Correspondance de Victor Hugo/1835

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(tome 1p. 544-547).
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1835.


À Lamartine.[1]


Merci, mon illustre frère. Votre lettre m’est arrivée au moment où je lisais des vers divins qui sont de vous. J’étais avec le poëte au moment où l’ami est venu me serrer la main.

Vous avez raison pour le 4e acte[2]. Cela tient à ce que la pièce n’est pas jouée comme je l’ai écrite. Lisez-la. Vous serez content du 4e acte précisément par le point que vous désirez. Mais les stupides impatiences des gens qui veulent toujours qu’on se hâte au théâtre, nous obligent souvent à n’y montrer que des raccourcis, surtout dans les derniers actes.

Heureusement la pièce imprimée nous venge de la pièce représentée.

J’irai chercher votre 4e[3] volume.

Mettez-moi aux pieds de votre femme. Je suis à elle du fond de l’âme et à vous du fond du cœur.

Victor Hugo[4].
1er mai [1835].


À Mademoiselle Louise Bertin.


Ce mardi matin, 22 mai 1835[5].
Mademoiselle,

Quoique Poupée se soit chargée de vous donner des nouvelles de toute la maison, permettez-moi d’ajouter un mot à sa lettre. Ma femme se propose d’aller dîner avec vous aux Roches jeudi soir à six heures (demain[6]) ; je viendrai la prendre le lendemain (vendredi), et je la ramènerai le soir à Paris. Didine l’accompagnera, et je compte mener avec moi Boulanger, si votre excellent père veut toujours bien de lui et de moi. Je vous apporterai ce que vous m’avez demandé pour notre scène nocturne.

Nous nous promettons un bien grand plaisir de cette promenade aux Roches, de cette journée passée dans la bonne et hospitalière maison où nous avons passé tant d’heureuses semaines. J’espère que vous ne refuserez pas de nous chanter quelque chose de Notre-Dame. Moi surtout, dont toutes les journées s’envolent dans un travail sans relâche, j’aurai bien besoin, pour me reposer les yeux et l’esprit, d’un peu de votre verdure et de beaucoup de votre musique.

À propos de musique, Didine et Liszt me donnent des leçons de piano. Je commence à exécuter avec un seul doigt d’une manière satisfaisante Jamais dans ces beaux lieux. Je ne comprends pas comment Poupée ne vous raconte pas ce grand événement dans sa lettre. Pardon, mademoiselle, de vous parler de ces enfantillages. Si je ne vous savais bien occupée et si je ne craignais que vous ne vous crussiez dans l’obligation de me répondre, je vous écrirais de temps en temps. Vous m’avez dit un jour que vous aimiez à recevoir des lettres quelconques. Je vous écrirais des lettres quelconques ; celle-ci en est bien une.

Quand je veux me rappeler des journées douces et bien employées, parmi les plus douces et les mieux employées de ma vie, je vais méditer quelques instants dans mon salon, devant la petite voiture de cartes que nous avons faite à nous deux. C’est jusqu’à présent notre chef-d’œuvre, en attendant Notre-Dame.

Adieu, mademoiselle Louise ; à vendredi. Dites bien à votre bon père que je suis à lui et à vous du fond du cœur, et veuillez recevoir avec votre bonté ordinaire l’hommage d’amitié respectueuse de votre signor poeta.

Victor H.

Mes respects, je vous prie, à madame Bertin et mes bonnes amitiés à Édouard.


À Léopoldine.

Je t’écris sur de bien vilain papier, ma Didine, mais je voudrais y mettre tant de jolies choses que ce vilain papier devînt charmant pour toi.

J’espère que tu as été bien sage, bien douce, bien tranquille, bien bonne avec ta mère qui est si bonne.

En attendant que je te revoie, il faut que tu me remplaces près d’elle, et que tu lui tiennes lieu aussi de tous les autres chers petits enfants qui sont tristes à Paris, pendant que tu es heureuse à Angers[7].

Quand tu les reverras, tu embrasseras pour moi Charlot sur ses deux bonnes joues, Toto sur le front et Dédé sur sa jolie petite bouche.

Je t’aime bien, ma Didine.

Ton petit papa,
V.[8]
Amiens, 3 août [1835].


À Léopoldine.


Du Tréport, 6 août 1835.

Merci de ta bonne petite lettre, ma Poupée ; je serai bien heureux le jour où je t’en remercierai sur tes deux joues.

