Correspondance de Victor Hugo/1853

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1853.


À Madame de Girardin.


Marine-Terrace, 9 janvier 1853.

Ma femme m’est revenue parlant de vous avec tout son cœur que vous connaissez. Vous allez avoir un immense succès, et j’en suis joyeux dans mon trou noir. Lady Tartuffe ira aux nues. Vous voyez que je suis plus à Paris que je n’en ai l’air.

Ma femme me conte que mon manifeste vous a un peu effarouchée. Il ne dit rien pourtant que ce qui est à chaque page de Nap.-le-Petit. L’insurrection contre cet homme, droit et devoir. Et puis, je veux sauver sa tête, et par conséquent toutes les autres têtes. Je ne vois pas bien clairement ma férocité. Expliquez-la-moi.

J’introduis de nouveau près de vous une personne digne de vous approcher, car c’est un noble esprit et un noble talent. Mme Jul. Dillon. Vous l’avez vue chez moi, et, je crois, chez vous. Vous l’avez entendue. Elle donne au piano, cette bête de bois, une âme magnifique. Elle vous aime et vous admire, recevez-la, je vous prie, comme vous me recevriez moi-même. Elle n’ose pas vous approcher sans un mot de moi. Vous ne feriez pas peur à un homme, mais vous faites peur à une femme, et c’est tout simple. Il y a dans les êtres comme vous quelque chose des dieux. Les auréoles sont pleines d’éclairs.

Hélas ! je ne serai pas à Lady Tartuffe ! L’exil est lourd, vous le voyez. Je serais féroce que j’en aurais le droit, convenez-en.

Je vous baise tendrement les mains. Ma femme et ma fille vous embrassent.

Victor Hugo[1].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 23 janvier [1853.]

Que devenez-vous ? Voilà des siècles que je n’ai de vos nouvelles. Je commence à me plaindre aux échos.

Je me sens devenir un peu Schœlcher. Vous n’avez pas répondu à mes questions. Relisez, je vous prie, ma dernière lettre que vous avez reçue il y a, aujourd’hui 23 janvier, une dizaine de jours.

Avez-vous compté avec M. Tarride le 15 ? Croyez-vous qu’il paiera assez rondement les 2 500 fr. qu’il doit au 31 janvier, et qu’on peut se dispenser de faire présenter à échéance l’effet par M. de Pouhon ? (Dans ce dernier cas, ne serait-il pas nécessaire, pour que M. de Pouhon pût le présenter efficacement, que j’endossasse l’effet ? Alors, il faudrait me l’envoyer. Se presser, aller et retour. Aurait-on le temps avant le 31 ?)

Mais j’espère que Tarride paiera tout rondement, comme il le doit.

Avez-vous prévenu MM. Marescq que je ferai présenter chez eux une quittance de 618 francs fin janvier ? Pourrai-je, dans les premiers jours de février, leur en faire présenter une de 300 francs ? Réponse.

D’après l’avis unanime, je m’arrête à ce titre :

châtiments,
par, etc.

Ce titre est menaçant et simple, c’est-à-dire beau.

Je fais force de voiles pour finir vite. Il faut se presser, car le Bonaparte me fait l’effet de se faisander. Il n’en a pas pour longtemps. L’empire l’a avancé, le mariage Montijo l’achève. Si le pape le sacrait, tout irait bien. Donc il faut nous hâter. Je voudrais pouvoir vous envoyer le manuscrit en bloc. Indiquez-moi le moyen. — Envoyez-moi le spécimen du livre.

Tout ceci veut dire que je vous aime de tout mon cœur. Dites à vos amis que le jour où j’aurai fini les Châtiments, j’enverrai pour eux toute une volée de lettres et de billets doux en Belgique.

V.

Quand M. de Pouhon touchera pour moi les 2,500 fr., dites-lui de ne pas me les envoyer. Je lui en indiquerai l’emploi[2].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 6 février [1853].
Dimanche

Nos lettres se sont croisées. Vous avez mes pleins pouvoirs. J’attends le traité, et je vous enverrai le manuscrit. Un mot pourtant, cher compagnon de combat. Vous me dites à propos de la mer, mais votre mer est transparente : qui est fort n’a pas besoin d’être violent. Or, je vous déclare que je suis violent. Votre maxime est une ancienne protestation des fouaillés contre les fouailleurs. Jugez-la vous-même. Ce qui est fort, etc. Or, Dante est violent. Tacite est violent, Juvénal est violent, Jérémie appelle Achab fumier, David appelle Babylone prostituée. Isaïe dit à Jérusalem : Tu as ouvert tes cuisses au membre des ânes.

Jérémie et David et Isaïe sont violents. Ce qui n’empêche pas tous ces punisseurs d’être forts. Laissons donc là les vieilles maximes, et prenons-en notre parti. Oui, le droit, le bon sens, l’honneur et la vérité ont raison d’être indignés, et ce qu’on appelle leur violence n’est que leur justice. Jésus était violent, il prenait une verge et chassait les vendeurs, et il frappait de toutes ses forces, dit Saint-Chrysostôme.

