fort belle. Mais je serais obligé pour m’en servir de changer le fourreau et le ceinturon. Cela vaut-il mieux que d’en louer ou acheter une ? Il est embarrassant de concilier la représentation et l’économie. Car je dois être économe, ce ne sont pas mes deniers. Je serai pourtant encore obligé de changer les boutons de l’habit que Beauchêne vient de m’envoyer.

Je ne me sens plus d’aucune fatigue, mais je suis toujours triste. C’est une maladie qui durera encore douze jours. Il faut prendre son parti, mais qu’il est difficile de vivre sans toi, même peu de jours, mon Adèle adorée !

Adieu, tout est ici dans le même état. Tout le monde t’embrasse. Baise mille fois ma Didine. Ta lettre est bien douce ; écris-moi toujours. J’ai mis un baiser sur ton baiser et sur ta larme.

Adieu, ange. Je crains que ma lettre de demain ne soit bien courte. C’est demain qu’il faut emballer et charger. J’ai rendez-vous chez Lamennais à dix heures et chez Nodier à onze. Devéria viendra à neuf heures. Je me lèverai de bonne heure pour t’écrire, si François me laisse ma matinée. Adieu, mon Adèle ; adieu, ma Didine.

Il est inutile de te dire d’embrasser nos chers parents, c’est de fondation.


À Madame Victor Hugo.


23 mai, 1 heure après-midi.

Je t’écris, mon Adèle, sur la table et avec la plume de Nodier. Je viens de déjeuner avec cet excellent ami, et Rabbe, et Soulié, qui t’envoie un œillet, et Taylor, qui te prépare un dessin. Nous avons arrangé définitivement notre affaire. Nous partons demain à six heures du matin. Ne t’inquiète de rien ; tout sera prêt, costume, jabot, linge, épée, etc. Hier j’ai dîné chez Mlle Julie, dont c’était la fête. Nous avons bu à ta santé. Mon Adèle ! que je t’aime ! J’ai encore mille choses à disposer. Il faut faire mes malles. Adieu. Embrasse ma Didine sur ses joues brunies, embrasse-la mille fois. Embrasse tes bons parents de Blois. J’ai mille fois baisé ta lettre. Qu’elle m’est précieuse ! Qu’elle est belle ! Qu’elle est éloquente de douleur et de tendresse ! J’en aurai encore une aujourd’hui, j’espère, et je vais rentrer pour la trouver. Adieu, adieu ! Toujours triste !

Ton Victor Hugo.

J’espère pouvoir t’écrire demain en route. Adieu, mon ange adoré[33].


À Madame Victor Hugo.
Paris, 24 mai.

Il est cinq heures du matin, mon ange bien-aimée. Dans une heure j’aurai quitté Paris, et je ne puis le quitter sans t’écrire encore. Je détache une feuille de mon livret de route qui va revenir à Blois plus tôt qu’elle ne s’y attendait. Voilà un bonheur sur lequel je ne dois pas compter. (Cela ne veut pas dire que je ne serai pas de retour à l’époque que nous espérons. Ne te tourmente pas surtout.)

Tu dors en ce moment, Adèle ; es-tu du moins en rêve près de moi ? Je ne sais ce que mes lettres te causent de plaisir, mais pourquoi m’as-tu sevré des tiennes ? J’aurais pu en avoir une hier, pourquoi ne l’ai-je point eue ? Il faut donc remettre ce bonheur à Reims, et je ne saurais plus avoir quelque joie maintenant qu’en m’éloignant encore de toi.

Reims ! je ne sais ce que j’y ferai. Est-ce que je pourrai penser à autre chose qu’à mon Adèle absente et qui pense à moi ?

Donne-moi beaucoup de détails sur Blois. Je te donne aussi tous ceux que j’ai le loisir d’écrire. Le reste sera pour nos longues conversations. Mlle Duvidal a dîné hier avec nous et nous avons bu à mon Adèle et à sa Didine. Mlle Zoé, qui est charmante et que j’aime parce qu’elle t’aime, m’a bâti un col et m’a chargé de te dire qu’elle te remplaçait (en cela seulement, bien entendu). Le soir, j’ai porté mes effets chez Nodier, et j’y vais retourner maintenant ; c’est le lieu de départ. Quand je reviendrai, je t’apporterai la fameuse traduction anglaise de Han d’Islande, avec d’admirables gravures à l’eau-forte de Cruikshank[34]. L’effet n’en est pas agréable, mais elles sont terribles.

Adieu, Adèle, je vais donc voyager encore. À quoi bon voyager ? N’ai-je pas rencontré déjà le bonheur ? En quelle terre, en quel ciel trouverais-je un ange comme toi ?

Adieu, mille caresses à toi et à ma Didine, à qui je recommande bien de ne pas crier la nuit.

Ton Victor Hugo.

Tu dois recevoir une lettre tous les jours. Je tâcherai qu’il en soit toujours ainsi. Pourtant, compte que je puis être deux jours en route. Nous n’arrivons qu’après-demain matin. Nous coucherons.

Tout le monde ici t’embrasse et te charge d’embrasser ton père et ta mère des bords de la Loire[35].


À Madame Victor Hugo.


Villers-Cotterets, 25 mai, 7 heures du matin.

Je t’écrivais avant-hier, mon Adèle, sur le papier et la table de Nodier, je t’écris aujourd’hui sur le pupitre et avec le papier de notre aimable compagnon de voyage Cailleux. Nous sommes à Villers-Cotterets, où nous arrivons après deux heures et demie de marche. Nous avons passé la nuit sur quatre lits improvisés dans le village de Létignon, où ce mauvais coucher et une mauvaise soupe nous ont coûté dix-neuf francs. Nodier est souffrant, et Alaux a depuis hier un mal de cœur implacable ; ils sont toujours bons et gais ; M. de Cailleux et moi sommes les seuls bien portants. Tout est hors de prix sur cette route. Tout est encombré. Les auberges sont inondées de voyageurs et les routes de voitures. Ceux qui arrivent les derniers ont moins que des os. C’est comme une nuée de sauterelles qui brûle tout. Ne te tourmente pourtant pas, chère amie ; notre ruban, notre quadruple voix d’homme, et notre bonne mine, avec l’aide de Dieu et de notre bourse, ne nous laisseront manquer de rien.

J’approche de Reims avec une joie inexprimable. J’y trouverai des lettres de mon Adèle bien-aimée. Quelle joie !