Je suis au bord de la mer, c’est bien beau ; mais si tu étais dessus avec ta mère et les autres petits, cela me paraîtrait bien laid.

Je suis charmé de l’histoire des vaches qui ont donné à boire à ton grand-papa. Je te dirais bien de les embrasser de ma part, mais tu ne les as plus là sous la main.

Adieu, à bientôt, ma Didinette ; écris-moi, et dis à ta maman qu’elle te donne un baiser et la somme de dix sous.

Ton petit papa,
V.[9]


Monsieur Antoine de Latour,
précepteur de M. de Montpensier, aux Tuileries.


Aux Roches, 2 octobre [1835].

Merci de votre bonne lettre. Je n’ai fait que passer au Tréport, fort obscur et fort perdu dans le gros des passants. J’aurais eu grand plaisir à vous serrer la main, mais je vous aurais voulu seul, et il faut que mes amis me pardonnent un peu mes fantaisies d’homme rêveur et farouche.

Je m’étais enfui de Paris à l’approche de l’anniversaire de juillet. Je n’aime pas le vacarme parisien ces jours-là. Et puis je croyais fuir une fête et il s’est trouvé que j’avais fui une catastrophe[10].

En somme, j’ai été charmé de ce petit voyage que j’ai fait. J’aime mieux le spectacle de la mer que le spectacle des Chambres, et je trouve la vague de l’océan plus belle que la vague des événements. Me voici maintenant à Paris, ou tout près d’y être. Venez me voir quand vous aurez loisir. En attendant pensez à moi comme à un ami.


À Mademoiselle Louise Bertin.


Vous avez écrit à ma femme, mademoiselle, une bien charmante lettre et dont j’ai pris ma part. Vous êtes cent fois bonne d’avoir pris ces vers avec quelque plaisir. C’est tout ce que j’en voulais. Il y a en vous tant de vraie et de grande poésie que toute celle qui sort de nous doit toujours vous sembler peu de chose.

Me voici maintenant achevant ce volume[12] dont une partie aura poussé parmi les fleurs des Roches et le reste dans les fentes des pavés de Paris. De là dans ce volume deux couleurs, l’une poétique qui vient de chez vous, l’autre politique qui vient de dessous les pas de tout le monde.

Soyez indulgente et bonne pour le tout.

Nous parlons bien souvent de vous ici, dans nos soirées déjà longues, de vous, d’Édouard, de vos excellents et vénérés parents. Et sitôt qu’on dit Louise, on est sûr de voir se tourner quatre petites têtes.

Ces chères petites têtes vous aiment bien, et si ce n’était pas une partie de leur bonheur, vraiment j’en serais jaloux, moi qui suis jaloux.

À bientôt, mademoiselle, parlez un peu de nous sous les dernières feuilles de vos beaux arbres. Nous avons pour vous une amitié qui ne s’effeuille pas.

J’y joins un dévouement sincère et profond.

Votre respectueux ami,
Victor H.
19 8bre. Paris.
  1. Inédite.
  2. Dans sa lettre du 29 avril, Lamartine écrivait à Victor Hugo : « L’idée du 4e, selon moi une des plus neuves au théâtre, n’est pas suffisamment exploitée. Revenez-y ». La fin de ce quatrième acte (Angelo, première partie, troisième journée) fut supprimée à la représentation et ne fut rétablie qu’à la reprise, au Théâtre Sarah Bernhardt, le 7 février 1905.
  3. Souvenirs, impressions, pensées et paysages.
  4. Communiquée par Mlle  Mariotte.
  5. Il y a erreur de date ; le 22 mai tombait en 1835 un vendredi.
  6. Jeudi (matin) ne s’accorde pas avec la date de la lettre : mardi.
  7. Mme  Victor Hugo et Léopoldine étaient allées assister au mariage de Victor Pavie, à Angers.
  8. Archives de la famille de Victor Hugo.
  9. Archives de la famille de Victor Hugo.
  10. L’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe.
  11. Archives de la famille de Victor Hugo.
  12. Les Chants du Crépuscule, dont Victor Hugo avait envoyé un choix de pièces à M. Bertin pour l’insertion dans le Journal des Débats. Mlle  Bertin avait écrit à ce propos à Mme  Victor Hugo les incertitudes de sa famille, quant aux poésies à publier : « Papa a été si ébloui, si enchanté de tout ce qu’il a lu, qu’il ne savait à quoi se résoudre. » Les Chants du Crépuscule parurent le 27 octobre 1835.