Vous qui êtes l’esprit et le courage même, abandonnez aux faibles ces sentences contre les forts. Quant à moi, je n’en tiens nul compte, et je vais mon chemin, et comme Jésus, je frappe de toutes mes forces.

Napoléon-le-Petit est violent. Ce livre-ci sera violent. Ma poésie est honnête, mais pas modérée.

J’ajoute que ce n’est pas avec de petits coups qu’on agit sur les masses. J’effaroucherai le bourgeois peut-être, qu’est-ce que cela me fait si je réveille le peuple ? Enfin n’oubliez pas ceci : je veux avoir un jour le droit d’arrêter les représailles, de me mettre en travers des vengeances, d’empêcher s’il se peut le sang de couler, et de sauver toutes les têtes, même celle de Louis Bonaparte. Or ce serait un pauvre titre que des rimes modérées. Dès à présent, comme homme politique, je veux semer dans les cœurs, au milieu de mes paroles indignées, l’idée d’un châtiment autre que le carnage. Ayez mon but présent à l’esprit : clémence implacable.

Je vous envoie, du reste, car je veux que vous sachiez bien quel ouvrage vous allez publier, je vous envoie une pièce qui vous donne la couleur du volume entier. C’est à propos de ma déclaration de Jersey publiée au Moniteur, c’est une réponse aux sottises qu’on a dites et aux chenapans qui nous ont appelés le parti du crime. Lisez et voyez.

Vous comprendrez après avoir lu cela à quel point il faudra que l’impression se fasse mystérieusement. — Du reste, je vous dirai que cette pièce répond ici aux sentiments de tous et des meilleurs, comme Schœlcher, par exemple, qui applaudit des deux mains. Je crois que nous n’avons pas d’autre position à prendre que celle-là, énergie indomptable dans l’exil, afin d’avoir puissance modératrice dans le triomphe. Nous serons modérés quand nous serons vainqueurs. Ce volume d’ailleurs reproduit complètement l’esprit de Napoléon-le-Petit où l’appel aux armes et l’horreur des représailles sanglantes sont à chaque page. — Figurez-vous que vous allez publier quelque chose comme Napoléon-le-Petit en vers.

Gardez ces vers pour vous. Il me semble inutile de les déflorer par des communications anticipées. Montrez-les pourtant, si vous le jugez à propos, à nos co-contractants. S’ils persistent, vous m’enverrez le traité, et je vous expédierai le manuscrit. Mais en plus de trois fois, et avec des intervalles dans l’envoi. Il faudrait imprimer et publier d’ici à un mois. — On le peut.

Le spécimen est bien. J’ai reçu la lettre de M. de Pouhon. Avez-vous écrit à M. Pelvey[3] pour mes 618 francs ? Cela presse. Mes plus tendres amitiés. — Et faites-en part à tous.

Être violent, qu’importe ? Être vrai, tout est là[4].


À Alphonse Esquiros.


Marine-Terrace, 5 mars 1853.

Êtes-vous encore en Belgique ? Êtes-vous encore à Nivelles ? Je vous écris au hasard. Ma pensée va souvent vers vous. Vous devez le sentir. Votre lettre de fin décembre m’a touché le fond du cœur. Il m’a semblé que c’était un serrement de main de nos jeunes années, avec la tendresse qu’épure l’exil.

Vous êtes un des hommes que j’aime le plus et le mieux. Toutes les grandes sympathies de l’avenir et du progrès sont dans votre âme. Vous êtes poëte comme vous êtes orateur, avec l’enthousiasme du vrai dans l’esprit et le rayon de l’avenir dans les yeux. Grandissez, grandissez toujours ; soyez de plus en plus l’homme sympathique, tendre et ferme. Tous tant que nous sommes, intelligences militantes et consciences opprimées de ce siècle des luttes et des transformations, acceptons la grande loi qui pèse sur nous sans nous écraser ; tenons-nous prêts aux révolutions futures des faits et des choses ; soyons dès à présent l’homme-peuple et préparons-nous à être un jour l’homme-humanité.

Je vous écris tout cela au courant de mon esprit, à l’aventure, comme cela me vient, un peu comme la mer jette ses flots, ses algues et ses souffles.

Venez donc la voir, notre mer de Jersey, si vous allez ce printemps en Portugal. On m’assure, et je le crois, qu’en avril Jersey est un paradis. L’hiver y est triste et noir, mais l’été compense. Arrivez-nous, cher poëte, avec avril, avec l’aube, avec le printemps, avec le chœur des oiseaux.

J’ai passé mon hiver à faire des vers sombres. Cela sera intitulé : Châtiments. Vous devinez ce que c’est. Vous lirez cela quelqu’un de ces jours. Napoléon-le-Petit, étant en prose, n’est que la moitié de la tâche. Ce misérable n’était cuit que d’un côté, je le retourne sur le gril.

Ô cher compagnon de pensée et de combat, ne nous décourageons pas. Persistons, luttons, redoublons, persévérons dans la guerre à tout ce qui est

le mal, la haine et la nuit[5].
À Hetzel.


6 mars [1853]. Marine-Terrace.