Adieu, mon ange adoré, je n’ai qu’une demi-heure pour t’écrire et déjeuner. Je voudrais bien ne pas déjeuner et passer tout ce temps à t’écrire, mais nos amis me pressent et m’attendent. Qu’il est triste, mon Adèle bien-aimée, de me séparer de toi, moi qui n’ai plus d’autre bonheur que celui de t’écrire. Je ne sais plus ce que trace ma plume. J’ai le cœur plein. Adieu. Tous nos amis boivent à ta santé, et Charles Nodier, notre excellent Charles, me charge de ses plus tendres hommages pour toi et de mille respects pour mon bon père. Embrasse-le bien, ainsi que sa femme, dont les soins maternels remplacent les miens.

Je te donne mille baisers. Adieu, bien-aimée ! Embrasse sur ses deux joues le petit pipi à papa.

Ton Victor[36].


À Madame Victor Hugo.


Reims, 27 mai, 7 heures du matin.

Par où commencerai-je, bien-aimée ? par la joie que m’ont faite tes lettres, ou par mon arrivée à Reims ? Tu es bien curieuse d’avoir des détails sur mon voyage, et moi bien impatient de te dire à quel point tes lettres me rendent heureux au milieu de ma tristesse. Chaque fois que j’ouvre une lettre de toi, mon Adèle adorée, c’est en tremblant d’espérance et de crainte à la fois. Hier, nous sommes descendus, à une heure après-midi, à notre logement de Reims, et sans même attendre qu’on rangeât mes malles, j’ai couru à la poste. Ta troisième lettre y était. J’ai vu avec un vif chagrin que tu n’avais pas reçu le 23 ma lettre du 21 ; j’avais pourtant donné un franc à un commissionnaire pour la porter à la grande poste qui se levait de meilleure heure à cause de la Pentecôte. Je te donne cette explication, chère amie, afin que tu ne croies pas qu’il m’est possible de rester un jour sans t’écrire. Ce malheur m’est arrivé hier et ç’a été ma torture de tout le jour. Je voulais t’écrire à Thomery en déjeunant, mais le temps nous a été donné à peine de manger un morceau, et puis je voulais attendre tes lettres que je comptais trouver à Reims. J’ai voulu t’écrire à toutes les heures depuis notre arrivée, mais les mille affaires et les mille devoirs qui se disputent nos moments dans cette ville ne m’ont pas laissé le temps de respirer. Je comptais t’écrire avant de me coucher, mais nous sommes quatre dans la même chambre, nous nous couchons tous à la même heure, et nul ne prend la liberté de garder sa bougie allumée.

Figure-toi d’ailleurs le désordre de ces quatre lits, de ces quatre bagages d’hommes dispersés dans une pièce grande comme les deux tiers de ta chambre de Blois. Il n’y a pas de temps perdu ; la poste était partie quand nous sommes arrivés, et cette lettre ne t’arrivera pas plus tard que si elle eût été écrite hier. Seulement, si ce retard m’afflige, c’est pour moi ; j’aurais bien désiré joindre au bonheur de lire une lettre de toi, celui de t’en écrire une. — Que je suis content de ma Didine, mon Adèle ! elle a donc une dent, et une dent enfantée sans douleur ! Dis-lui bien en l’embrassant mille fois que son petit papa est satisfait de sa conduite en cette occasion, et qu’il portera à sa maman de bons biscuits de Reims qui rendront son lait plus sucré. Dis à Augustine de continuer à te bien servir et que je serai content d’elle.

Je vais poursuivre le détail de notre voyage. Nous avons dîné hier à Soissons, qui est une des plus jolies villes de France ; elle a une vallée délicieuse et deux églises admirables. L’une, la cathédrale, a été restaurée, c’est-à-dire dégradée indignement. L’autre, l’église de Saint-Jean, a été ruinée par la Révolution. Il lui reste deux aiguilles magnifiques, et le débris d’un cloître dont la destruction est à jamais déplorable. On est fâché d’être français quand on voit ces profanations commises par des français sur des monuments français. En quittant Soissons, nous avons fait changer le chargement de la voiture. Ma malle, qui est vieille, avait été mise sur le côté, les pitons avaient cédé, elle s’était ouverte, la boîte de ma croix s’était ouverte aussi, et les divers bijoux qu’elle renfermait dansaient devant l’ouverture. Nous avons cru tout perdu. J’en ai été quitte pour un peu de poussière dans la malle et pour mes deux médailles qui ont été frustrées, c’est-à-dire qui se sont rayées réciproquement. Cela n’enlève rien de son prix à la médaille d’or, et M. de Cailleux se fait fort de réparer ce malheur en faisant refrapper la médaille. Nous avons couché à Braine, jolie ville bien bâtie, qui a une autre église en ruines aussi belle que l’abbaye de Jumièges, dont tu as vu les dessins dans le Voyage pittoresque de Nodier. Partis de Braine hier à trois heures et demie du matin, nous sommes arrivés à Reims à une heure. Là, autre accident. La caisse de Nodier s’était défoncée ; tous ses effets ont été inondés de poussière et il a perdu trois cols. Et nous avons dit : Qu’on est à plaindre de voyager sans sa femme ! En arrivant, je suis allé à la poste et à la diligence, j’ai retiré tes lettres, mon épée et ma culotte. J’ai lu tes lettres avec délices sous une grande averse, dont je me suis à peine aperçu. Je suis arrivé sans lever les yeux devant le portail de la cathédrale, et j’y étais depuis dix minutes sans le voir. Je te lisais, ma bien-aimée ! Nodier et M. Emmin, député de Besançon et son ami, m’ont rejoint. Nous avons dîné ensemble au Grand Hôtel du Sacre. M. Emmin, qui est un charmant compatriote, a payé, ce qui nous oblige à lui rendre à dîner. Tout est hors de prix. Après le dîner, il a fallu aller au spectacle. Quelle corvée ! J’y ai vu notre excellent ami Beauchesne[37], dont j’aime à te parler. Nous sommes rentrés à onze heures, couchés à minuit, éveillés à six heures, et je t’écris, d’abord sur le pupitre de Cailleux, puis (en ce moment) sur le secrétaire de M. de La Rochefoucauld, que je suis venu voir et qui est absent.

Le voilà qui va rentrer, il faut finir cette lettre. Adieu, mon Adèle, embrasse tes bons parents. Dis à papa que Nodier veut absolument qu’il soit pair de France, et dit que cette dignité ne peut manquer à un homme aussi honorable. Si Nodier était roi ! Adieu, encore, chère ange ; je t’embrasse comme tu sais, comme je baise tes adorables lettres.

Nous partons le 31. Écris-moi à Paris dès le 28. Adieu encore, et encore un baiser.

J’écrirai bientôt à papa[38].


À Madame Victor Hugo.


Reims, 27 mai, 3 h. 3/4 après-midi.

Quel chagrin, mon Adèle ! pas de lettres aujourd’hui ! Tu me grondes un peu dans ta dernière lettre. Je n’étais pas coupable. Je veux te supposer innocente aussi de ce retard ; mais quelle qu’en soit la cause, je suis bien affligé. Figure-toi avec quelle impatience j’attends une lettre de toi dans mon isolement, et quel vide reste dans mon cœur quand j’ai couru inutilement à la poste. Toute ma joie de la journée a disparu ; il ne me reste qu’une consolation, c’est de relire, c’est de baiser cent mille fois tes douces lettres. Je n’ai pas la force de te dire que j’ai vu la cathédrale, et ce que j’y ai admiré ou critiqué. Adieu pour aujourd’hui, bien-aimée ! ma lettre serait trop triste et tu l’es déjà tant ! Demain je continuerai, je serai plus près d’une lettre de toi, et par conséquent moins malheureux.


28 mai, 9 heures du matin.

J’ai bien mal dormi cette nuit ; aussi me suis-je assoupi ce matin, ce qui fait que je me suis levé assez tard. Ces messieurs ont voulu m’emmener à l’abbaye de Saint-Rémy, mais j’ai à t’écrire, et, malgré leurs pressantes invitations, je veux épancher ma pensée dans ton cœur. Recevrai-je aujourd’hui de tes nouvelles, mon Adèle chérie ? Il le faut, il me faut deux lettres. Sinon, je te croirai malade, car je ne veux pas te croire négligente ; tu dois être comme moi : ta santé peut s’altérer, non ton amour. N’est-il pas vrai, mon ange, que tu m’aimes, et que j’aurai aujourd’hui deux lettres de plus à mettre sur mon cœur ? Il me faut cet espoir pour continuer celle-ci.

J’ai donc été hier visiter la cathédrale. Elle est admirable comme monument d’architecture gothique. Les portails, la rosace, les tours ont un effet particulier. Nous avons passé, Charles et moi, un quart d’heure en contemplation devant le cintre d’une porte ; il faudrait un an d’attention pour tout voir et tout admirer. L’intérieur, tel qu’on l’a fait, est beaucoup moins beau qu’il n’était dans sa nudité séculaire. On a peint ce vieux granit en bleu, on a chargé ces sculptures sévères d’or et de clinquant. Cependant on n’a point commis la faute faite à Saint-Denis, les ornements sont gothiques comme la cathédrale, et tout, excepté le trône qui est d’ordre corinthien (chose absurde), est d’assez bon goût. L’ensemble est satisfaisant pour l’œil, et il faut avoir médité sur la disposition de l’édifice pour juger qu’on n’en a pas tiré tout le parti possible. Telle qu’elle est, cette décoration annonce encore le progrès des idées romantiques. Il y a six mois, on eût fait un temple grec de la vieille église des francs.

Nous passons nos journées en courses et nos soirées au spectacle, ce dont nous ne pouvons nous dispenser étant logés chez le directeur du théâtre. La vie, déjà fort chère à notre arrivée, est renchérie depuis, et renchérira encore. Hier, à nous quatre, nous avons mangé 81 francs en déjeuner et dîner. Une omelette coûte 15 francs, un plat de pois 13, etc., etc. Cinq petits pains, 42 sous.

J’ai vu Agier[39] et Chazet[40]. Je n’ai point encore rencontré le vicomte de La Rochefoucauld ni le ministre de la Guerre. Le roi arrive aujourd’hui à midi. Notre camarade Alaux a fait un fort beau tableau qui figurera dans la salle du banquet. Nos amis sont toujours charmants. J’ai donné ma médaille d’académicien des Jeux floraux à Nodier qui désire beaucoup l’être ; et Cailleux, qui est nommé officier de la Légion, m’a donné sa petite croix de chevalier qui est charmante. Je te ferai faire connaissance avec eux tous à Paris, ainsi qu’avec notre député Emmin qui t’aime déjà et que tu aimeras beaucoup. Il a porté hier ta santé.

Remercie bien, mon Adèle, ta bonne mère Hugo de la petite robe qu’elle a donnée à Didine. Cela m’a touché au cœur. Comment va la dent du petit pipi ?

Embrasse bien nos bons parents. Adieu, mon Adèle adorée ; voici le moment où mes lettres deviendront plus rares et plus courtes ; le sacre a lieu demain. Ne t’inquiète de rien, et aime-moi. Le moment approche où je te reverrai. Il me semble que c’est là un de ces bonheurs dont on peut mourir. Adieu, ange[41].


À Madame Victor Hugo.


28 mai, 3 heures après-midi.

Ce que je vais t’écrire est pour toi seule, mon Adèle. Je viens de lire tes deux lettres[42] ; elles m’ont désolé. Je ne tiens plus à Reims, je suis sur des charbons ardents. Comment ! on te laisse seule, seule dans ton isolement ! On est froid et inattentif pour mon Adèle bien-aimée dans la maison de mon père ! Je ne suis pas indigné, chère ange, je suis profondément, oui, bien profondément affligé. Moi qui connais l’admirable douceur de ton caractère et la bonté sans bornes de mon père, je suis atterré de ce qui se passe là-bas. Ce ne sont pas des soins, des attentions que tu as droit de réclamer, c’est la tendresse et la sollicitude paternelle, c’est quelque chose de plus peut-être que mes propres soins. Mon pauvre et excellent père ! que ne lit-il ce qu’il y a dans mon cœur en ce moment, il y verrait quelle douleur inexprimable se mêle à mon dévouement infini pour lui, à mon profond amour pour toi ! Je vais lui écrire, à mon premier loisir, mais sois tranquille ! ma lettre sera assez adroite pour ne rien blesser dans son cœur et lui faire tout sentir. Va, je suis bien désolé, mais tu as une consolation, n’est-ce pas, dans mon amour, et il est tel que tu le mérites, il est respectueux et tendre comme celui qu’on accorde aux anges, il est infini et éternel.

Adieu pour aujourd’hui, bien-aimée. Je n’ai pas la force de te dire que le roi vient d’entrer à Reims, que M. de La Rochefoucauld m’attend ce soir, qu’il faudra être debout cette nuit à trois heures, que je suis fatigué d’avoir couru tout le jour. Rien de tout cela ne m’occupe. Je suis triste, plus triste que jamais. Mais tranquillise-toi. Nous arrangerons tout cela. Ton Victor, ton mari, ton protecteur va revenir, et que te manquera-t-il alors ? Nous rentrerons chez nous, si cela continue un quart d’heure, et nous oublierons tout, excepté les bontés de mon père.

Ton Victor.


29 mai, 6 heures du soir.