Je lis votre petit livre[6] . Nous le dévorons tous. Il est charmant. C’est tout votre esprit. Vous avez le plus gracieux style naturel du monde. Vous traitez un peu durement cette pauvre passion. Je vous le pardonne, car, malgré tout, vous êtes passionné. Il y a une foule de choses exquises. Il faudrait causer de chaque page en détail. Quel ennui de s’envoyer des lettres d’affaires, et de raisonner d’auteur à libraire, quand on devrait philosopher de poëte à poëte. Votre lettre à moi sur la violence est excellente et j’ai été charmé de ma page. Vous ferez bien d’éprouver la contrefaçon sur ce joli petit livre. Le résultat, quel qu’il soit, sera utile.

Je viens à moi. Merci de tous vos bons soins.

Il faut finir par prendre un parti. Le livre est tiré, il faut le boire[7]. Où et comment ? That is the question. En Belgique. C’est le meilleur terrain. Clandestinement. Pourquoi pas ? Où y a-t-il défaut de dignité à cela ? La république, la vérité et la liberté sont aujourd’hui dans leurs catacombes. Je ferai quelques lignes de préface pour dire cela. Nul inconvénient à mes yeux. J’étais un peu gêné au contraire de cette publication au grand jour avec procès où je n’aurais pas paru. Cela aurait étonné quelques-uns à commencer par Tarride qui m’écrivait bêtement : vous viendrez plaider, s’imaginant qu’un homme politique pouvait se livrer à la loi Faider. — Donc publication sous le manteau, cela m’irait.

À présent, voici les questions. Oui, mais n’y aurait-il pas contrefaçon ? Quels moyens prendre pour l’empêcher ? Répondez à ceci et à tout. Et puis, l’imprimerie de la Nation n’est-elle pas bien lente ? On a mis là deux mois à imprimer. Il faudrait que notre excellent ami Labarre[8] vous promît rapidité, et que vous vous chargeassiez d’y veiller activement ainsi que lui. Car maintenant il faut se hâter, des événements pouvant éclater et déranger l’opportunité du livre. En ce moment, il arriverait admirablement. On m’écrit de Paris que tout le monde en parle et qu’on s’en communique avidement les vers qu’on croit connaître. Je crois qu’on dépasserait l’effet de N.-le-P.

Un mot des Œuvres oratoires. Tarride m’écrit que Cappellemans a perdu le volume des 14 discours et les pièces qui étaient avec. Ceci est par trop vague, même pour le plus Tarride des hommes. Qu’est-ce que ces pièces perdues ? Il me paraît impossible que Cappellemans ait perdu la liasse des discours que j’ai envoyés d’ici en prévenant lui et Tarride que c’étaient des exemplaires uniques. Si cela était, ce serait donc irréparable. Je ne puis me résigner à cette idée. D’ailleurs on ne perd pas un si gros paquet. Où perdu ? Comment perdu ? Et surtout quoi perdu ? Faites préciser, je vous prie. Et répondez-moi en détail. Quant au volume des 14 discours, dites à M. Tarride que je l’ai et que je puis le lui envoyer. Par quelle voie ? Est-ce par la poste ? — Le temps presse. Il faudrait que les Œuvres oratoires parussent avec les Châtiments. — Voici mes quatre pages du dimanche finies. Mettez-moi aux pieds de votre charmante femme. Il y a des reflets de ses yeux dans votre livre.

Seriez-vous assez bon pour faire mettre cette lettre à la poste à Bruxelles[9].


À Madame de Girardin,


8 mars 1853.

Je ne sais plus que faire. Mes lettres vous arrivent-elles ? Avez-vous reçu la dernière ? Je prends le parti de vous écrire directement, et tout bêtement par la poste à la grâce de Dieu et à la garde du diable ! Que la police de M. Bonaparte soit clémente à ces quelques lignes ; je ne parlerai ni d’elle, ni de lui. Quelle bonne chose que l’exil quand on joue en France toutes les comédies qui ne sont pas de vous, mais quelle triste chose quand on y joue Lady Tartuffe ! Je vous avais écrit dans la joie du succès, je vous envoyais mon bravo et mon applaudissement, — et penser qu’ils ont probablement intercepté cela ! faut-il qu’ils soient bêtes ! Qu’y a-t-il de commun entre un applaudissement et eux, entre l’enthousiasme et eux, entre la gloire et eux ? Mais pardon, j’avais promis de n’en point parler.

Donc, face à face avec ce régime, vous continuez l’esprit, la lumière, la poésie, le succès, toutes les grandes traditions de la pensée et de la France. Je vous en remercie au nom de toutes deux.

On me dit le succès de Lady Tartuffe immense. L’autre jour, jouant avec l’avenir, c’est le jeu favori des proscrits, je disais : « Qui sait ? nous serons peut-être à Paris avant que les représentations de Lady Tartuffe soient finies. — Victor m’a dit : Cela ne prouverait pas que l’Empire durerait peu. » — Je vous envoie le mot.

D’ici je n’ai rien à vous dire que vous ne sachiez. Nous vous aimons. Nous aimons tout ce talent et tout ce courage qui se dépense à côté de vous. Quand je pense à la France, et c’est toujours, je pense à vous. Il semble que vous soyez pour moi une partie de la figure de la France. Je ne vois pas la patrie en laid, comme vous croyez !...