Prends donc comme moi l’habitude de numéroter et de bien dater tes lettres ; je suis quelquefois obligé d’en deviner l’époque ; et tu dois savoir, mon Adèle chérie, combien il y a de douceur à se dire : elle écrivait à telle heure, pendant que je faisais telle chose ! Ensuite je n’ai encore reçu que quatre lettres, et il me semble que j’aurais dû en recevoir davantage ; si tes lettres étaient numérotées, je le saurais. Ne prends pas ceci pour un reproche, ange adoré ; si c’est un reproche, il est bien tendre, et il te plaira. Ô mon Adèle, que je t’aime !

Depuis que j’ai reçu tes deux lettres, ma tête ne m’appartient plus. Je me croyais tellement sûr des soins qu’on aurait pour toi ! il me semblait que mon absence te rendait sacrée. Remercie bien Mme Brousse[43] d’une amitié qui m’est chère puisqu’elle te soulage, et des soins qu’une autre devrait te rendre. Ne t’affecte pas du reste. Que t’importe la bonne ou la mauvaise humeur d’une personne étrangère dont tu ne dépends pas, dont tu ne dépendras jamais ! Aime bien mon bon père qui t’aime tant ! Surtout, mon Adèle, épanche bien tout ton cœur dans le mien, dis-moi tout. Ma Didine m’est dix fois plus chère depuis qu’elle te console ; donne-lui mille baisers sur sa charmante bouche qui n’est pas plus fraîche que la tienne.

Je viens de voir Sosthène[44], qui est toujours on ne peut plus aimable. Il m’a donné une entrée toute spéciale. Il m’a dit que le roi avait demandé si j’étais ici. Je suis effrayé de ce qu’ils attendent de moi. J’ai la tête si malade et le cœur si triste. Comment chanter une joie ? Nos amis, et surtout Nodier, me chargent de mille hommages pour toi. Adieu, bien-aimée, je t’embrasse sur tes yeux, pour qu’ils ne pleurent plus[45].


À Madame Victor Hugo.


29 mai, Reims.

Nous avons vu le sacre, mon Adèle : c’est une cérémonie enivrante. Alaux te fait un présent dont tu le remercieras comme tu m’aimes : il t’envoie mon portrait, que Nodier dit plein de pensée. Remercie bien ce nouvel et excellent ami ; il est inutile de te recommander ledit portrait. Adieu, bien-aimée, le temps me manque. J’attends deux lettres de toi demain, je n’en ai pas eu aujourd’hui, et toute ma journée a été triste. J’espère que tu l’es moins. Le jour du retour approche de plus en plus. Je t’embrasse bien tendrement et ma Didine.

Ton Victor[46].


À Madame Victor Hugo.


Reims, 30 mai.

Mon bon père t’expliquera, chère ange, quelles nécessités impérieuses me forcent à t’emmener à Paris dès mon retour à Blois, qui sera, j’espère, le 3 au matin.

Je suis désolé de t’enlever si tôt au bonheur dont tu jouissais à Blois près de ta bonne mère dont les soins te seront toujours un doux souvenir.

Remercie-la bien, remercie bien mon excellent et noble père, et tiens-toi prête. Le temps me manque. Sans adieu, bien-aimée. Je pars demain 31 de Reims.

Ton Victor[47].
À Madame Victor Hugo.


Reims, 31 mai.

Nous partons tout à l’heure, mon Adèle, dans deux jours je serai à Paris ; dans trois, à Blois. Quelle joie de te revoir ! Il y a beaucoup de choses tristes qui se mêlent à cette joie : il faudra quitter Blois sur-le-champ, et je me promettais là six semaines de repos. Mais une foule de nécessités impérieuses nous obligent à ce sacrifice. Prépare donc tout pour notre départ.

Je viens de voir Roger[48] qui est ici comme député. Il m’a donné toutes les facilités possibles pour être à Blois sur-le-champ, pourvu que les places ne soient pas prises. Mais il lui est impossible de nous en donner pour le retour ; il faudrait que par hasard la malle se trouvât vide, et on ne peut la retenir dès Bordeaux, attendu que plusieurs villes sur la route ont droit à des places, en cas que la voiture soit vacante.

Je viens aussi d’embarquer M. de Chateaubriand. J’étais seul à son départ !

Hier a eu lieu la cérémonie des ordres royaux, qui est fort belle. Le costume des chevaliers est magnifique. Au reste, je te dirai tout cela, bien-aimée. J’aurais encore bien des choses à te dire que je ne puis t’écrire, mais dans trois jours ! Que ces trois jours passeront lentement !

Je te préviens une seconde fois que la voiture dite la Pompe est détestable. Vois s’il y a beaucoup de monde dans les grandes messageries et, dans ce cas seulement, arrête à la Pompe les trois premières places.

Adieu, mon ange adoré. Si par hasard je n’étais pas à Blois le 3 au matin, comme je l’espère, ne t’inquiète pas. C’est que la malle aura été pleine. Au reste, j’aurai peut-être le temps de t’écrire encore un mot.

Mille tendres baisers.

Ton Victor.

Exprime bien toute notre reconnaissance à nos parents, en attendant que je la leur exprime moi-même.

Dis à mon bon père que j’ai beaucoup parlé hier de lui avec un député du Doubs, M. Emmin, ami de ma marraine, la baronne Delélée.

Et ma Didine[49] ?
À Madame Foucher,
Rue du Cherche-Midi, 39.


Reims, 31 mai 1825.
Ma chère maman.

Nous partons ce matin de Reims où nous avons assisté à toutes les magnifiques cérémonies du sacre. Je serai après-demain matin, 2 juin, vers midi, chez vous, et je repartirai le même jour à six heures pour Blois, si la malle a des places.

Mille affaires, et surtout l’ode qu’il faut que je fasse, me ramèneront sur-le-champ sans doute à Paris, avec mon Adèle et ma Didine. Ma présence y est absolument nécessaire.

Au reste, nous ne nous plaignons pas d’une circonstance qui nous rendra plus tôt à notre bonne famille de Paris.

Adieu, ma chère maman, embrassez bien notre excellent père, et croyez à mon tendre et respectueux dévouement.

Votre fils,
Victor.


À Madame Victor Hugo[50]
chez M. Foucher, rue du Cherche-Midi, 39, Paris.


Épernay, 1er juin 1825.

Je t’écris, chère ange, sur la table de cuisine de l’auberge et le pied sur le marche-pied. Nous avons couché à six lieues de Reims, et comme notre cocher s’est amusé à faire le métier de fiacre à Reims au lieu de reposer ses chevaux, nous arriverons plus tard que je n’espérais. Ne nous attends donc que jeudi soir ou vendredi matin.