Voici le printemps qui arrive... On me dit que dans un mois Jersey sera un bouquet. Je vous l’offre. Oui, venez. Vous l’avez promis. Vous verrez ma petite cabane sur laquelle viennent s’écumer, sans lui faire peur ni trouble, la mer et la haine. Ce sera charmant de vous voir ; nous mettrons en commun chacun ce que nous avons, vous vos triomphes et votre splendeur, moi ma solitude et mes rêves. Vous échangerez votre Paris contre mon océan. Et puis vous me permettrez de vous aimer sous les deux espèces, comme une charmante femme et comme un grand esprit.

À vos pieds.

Avez-vous vu Mme Dillon ? Vous a-t-elle remis un mot de moi ?[10]


À Louise Colet[11].


Marine-Terrace, 17 mars 1853.

Si toutes mes pensées vous arrivaient, vous recevriez à chaque minute une lettre de moi. Éprouvez-vous ceci : ne pas écrire parce qu’on ne peut tout dire. Cependant je ne veux pas que vous me croyiez abruti ou ingrat, et je vous écris. Cette lettre vous parviendra-t-elle ? La poste la mettra-t-elle dans sa poche ? Oh ! le beau temps que celui de Virgile où les vents se chargeaient des messages des poëtes et les portaient aux dieux ! — Et même aux déesses. — Vous voyez qu’ils vous seraient arrivés.

Cet hiver a été sombre, pluie, brouillard et ouragan, mais j’y ai eu une grande joie : mon dernier fils m’est revenu. Il est maintenant avec moi. J’en remercie Dieu. C’est une triste chose pour le proscrit que le foyer incomplet.

À présent, voici le printemps, j’ai toute ma famille là, j’ai le cœur plus content, le soleil me sourit et je souris au soleil. Autrefois j’avais Paris sous ma fenêtre ; maintenant j’ai l’Océan ; les deux bruits se ressemblent, et les deux grandeurs aussi. Les premières fleurs se montrent parmi les quelques brins d’herbe que j’appelle mon jardin. De temps en temps, je vois, de ma table où je vous écris, un bel oiseau blanc jouer dans l’écume des vagues ou traverser l’azur et la lumière, et il me semble que c’est votre poésie qui passe.

J’ai reçu la note que vous m’avez envoyée et je l’ai classée en son lieu. Elle me sera très utile. Et, soyez tranquille, j’aurai soin de ne compromettre rien, ni personne.

J’ai fait des vers tout cet hiver ; de la poésie pure, et de la poésie mêlée aux événements. Je vais publier les derniers, s’il y a encore moyen de publier quelque chose en Europe. Je ferai en sorte que ce volume vous parvienne. Je ne leur ai encore donné le fouet qu’en prose ; quand je les aurai souffletés en vers, je reprendrai haleine.

Je vous demande des lettres, de longues lettres, de ces belles pages nobles, fermes et douces comme vous les écrivez si simplement. Je vous demande de m’écrire une page pour une ligne, vous qui pouvez tout me dire et qui n’avez pas peur de me compromettre. Je vous demande de ne pas nous oublier, nous autres qui portons le faix de la lâcheté publique et qui souffrons pendant que la France dort. L’oubli d’un cœur comme le vôtre, c’est cela qui serait l’exil.

Continuez d’être la femme fière, grande, calme, indignée, courageuse. Votre attitude, au milieu de ces hontes, est l’honneur de votre sexe et suffit pour consoler les âmes honnêtes. La rougeur viendrait au front s’il n’y avait pas quelques femmes là, depuis vous qui pensez, jusqu’à Pauline Roland[12] qui meurt.

Restez ce que vous êtes, l’esprit charmant, le grand cœur, l’altière intelligence, et laissez-moi vous envoyer du fond de l’ombre mes plus tendres effusions.

Victor Hugo[13].
À Jules Janin.


17 mars [1853]. Marine-Terrace.

Que vous êtes heureux, cher poëte ! Tous les lundis vous écrivez à toute l’Europe des lettres, d’admirables lettres, pleines de cœur, de grâce, de poésie, d’esprit, de style, et toute l’Europe les reçoit et les lit, y compris le proscrit auquel cette manne arrive dans sa solitude. — Mais, nous autres, nous écrivons, nous jetons nos lettres à la poste et la poste les mange. J’écris à Jules Janin et c’est M. Bonaparte qui reçoit les lettres. Voilà un ennui…

Aujourd’hui pourtant, j’espère, grâce au détour que je vais prendre, que ces quelques pages vous arriveront.

Victor m’est revenu tout à fait. Il est près de moi, ce qui m’est doux, et ce qui m’est plus doux encore, il est heureux. Vous lui avez dit plusieurs bonnes paroles qui ont laissé trace dans son esprit. Aujourd’hui, il a les deux yeux tout grands ouverts sur ce qui a été sa folie, et il nous remercie tous, comme un naufragé tiré de l’eau. Les premiers moments ont été durs. Ce pauvre enfant a eu quelques semaines de douleur navrante. En le voyant pleurer à cause de l’amour, je songeais à ce petit Toto des Roches, qui tapait dans ses deux petites mains, en criant : le pape des fous[14]. Vous le rappelez-vous, et ce beau jardin, et ce beau soleil, et les immenses dîners si pleins de joie, et le bon rire de notre père à tous, M. Bertin ? C’était là un temps charmant. Où est-il ce doux mois de mai de notre jeunesse ? Aujourd’hui, vous êtes un grand esprit à demi enchaîné ; moi, je suis un proscrit.

Cela n’empêche pas le printemps de revenir, et j’en remercie Dieu. Je sens déjà dans ma fenêtre des souffles d’avril. Mon petit jardin est plein de pâquerettes comme pour Gœthe et de pervenches comme pour Rousseau. Les poules de ma voisine sautent par-dessus le mur et viennent becqueter familièrement mes brins d’herbe. Vingt pas plus loin, la mer fait comme les poules et saute toute écumante par-dessus mon parapet. Le soleil joue sur tout cela, et à travers une déchirure de nuages j’aperçois la France, à l’horizon. Italiam ! Italiam !

Je fais des vers, toutes sortes de vers, des vers pour mon pays et des vers pour moi. — Ceux-ci, je les garde. Les autres, je vais les publier ; vous les lirez quelqu’un de ces jours. Ces vers ont un double but : châtier dès à présent les coupables régnants, et empêcher dans l’avenir toute représaille sanglante. Si le ciel me prête force et vie, il n’y aura pas une goutte de sang versée à la prochaine révolution. J’ai tâché dans ce volume, comme dans N.-l.-P. de résoudre ce problème : Clémence implacable.

Outre vos sympathiques lettres du lundi, écrivez-moi de temps en temps, cher poëte. Vos cinq pages, si tendres, si nobles, si éloquentes, m’ont remué le cœur. Quelle bonne chose d’aimer les hommes qu’on admire ! Je vous remercie de me donner ces deux joies.

Tuus.
V. H.[15]


À Hetzel.


24 avril [1853].

Schœlcher me répond ; il ne pourrait mettre dans l’affaire que 500 francs[16]. Restent donc mille francs à trouver. Il me semble que cela n’est pas impossible. Le gros obstacle pour moi est toujours ceci : si vous êtes expulsé de Belgique ? Je ne vous connais pas d’alter ego. Un second Hetzel, ce serait une fameuse trouvaille. — Plus j’examine la proposition Mœrtens[17], moins elle me paraît acceptable, telle qu’elle est. D’abord, avec le système de l’édition expurgée, le risque du responsable est bien moindre. Il ne pourrait plus être poursuivi comme éditeur, mais seulement comme vendeur et distributeur de l’édition clandestine complète. Grande différence. Il faudrait de toute nécessité, et c’est l’avis unanime autour de moi, remplacer les 500 francs par mois (énormité) par la combinaison que je vous ai indiquée ; on pourrait, pour détruire toute objection, fixer un minimum par mois, 150 ou 200 francs que nous garantirions au prisonnier, et que nous lui paierions chacun selon la proportion de nos parts, vous un quart, moi moitié. Ensuite toute latitude pour la fabrication, je le comprends, mais il faudrait s’entendre sur ceci : dont le prix pourrait être éventuellement beaucoup plus considérable que d’ordinaire. Ici il y a une ouverture par où l’opération tout entière pourrait passer. Songez à tout cela, cher co-proscrit et conmilito. — Faisons de grands avantages, soit, mais que cela n’aille pas jusqu’à l’abandon de toute chance de produit pour vous, l’éditeur, et pour moi, l’auteur. — Je comprends qu’on ne s’engage pas dans une opération avec Pierre Leroux, esprit trouble, s’il en fut ; mais je ne comprends pas autant les objections contre la fabrication ici, aux conditions que voici : Même prix qu’en Belgique, et alors suppression des éventualités ci-dessus ; — mêmes facilités de paiement, au besoin paiement par un tirage, qu’on pourrait concéder, à l’imprimeur, d’un nombre limité d’exemplaires. — Fabrication sous mes yeux (immense avantage, plus d’envoi d’épreuves par la poste, point d’évent de police possible, économie de temps et d’argent), fabrication, dis-je, sous mes yeux des moulages en carton que je vous enverrais et sur lesquels vous feriez clicher.

Charles Leroux, frère de Pierre, vient d’arriver à Jersey ; il sort de chez moi ; il est au fait, me dit-il, du moulage et même de ses progrès tout récents ; il s’est engagé à m’apporter dans quelques jours une page moulée par lui que je vous enverrai comme spécimen de ce que seraient les matières faites ici, et dont vous jugerez.

Je crois très utile d’avoir le livre en clichés, pas d’emmagasinage, nulle crainte des saisies d’éditions, on tirerait au fur et à mesure des besoins ; on pourrait vendre les clichés en Allemagne, en Suisse, en Amérique, avec des droits de tirage. Tout ceci me paraît faisable, même avec, surtout avec notre imprimerie à nous, si elle se réalise. Mais pour cette imprimerie, n’oubliez pas ces deux points essentiels : 1° votre alter ego ; 2° solution préalable de la question contrefaçon. — Je n’ai plus que quatre lignes. Tout est bien ici. Le discours que je vous ai envoyé est dans tous les journaux avec force dithyrambes. On le vend en anglais et en français (deux tirages) au profit de la caisse de secours. On le fait passer à force en France ; on me dit que l’effet est excellent partout. Nos petits terroristes locaux se taisent. L’immense majorité républicaine est avec les idées de toute ma vie. — Occupez-vous un peu de l’édition des discours, et pressez Tarride. — Le moment va être bon. Adieu, et à vous, et à tous nos amis. Ex imo corde.