Comment ! tu es partie seule[51] ! Je suis dans une mortelle inquiétude. J’ai besoin de beaucoup espérer.

À bientôt, bien-aimée, mille baisers à ma jolie petite Didine. Embrasse

tes bons parents. Quel bonheur ! à bientôt[52] !
Au général Hugo.


Gentilly, 19 juin [1825].
Mon cher papa,

C’est de la campagne où je suis allé passer quelques jours chez un ami qui demeure à deux lieues de Paris, que je te réponds. Je regrette bien que tu y sois toi-même en ce moment ; les chaleurs excessives, la solitude et le dénuement de la Miltière me font trembler pour ta chère santé ; il me semble que tu aurais dû retarder ce voyage, quelque important qu’il pût être, et ne pas t’aventurer seul dans cette saison au milieu des déserts de la Sologne. Tu sais comme moi combien les pays humides et sablonneux exhalent de miasmes morbifiques dans les grandes chaleurs, et mon Adèle te reproche tendrement de nous donner l’inquiétude de te savoir là-bas.

Les journaux de Paris ont annoncé ta promotion de la manière la plus flatteuse[53]. Que t’importe un oubli qu’ils font si fréquemment ? Que t’importe la jalousie ? Il suffit de ton nom et de ta réputation pour mériter l’envie : résigne-toi, mon noble père, à cet inconvénient de toute position élevée.

J’ai rempli ta commission auprès d’Adolphe.

Tu ne m’étonnes pas en m’apprenant que ta femme n’a pas reçu son exemplaire ; j’avais remis à Ladvocat le paquet à son adresse, avec beaucoup d’autres pour qu’il les mît à la poste. Tu connais la négligence de ce libraire : partant pour la campagne, j’ai dû me reposer sur lui de ce soin, et j’ai déjà reçu plusieurs plaintes comme la tienne. Le messager qui va porter cette lettre à la poste à Paris, va être chargé en même temps d’un petit mot sévère pour Ladvocat, et de l’ordre de réparer sur-le-champ cet oubli. Si j’en avais ici un seul exemplaire, je l’enverrais directement à ta femme, mais j’espère que Ladvocat sera soigneux cette fois.

Je suis heureux que mon ode[54] t’ait fait quelque plaisir : son succès ici passe mon espérance. Elle a été réimprimée par sept ou huit journaux ; je vais la présenter au roi.

Adieu, mon excellent père ; je n’ai que le temps de fermer cette lettre et de t’embrasser bien tendrement. Ma femme et Didine embrassent la tienne. Didine nous a un peu inquiétés ces jours-ci, les dents la tourmentent.

— Je reçois à l’instant une lettre d’Émile Deschamps où je lis : « M. le général Hugo nous a fait bien plaisir en devenant lieutenant-général ; y aurait-il quelque moyen de lui faire parvenir nos félicitations et l’hommage de mon respect ? » Tout le monde applaudit[55].


Au général Hugo.


Paris, 18 juillet 1825.
Mon cher papa,

C’est avec un véritable regret que je me vois contraint de t’envoyer la lettre et la note ci-incluses. Ces deux pièces ont besoin d’une petite explication que voici. Ces jours passés, mon vieil et respectable maître, M. de La Rivière, se présenta chez moi ; j’étais sorti. Il dit avoir quelque chose de pressant à me communiquer ; je m’empressai de me rendre chez lui comme je le fais toujours chaque fois que je suppose qu’il peut avoir besoin de moi. Cet excellent homme m’exposa alors que sa position, que son âge et celui de sa femme rendaient plus gênée chaque jour, l’obligeait de me rappeler une dette sur laquelle il s’était tu jusqu’à présent, pensant que ta fortune ou la nôtre ne nous permettaient pas encore d’y faire honneur ; mais la nécessité l’emportant sur son excessive délicatesse, il s’est vu enfin forcé à cette démarche. Cette dette est de 486 fr. 80 et se trouve expliquée dans la note ci-jointe. Je me suis parfaitement rappelé qu’à la mort de ma mère nous avions en effet trouvé ce mémoire dans ses papiers, mais je pensais qu’Abel s’était chargé du soin de te l’envoyer, et depuis j’avais totalement oublié cette dette que je croyais éteinte avec le petit nombre d’autres modiques dettes que ma mère a laissées, et dont la majeure partie fut, dans le temps, acquittée avec le produit de son argenterie et de ses robes ; je savais aussi que tu avais fait honneur aux autres créanciers, et je croyais M. de La Rivière de ce nombre. — Comme le besoin était pressant, je pris l’avis de ma femme, et, de son consentement, je m’empressai d’envoyer à M. de La Rivière une somme de deux cents francs que j’avais disponible et que je réservais pour m’acheter une montre ; cette somme, mon cher papa, servira à décharger d’autant le total de la dette ; c’est une fort légère privation que je m’impose en renonçant à cette montre, et je puis la faire sans me gêner. D’ailleurs je sais, excellent père, que tu es loin d’être riche, et, puisque je suis pour une part dans la dépense faite par M. de La Rivière, ces 200 francs seront ma cotisation personnelle ; ne songe donc plus qu’au reliquat de 286 fr. 80. Il est absolument inutile que je te dise, cher papa, combien une créance de ce genre est sacrée. Le peu que nous savons, le peu que nous valons, nous le devons en grande partie à cet homme vénérable, et je ne doute pas que tu ne t’empresses de le satisfaire, d’autant plus qu’il en a besoin ; il ne subsiste que du produit d’une petite école primaire dont le modique revenu diminue de jour en jour : l’affaiblissement progressif de ses organes et de ses facultés lui faisant perdre par degrés tous ses élèves. Il a attendu dix ans avec une délicatesse admirable, et c’est le seul reproche qu’on lui puisse faire, car je suis sûr que tu aurais fait cesser l’objet de sa réclamation si tu l’avais connue plus tôt. — C’est ce que je lui ai dit en l’engageant à m’envoyer en hâte son compte pour te le faire parvenir ; tu le trouveras ci-inclus avec la lettre qu’il m’a écrite. Je vais m’occuper de chercher l’ancien mémoire détaillé, et, si je le trouve dans le peu qui nous reste des papiers de ma mère, je te l’enverrai sans perdre de temps ; en attendant, tu peux considérer sa note comme authentique.

Adieu, mon bien cher père, mon Adèle te prie d’embrasser pour elle ses deux mères[56] et de leur dire que Juju et Didine se portent à merveille. Tout va bien ici, et tout est impatient de revoir maman Foucher.

Mille hommages à Mme Br…[57], Pinlevé, etc., amitiés à tes amis.

M. de La Rivière, chef d’institution primaire, demeure rue Saint-Jacques, vis-à-vis l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas.

Je t’embrasse bien tendrement.

Ton fils respectueux et dévoué,
Victor.

Je m’occupe de toutes tes commissions.

Le roi m’a fait annoncer qu’il avait ordonné qu’on ajoutât, à toutes les

faveurs dont il m’honore, un envoi de porcelaines[58]. C’est me combler
À Monsieur le baron de Malaret,
Secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux.


Paris, 21 juillet 1825.
Monsieur le baron,

Je ne reçois qu’aujourd’hui votre aimable lettre du 20 juin ; j’attends encore le recueil.

Je le lirai avec une vive satisfaction, certain d’y trouver une agréable compensation de la médiocrité des concours des années précédentes.

Quand je parle de la faiblesse des concours précédents, c’est presque une ingratitude de ma part, puisque sans cette indulgence de l’Académie, je n’aurais pas avec vous, monsieur le baron, l’honneur d’une confraternité qui est certainement un de mes plus précieux titres. Mais vous excuserez cette franchise qui d’ailleurs ne pourrait blesser que les lauréats. L’Académie ne peut pas créer des poètes : elle ne peut que les couronner.

Cependant, monsieur, l’Académie des Jeux Floraux exerce depuis trois cents ans sur les lettres une salutaire influence ; et il est douteux que cet éloge soit mérité au même degré par sa vaniteuse sœur cadette, l’Académie française.

La connaissance personnelle que j’ai de tout votre mérite me donne la conviction que nous verrons s’étendre et s’accroître cette influence sous votre gestion. Vous êtes maintenant, en quelque sorte, le guide d’un corps poétique qui peut acquérir une grande importance en se plaçant à la tête du mouvement littéraire qui renouvelle de nos jours le domaine de la pensée. L’Académie des Jeux Floraux, fondée par des troubadours et instituée par une femme, est toute nationale, toute poétique par son origine : elle doit être toute nationale, toute poétique dans son action.

Voilà le but, monsieur le baron, auquel vous me trouverez toujours empressé de coopérer. Je suis fort peu de chose, mais votre aide et votre suffrage me donneront quelque valeur.

Veuillez croire que personne n’est flatté plus que moi des nouvelles relations qui vont s’établir entre nous, et agréer l’assurance des sentiments respectueux avec lesquels j’ai l’honneur d’être

Votre très humble serviteur et très indigne confrère,

Victor Hugo.
À Monsieur Foucher[59].


Paris, 25 Juillet 1825.
Mon cher père,

J’aurais déjà depuis longtemps répondu à la première de vos deux aimables lettres si notre bonne maman Foucher ne m’en eût détourné par l’assurance que vous ne seriez plus à Nantes quand ma réponse arriverait. J’étais à la fois chagrin de ne pas savoir où vous écrire, et de penser que vous quittiez si tôt cette ville natale où vous avez retrouvé, comme vous nous le dites si bien, dans votre nouvelle connaissance, l’oncle Trébuchet, quelque chose d’un vieil ami. C’est un homme spirituel, modeste et bon ; vous devez sympathiser. Ch. Nodier me disait l’autre jour en portant votre santé que vous étiez l’un des hommes les plus remarquables d’esprit et de caractère qu’il eût jamais vus ; tout le monde ajouta : et l’un des plus aimables. Sur quoi mon Adèle reprit : et l’un des plus aimés. Ce chorus d’amitié et de famille aurait bien dû rencontrer quelque sylphe complaisant qui vous l’eût apporté à Nantes.

Le nouveau commissaire royal Taylor[60] est bien sensible aux félicitations que vous réservez au Vte[61]. Il est reconnaissant de vos bons offices comme il doit l’être et m’a parlé hier soir de vous une bonne demi-heure. Je vous prie, cher papa, de croire que je ne me bornais pas au rôle d’écho.

M. de La Rochefoucauld est parti avec Beauchesne pour les Pyrénées. Nous allons, nous, partir le 1er août pour les Alpes. Pendant ce temps-là vous verrez la mer, puis nous nous retrouverons tous vers la mi-septembre à Paris, et nous nous raconterons tous les trois, lui, la hauteur du Pic du Midi, vous, la sublimité de l’Océan, et nous la grandeur du Mont Blanc.

Il m’a du reste avant de partir annoncé officiellement la porcelaine. Mais je n’ai pas eu de nouvelles depuis, non plus que de l’Imprimerie royale[62]. Je prévois que rien de tout cela ne se fera avant mon retour.

Nous avons vendu notre futur Album de Chamounix[63] à Urbain Canel[64] et Maurice, Nodier fournit le texte et reçoit 2 250 fr. ; Lamartine quatre méditations, 2 000 fr. ; Taylor huit dessins, 2 000 fr. ; moi quatre odes, 2 250 fr. Ladvocat est venu hier chez moi pour une 3e édition[65] que le graveur fait attendre ; quand je lui ai annoncé que l’Album de quatre voyageurs était vendu, il a été atterré.

Le petit journal de votre voyage nous fait grand plaisir. Vos observations sont pittoresques et piquantes. Vous seriez un excellent collaborateur d’Album romantique. Je n’ai plus de place que pour vous dire que maman, Adèle, Juju, Didine, Abel, M. et Mme Asseline, M. et Mme Deschamps, M. et Mme Nodier, et Paul que j’aurais dû nommer plus tôt et François et Biscarrat, vous aiment et parlent de vous et se portent bien ; embrassez pour nous notre oncle, nos tantes et toute la famille de Nantes. Mon Adèle vous embrasse bien tendrement et moi aussi.

Votre fils profondément dévoué,
Victor[66]


Monsieur le lieutenant-général comte Hugo, Blois.


Paris, 31 juillet 1825.
Cher papa,

Nous apprenons, pour la première fois avec regret, que tu vas bientôt venir à Paris ; c’est que nous en partons, et tu conviendras qu’il est dur d’en partir quand tu vas y arriver.

Notre excursion en Suisse s’exécute ; mardi, à 2 heures du matin, nous roulerons vers Fontainebleau. J’ai été horriblement souffrant toute la semaine d’un torticolis ; mais je suis mieux, et le voyage achèvera de me remettre.

Les libraires paient notre voyage et au delà. Ils me donnent 2 250 francs pour quatre méchantes odes : c’est bien payé. Je ne crois pas que Lamartine puisse être de la partie : il vient d’être nommé secrétaire d’ambassade à Florence. Nodier est des nôtres.

Je te remercie pour M. de La Rivière ; je lui ai écrit tes bonnes intentions ; j’aurais seulement désiré que tu pusses lui donner quelque chose avant le 1er janvier.