Les plus tendres amitiés de Charles — et de tout le groupe de Marine-Terrace, qui vous désire. Charles s’occupe de vous et va vous écrire. Charles Leroux me dit qu’avec la meilleure matrice-carton du monde, on peut faire de mauvais clichés, si la fonte est réfractaire ou le fondeur

malhabile[18].
À Nefftzer.


Manne-Terrace, 26 avril [1853].

Vous avez bien fait de m’écrire ; vous êtes un de ceux que j’aime. Vous rappelez-vous, cher prisonnier d’autrefois, le bien que vous me fîtes le soir que Charles entra dans la Conciergerie. Je vous vis sous ces grandes grilles noires où mon fils allait disparaître ; vous étiez sur le seuil, calme, doux, rayonnant, et vous dîtes bonjour au nouveau venu avec un sourire. Vous représentiez ce qui doit accueillir l’honnête homme dans la prison quand il y entre, la joie.

Je vous le dis alors, et depuis ce jour-là, moi qui vous estimais, je vous ai aimé.

Aujourd’hui votre lettre me fait le même effet dans l’exil que votre sourire dans la prison.

Merci, merci, bon et noble esprit.

Ce gouvernement d’à présent finit par me faire pitié. Il devient vraiment trop misérable. Il n’avait encore été qu’immonde au dedans, le voilà qui devient petit au dehors. Le nain traînant le grand sabre, s’y emberlificotant les jambes, et saignant du nez sur Austerlitz, ce n’est plus drôle. C’est lugubre.

Hélas ! c’est que voilà le drapeau de France hors de France, et qu’on s’en moque, et ce n’est plus seulement nous proscrits qui haussons les épaules, c’est le monde battu par Bonaparte l’ancien qui se met à rire de Bonaparte le neuf ; et voyez-vous, cher prisonnier, je suis toujours un bêta de français, et mon vieux chauvinisme me démange sous ma septième peau comme une gale rentrée. Donc, au lieu de rire comme les autres de la belle figure que fait l’Anglo-France dans la Méditerranée, dans la Baltique et en chemin pour le Danube qui est passé, au lieu de rire, je pleure.

Écrivez-moi. Je n’ai presque plus de papier, et pourtant j’ai le cœur plein. Nous qui sommes ici, nous vous embrassons et vous aimons. Serrez la main, manus magna, qui écrit tant de belles et profondes choses dans La Presse et qui, j’en suis sûr, ne laissera pas choir le drapeau Progrès-Liberté. Vous aussi, vous ferme esprit et vigoureux talent, vous êtes là pour le soutenir.

Je suis vôtre
Ex imo.
V.

Mettez-moi aux pieds de madame Nefftzer. Où êtes-vous, tous nos bons serrements de main et tous les charmants sourires[19] ?


À Hetzel.


5 mai [1853], Marine-Terrace.

Voici : M. Charles Leroux (frère de Pierre) m’avait remis ces jours passés une matrice-carton de mon discours pour que vous puissiez juger de son savoir-faire en ce genre ; mais d’après votre lettre, que je reçois aujourd’hui, je vois que le carton ne vous suffit pas, et c’est juste. Voulez-vous, pour savoir à quoi nous en tenir sur le talent de clicheur de Ch. Leroux, que je lui demande le cliché en plomb d’une page ? Je vous l’enverrais par un de nos amis qui part le 9 pour Bruxelles ; mais pour cela il faut me répondre courrier par courrier oui ou non. Il serait inutile de donner gratuitement cette peine à Ch. Leroux, si nous ne devons pas nous en servir.

Cependant, si, épreuve faite, il se trouvait que Ch. Leroux sait clicher, que penseriez-vous de ceci ? lui faire exécuter sur-le-champ le livre entier en caractères neufs, et vous l’envoyer tout cliché dans une caisse à Bruxelles, où vous tireriez ? Voici les questions qu’il faudrait résoudre : 1°, la caisse pourrait-elle entrer en Belgique ? Y aurait-il des difficultés de douane ? 2°, quel accord serait fait pour le prix ? Ne faudrait-il pas demander un devis à l’imprimeur (un polonais appelé Zéno[20], les Leroux n’y sont qu’ouvriers) ? quels arrangements prendraient les éditeurs pour payer l’imprimeur ? etc. Et toutes les questions pratiques qui découlent de celles-ci et que vous savez mieux que moi. — Il me semble, si Ch. Leroux est bon clicheur, et si toutes les questions ci-dessus peuvent être résolues d’une façon satisfaisante, que la chose serait à merveille ainsi.