Nous avons vu M. Driollet. Il dit que l’affaire Lambert va bien[67]. Abel en dit autant.

Ta femme avait bien raison. Cette Augustine était pire qu’un mauvais sujet. C’était un petit monstre. Nous l’avons renvoyée. Elle est placée chez un herboriste. Je voudrais que tu en fisses prévenir sa mère.

Didine se porte à merveille. J’ai commandé des cartes séparées pour ta femme et pour toi. Il n’est plus de mode, à ce que m’a dit le graveur, d’en donner de collectives.

Adieu, mon excellent père ; embrasse ta femme pour nous. Nous t’embrassons bien tendrement.

Ton fils respectueux et dévoué,
Victor.

Adolphe[68] te remettra les cartes[69].


Au général Hugo.


Paris, 10 octobre 1825.
Mon cher papa,

Nous voilà définitivement de retour à Paris. Nous n’avons fait que courir à droite et à gauche tout le mois de septembre, et nous avons terminé ces jours-ci nos promenades par une excursion à Montfort-l’Amaury, charmante petite ville à dix lieues de Paris, où il y a des ruines, des bois, un de mes amis[70], et un des tiens, le colonel Derivoire, qui a servi sous toi. J’ai beaucoup parlé de toi avec ce brave qui t’aime et te vénère, et désire vivement te voir. Il compte faire le voyage de Paris la première fois que tu y viendras.

Nous désespérons presque, cher papa, d’avoir le bonheur de t’y voir cette année, puisque la saison s’avance sans t’amener. Cependant M. Lambert t’avait presque promis à tous tes amis de Paris.

Il m’est malheureusement impossible de rien faire pour le professeur dont tu m’envoies une lettre. J’ai beaucoup moins de crédit qu’on ne m’en suppose, et j’ai dû dernièrement employer le peu d’influence que je peux avoir sur Mgr l’évêque d’Hermopolis, pour obtenir une bourse à l’un de nos cousins Trébucher. Le succès n’est même pas encore décidé. Tu sens que toutes mes forces doivent être dirigées vers ce but, si important pour notre malheureux oncle Trébucher, et que je ne pourrais occuper le ministre d’une autre affaire sans nuire à la sienne. Qui trop embrasse mal étreint.

Nous avons trouvé ici à mon retour les 200 cartes commandées pour toi : elles me paraissent fort belles. C’est un petit cadeau qu’Adèle veut faire à ta femme, indique-moi un moyen de te le faire parvenir.

Adieu, cher papa, toute la famille Foucher, Abel, Adolphe, tous nos cousins embrassent ta femme et toi de tout cœur et ne font en cela que se joindre à nous.

Ton fils tendre et respectueux,
Victor[71].


À Monsieur le baron Taylor.


Mardi, 18 octobre 1825.

Avez-vous, mon cher collaborateur, promis ou destiné votre loge pour jeudi, et pourriez-vous, sans vous gêner le moins du monde, en disposer en faveur de ma femme ? elle a grande envie de voir Talma[72] et Mlle Mars[73] dans l’École des Vieillards ; et les journaux l’annoncent pour jeudi prochain.

Quand donc viendrez-vous pour nous demander sans cérémonie votre part du dîner de ménage ? Vous savez le plaisir que vous nous ferez.

Personne ne vous est plus cordialement dévoué que moi.

Victor Hugo.


  1. Alphonse Rabbe, historien, ami de Victor Hugo ; une poésie des Feuilles d’automne lui est dédiée.
  2. Bibliothèque municipale de Blois.
  3. Bibliothèque municipale de Blois.
  4. Rédacteur à la Quotidienne, conservateur de la bibliothèque de l’Arsenal.
  5. Victor Hugo était allé, avec sa femme, passer quelque temps chez le général Hugo. Il reçut là cette lettre inédite du vicomte de la Rochefoucauld qui était alors « chargé de tout ce qui concerne les arts dans leurs rapports avec la Maison du Roi ».
    Paris, le 25 avril 1825.
    Je n’ai pu résister au désir de soumettre sans retard au Roi la demande de Monsieur Victor Hugo, et je ne veux point tarder non plus à lui apprendre que S. M. vient, sur ma proposition, de le nommer chevalier de la légion d’honneur. Le Roi y a mis une grâce charmante qui semble doubler le prix d’une faveur si bien méritée, et s’est étonné même de l’oubli dans lequel étaient restés MM. Hugo et de Lamartine. Pour moi, je suis personnellement heureux qu’il m’ait été réservé de réparer une erreur dont les lettres avaient à s’affliger.
    Il recevra incessamment une lettre officielle ; mais je n’ai point voulu perdre un moment pour lui apprendre cette nouvelle qui est pour moi un véritable bonheur.
    Je lui offre mille compliments sincères.
    le vte de la rochefoucauld.
  6. Ami de Victor Hugo et, d’après Biré, « le frère aîné des romantiques » ; ses contes et ses romans sont presque tous peuplés de vampires, de démons, de lutins ; il a publié de nombreux ouvrages scientifiques, historiques et bibliographiques. Admirateur passionné de Shakespeare et de Gœthe. Il mourut bibliothécaire de l’Arsenal.
  7. D’après une copie prise dans les Archives Spoelherch de Lovenjoul. L’original était dans la collection du baron de Stassart, à l’Académie royale de Belgique, à Bruxelles. Il en disparut en 1914-1918, pendant l’occupation de la Belgique.
  8. Alfred de Vigny dans Le Journal d’un poète donne le plan et quelques vers de L’Enfer qui n’a pas été terminé ; c’eût été une suite à Éloa.
  9. La croix et l’invitation au sacre.
  10. Archives de la famille de Victor Hugo.
  11. La Chapelle de Notre-Dame du Chêne.
  12. Soumet, pour ne pas compromettre son élection à l’Académie française, s’était séparé de la nouvelle école et avait imposé, de concert avec Guiraud, la disparition de la Muse française.
  13. Propriété que le général Hugo possédait, à quelques lieues de Blois.
  14. À travers les lignes de la lettre sont tracés de grands traits en circonvolutions bizarres.
  15. Père et mère d’Émile et Antoni Deschamps. Antoni Deschamps, le poète dantesque comme l’appelaient ses amis, traduisit, pour ses heureux débuts dans la littérature, la Divine Comédie, en 1829 ; puis il publia, dans la Revue des Deux Mondes, une série d’Études italiennes fort appréciées ; un volume de vers : Dernières paroles, sorte d’autobiographie, dépeint les angoisses que lui causait son état mental ; neurasthénique et guetté par la folie, il s’analysait fort bien ; vers 1831 il se retira chez le docteur Blanche et continua à travailler ; il mourut en 1869. Son dernier volume : Résignation, dépeint l’état de son âme douloureuse et profonde.
  16. Archives de la famille de Victor Hugo.
  17. Victor Foucher, frère aîné de madame Victor Hugo, fit sa carrière dans la magistrature. En 1851, il était conseiller à la cour de Cassation ; tout dévoué à l’empire il n’eut avec son beau-frère exilé que des rapports lointains.
  18. Julie Foucher, née le 22 septembre 1822.
  19. Sœur de Mme Foucher.
  20. Premier professeur d’Eugène et de Victor.
  21. Bibliothèque nationale.
  22. Villemain était, en 1825 professeur de littérature française à la Sorbonne ; académicien, secrétaire perpétuel de l’Académie dès 1832 ; écrivain très apprécié, il avait déjà obtenu de nombreux succès ; il fut ministre de l’Instruction publique en 1844 ; il publia de nombreux ouvrages littéraires et historiques ; son amitié pour Victor Hugo ne se relâcha jamais, même sous l’empire.
  23. Nous rappelons que Victor Hugo et sa femme demeurèrent jusqu’en 1824 chez M. Foucher, Hôtel des Conseils de Guerre.
  24. Bibliothèque nationale.
  25. Julie Duvidal de Montferrier.
  26. Le baron Taylor, écrivain et dessinateur, organisa plusieurs sociétés philanthropiques en faveur des artistes et fut l’un des fondateurs de la Société des Gens de Lettres. Admirateur de Victor Hugo dès ses débuts, il lui fut attaché jusqu’en 1850 environ ; la politique les sépara.
  27. Zoé, sœur de Julie Duvidal.
  28. Le vicomte de La Rochefoucauld.
  29. Femme du colonel Brousse, ami et voisin du général.
  30. Bibliothèque nationale.
  31. Peintre et littérateur, secrétaire général des Musées royaux.
  32. Mère d’Achille et Eugène Devéria, tous deux peintres et dessinateurs de talent ; Achille Devéria fit de Victor Hugo, en 1829, un portrait qui eut un grand succès. Dans le manuscrit de L’Homme qui Rit, on lit cette note écrite par Victor Hugo sous un portrait : « Les dessins quelconques qui sont dans mes manuscrits sont tous de moi. Celui-ci, par exception unique, n’en est pas. C’est le portrait d’Eugène Devéria, fait par lui-même, et en 1824. Il l’avait donné à mon frère Abel, duquel je le tiens. » Bibliothèque Nationale.
  33. Bibliothèque nationale
  34. Dessinateur et illustrateur anglais. Il illustra plusieurs œuvres de Dickens.
  35. Bibliothèque Nationale.
  36. Bibliothèque nationale.
  37. Chef de cabinet de La Rochefoucauld au département des Beaux-Arts.
  38. Bibliothèque nationale.
  39. Agier avait publié, en mars 1820, dans le Conservateur, un article félicitant les frères Hugo qui venaient de fonder le Conservateur littéraire ; il avait même associé leur mère aux éloges qu’il leur décernait. Agier exerça une influence politique considérable sous le règne de Charles X.
  40. Alissan de Chazet, littérateur et auteur dramatique, avait connu Victor Hugo à la Société des Bonnes Lettres, en 1821, et l’avait toujours encouragé et aidé de tout son pouvoir.
  41. Bibliothèque nationale.
  42. Des 24 et 26 mai. Mme Victor Hugo s’y plaint du mauvais accueil de sa belle-mère, de sa froideur, de sa sécheresse et recommande à son mari de ne pas faire allusion à ses lettres vis-à-vis du général. Elle prie Victor de venir la chercher à Blois : « … nous partirions deux jours après, je retiendrais nos places, nous leur donnerions un prétexte quelconque ». Deux jours après, les choses s’aggravent : « … J’ai appris avec peine aujourd’hui des choses qui me prouvent que Mme Hugo nous supporte difficilement et qu’elle s’en plaint… il faut que tu écrives que des affaires que tu ne prévoyais pas te forcent de rentrer à Paris ».
  43. Mme Brousse avait consolé Mme Victor Hugo et s’était montrée tendre et affectueuse.
  44. Sosthène de La Rochefoucauld.
  45. Bibliothèque nationale.
  46. Idem.
  47. Idem.
  48. Académicien, auteur dramatique, l’un des fondateurs de la Société des Bonnes Lettres, député de la Haute-Marne.
  49. Bibliothèque nationale.
  50. Inédite.
  51. Lettre de Mme V. Hugo, 27 mai : elle annonce à son mari qu’elle quittera Blois le 29 ou le 30, avec sa bonne et le bébé. À Paris, sa mère viendra au-devant d’elle. Elle excuse sa belle-mère et lui pardonne.
  52. Bibliothèque Nationale.
  53. Le 5 juin le Moniteur universel annonçait la nomination du Maréchal de camp Hugo au grade de Lieutenant-général.
  54. Le Sacre de Charles X.
  55. Bibliothèque municipale de Blois.
  56. Mme Foucher, d’après ces mots, semble être allée passer quelque temps chez le général Hugo.
  57. Mme Brousse.
  58. Bibliothèque municipale de Blois.
  59. Inédite.
  60. Nommé commissaire royal près le Théâtre Français, le 9 juillet 1825.
  61. De la Rochefoucauld.
  62. L’imprimerie royale devait, par ordre du roi, imprimer l’Ode sur le Sacre de Charles X.
  63. Le traité fut signé par Victor Hugo, Nodier et Taylor ; Lamartine se récusa. L’Album ne parut pas, les éditeurs ayant fait de mauvaises affaires. Victor Hugo publia, en août 1829, dans la Revue de Paris, un fragment du récit de ce voyage. Un second fragment parut en 1831 dans la Revue des Deux Mondes ; en 1863, Mme Victor Hugo introduisit ces deux fragments dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. On les lira en tête du tome II des Voyages. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  64. Urbain Canel, l’année suivante, édita Bug-Jargal.
  65. Des Odes.
  66. Bibliothèque Nationale.
  67. Le général Hugo était, à sa mort, l’un des administrateurs de la banque Lambert.
  68. Adolphe Trébuchet.
  69. Bibliothèque municipale de Blois.
  70. Adolphe de Saint-Valry.
  71. Bibliothèque municipale de Blois.
  72. Grand tragédien du Théâtre-Français, il introduisit dans l’art tragique le naturel et la simplicité ; il exigea que les costumes fussent établis d’après les documents antiques.
  73. Créatrice de Doña Sol dans Hernani, de la Tisbe dans Angelo, elle fut une des célébrités de la Comédie-Française.