On composerait sous mes yeux. Je vous enverrais les épreuves au fur et à mesure, et vous feriez imprimer à Bruxelles en même temps l’édition expurgée. Quant à l’expurgation, je vous enverrais sur l’épreuve mes indications à l’encre rouge, en vous laissant toute latitude pour multiplier les retranchements, absolument comme vous le jugeriez utile. Je pense comme vous qu’il faut que l’expurgée soit inattaquable pour bien couvrir l’autre.

Ceci, du reste, ne nous empêcherait pas de faire notre imprimerie, au contraire. Mon livre s’imprimant tout de suite, je pourrais porter ma souscription à 2 000 francs ; et les clichés des Châtiments seraient une bonne propriété, une vraie vache à lait. Que dites-vous de tout cela ? Répondez-moi bien vite, car notre ami part pour Bruxelles le 9, et ce serait une occasion unique pour vous faire porter les clichés de Ch. Leroux[21]. Plus tard, nous n’aurions que la poste. Frais et périls.

Toutes vos réponses sont bonnes et me vont. Va donc pour Samuel[22], donc pour Mourlon. Je trouve juste et à propos que vous ayez pour alter ego un gendebien. Dites-moi : je suis tranquille, et je le serai.

Les caractères de l’imprimerie d’ici sont anglais, et fort convenables. Du reste, pourvu que cela soit propre et lisible, c’est l’essentiel. Nos livres proscrits ne sont pas tenus à être coquets. Ce qui n’empêche pas Nap.-le-Petit d’être un véritable Elzévir.

Je vous envoie la copie de la lettre de M. Mœrtens, avec mes notes en marge comme vous le souhaitez.

Dans le cas où nous ferions l’affaire imprimerie il va sans dire — c’est ainsi que vous, Schœlcher et moi le comprenons — que personne ne serait engagé en quoi que ce soit au delà de sa mise de fonds.

Tout ce que vous me dites du discours me charme. L’effet est bon partout. J’ai reçu à ce sujet de Belgique de bien excellentes lettres, une entr’autres de Noël Parfait. Remerciez-le pour moi en attendant que je lui écrive. En Angleterre, presque tous les journaux reproduisent le speech, quelques-uns en français, et tous en parlent, même les journaux de sport. Ils en disent (en moins bons termes) ce que vous en dites. Je crois que c’est une bonne pierre dans notre fronde. Remerciez mes amis de Belgique de leur idée de réimpression. Nous avons une petite édition ici qui passe en France à force. Prenons le Bonaparte par les deux frontières. Je compte sur votre promesse de m’envoyer quelques exemplaires de votre édition belge. — Pressez, je vous prie, les Œuvres oratoires (fiat voluntas tua), puisque vous trouvez le titre bon, c’est qu’il est bon. Mais, en définitive, Tarride répondra-t-il à mes questions sur Cappellemans ? Y a-t-il en somme quelque chose de perdu ? ou avez-vous tout retrouvé ? Si quelque chose est perdu, qu’est-ce ? On a une note à l’imprimerie, écrite de ma main, où est détaillé tout le contenu des deux volumes. Il est donc facile de voir si quelque chose manque. Il serait important que je fusse renseigné sur cela, et renseigné d’une façon détaillée et précise. Voulez-vous prendre encore cette peine ?

Vous avez raison quant à universelle, mais, ici, c’était nécessaire. Je vous expliquerai cela, le jour où vous nous donnerez cette grande joie de venir dans notre cabane.

Je suis charmé d’aller côte à côte avec Bancel. C’est un noble et jeune et généreux cœur, et un beau talent. Serrez-lui la main pour moi quand vous le rencontrerez.

Les Châtiments sont très attendus et très annoncés partout, et particulièrement en Angleterre. Un journal anglais que je viens de lire les annonce ainsi : « Victor Hugo va dépasser Nap.-le-Petit. Il prépare un livre terrible, un livre à faire frémir les statues de marbre »;

Répondez-moi tout de suite quant au cliché. Si Ch. Leroux cliche bien, par hasard, ce serait une trouvaille.

Tout mon groupe (Charles compris) est utile ici pour une chose dont je vous parlerai prochainement et qui entrerait parfaitement dans le cadre de nos opérations. Il serait donc difficile, impossible même, de vous le prêter.

Je n’ai plus que la place de vous embrasser. Mettez-moi aux pieds de madame Hetzel. Vous me parlez de ma fille en me parlant de la vôtre. Nos deux cœurs se mêlent dans cette douleur.

À vous. Ex imo[23].


À Noël Parfait.


[Début de mai 1853].

Vous savez, cher et excellent collègue, toute la place que vous avez dans mon cœur. J’étais sûr que ce discours[24] irait à votre esprit qui voit l’avenir si juste. Votre lettre m’a fait un vif plaisir. Je n’ai fait autre chose qu’exprimer les idées généreuses et vraies qui sont dans vos âmes à tous. On m’applaudit, on se trompe. C’est vous tous qu’il faut applaudir. Certes, c’est là un beau spectacle : les victimes se refusant d’avance le sang des bourreaux. Ouvrons les yeux de l’Europe ; ouvrons les yeux de la France et tout sera dit. La lumière est avec nous. Le malheur c’est que nous avons affaire à des aveugles. Apportez-donc le soleil aux chauves-souris ! C’est égal, ne nous lassons pas, ne nous décourageons pas, et surtout ne nous désunissons pas.

La publication de mon discours par les proscrits de Bruxelles me touche vivement[25]. C’est encore là un gage de cette douce et fraternelle intimité à laquelle je ne puis songer sans que les larmes me viennent aux yeux. Restons toujours ainsi ; notre accord, c’est notre consolation dans le présent, c’est notre triomphe dans l’avenir.

C’est un bonheur pour moi de penser que vous avez eu un peu de joie des vers qu’on vous a lus[26]. Vous m’en parlez en termes qui m’enchantent. Cet encouragement, dans un groupe comme le vôtre, c’est la gloire. J’espère que vous aurez avant peu le livre tout entier. Il y a un peu de reculade depuis la loi Faider ; mais avançons de tout ce qu’on recule ! Je comblerai l’intervalle, et le livre paraîtra bientôt, soyez tranquille. Châtiment à ces bandits ; secours à la République. C’est le double devoir que je remplis. Napoléon-le-Petit n’est que la moitié de la tâche. Puisque ce drôle a deux joues, il faut que je lui donne deux soufflets[27].


À Gustave Flaubert[28].


Croisset, près Rouen [Seine-Inférieure).
5 Mai 1853.
Marine-Terrace, 27 avril.
Monsieur Flaubert,

Permettez-vous, monsieur, que je continue d’abuser de votre bonne grâce pour transmettre cette lettre à votre amie ?[29] Elle-même m’encourage à user ainsi de votre excellent intermédiaire.

Je fais mettre cette lettre à la poste de Londres, comme la dernière que j’avais envoyée à mon collègue le représentant Savoye[30]. Vous pourrez vous en assurer en examinant le timbre.

Recevez, monsieur, mes vifs remerciements.

Victor Hugo[31].
À Louise Colet.


Marine-Terrace, 10 mai 1853.

Vous m’écriviez le 25 avril, le 27 je vous écrivais de mon côté et nos lettres se croisaient. Vous avez reçu, je pense, mon pli avec une autre lettre qu’il contenait, recommandée à votre bonne grâce. Quant à moi, j’attends toujours votre poëme envoyé aux 39. Ils l’ont dédaigné ; c’est le sort des perles quand elles tombent mal.

C’est égal, profitez de l’ajournement puisqu’ils n’ont pas fait la sottise tout entière, et concourez l’année prochaine. À ce moment-là, j’écrirai à quelques-uns que je ferai rougir peut-être. Ces pauvres lettrés à palmes ne se doutent pas de l’immense honneur que leur fait la divine poésie quand elle daigne entrer chez eux. Je me figure que les honnêtes troupeaux d’Admète ne faisaient guère plus attention à Apollon, lequel était blond comme vous êtes blonde, qu’au premier bouvier venu.

J’ai aujourd’hui une occasion sûre pour Londres, j’en profite pour vous répondre et pour vous renvoyer (au cas où ma précédente lettre aurait été interceptée) quelques paroles prononcées par moi ici, au nom de tous, et utilement. J’ai dans l’idée que le Moniteur de ce monsieur ne les reproduira pas.

J’ai réussi, comme vous en jugerez par ce speech, à créer une certaine union parmi la proscription républicaine qui souffre et qui, par conséquent, s’aigrit et se divise. En ce moment, je crois pouvoir le dire, on est à peu près d’accord sur toutes les grandes questions, et particulièrement sur la plus importante peut-être de toutes : la question redoutable des représailles. Je continuerai d’insister de ce côté. Le jour où la France n’aura plus peur, tout sera dit ; ce drôle sera par terre et la République sera debout.

Cher et charmant esprit, je reviens à vous, à vos ennuis, à vos déceptions, à ces petites iniquités dont vous souffrez à côté de la grande iniquité régnante. Ne vous attristez pas, ne vous découragez pas ; je vous déclare que la muse sera couronnée par les académiciens sans que la femme ait rien accordé aux satyres. Vous me faites du reste de tout cela une adorable et exquise peinture. Vous dites hécatombe. Viennet s’écrie abattoir. C’est nature.

Nous avons ici un printemps un peu rude. Dieu nous a ôté la France, est-ce qu’il voudrait aussi nous retirer le soleil ?

Je baise vos mains[32].
À André Van Hasselt.


Marine-Terrace, 11 mai 1853.

Il y aura un an demain, cher poëte, vous, vous en souvenez, et je ne l’oublie pas, nous allions ensemble à Hal ; il pleuvait un peu, mais nous ne voyions pas le ciel gris et nous ne sentions pas le froid en vous entendant causer. Nous visitions ensemble ces merveilles du vieil art, nous achetions les bimbeloteries catholiques et les miracles de la porte, et nous vous scandalisions un peu, Charles et moi, en souriant des miracles du dedans. Je crois, Dieu me pardonne, que j’ai réussi, comme un démagogue que je suis, à compter les boulets de pierre que la vierge noire a reçus si à propos dans son tablier.

Aujourd’hui, je suis bien loin, je ne vois plus d’autres miracles que la durée du règne hideux du crime et de la peur. Je n’ai plus près de moi la belle église et le charmant poëte, mais je songe à vous, et, à travers l’espace, la mer, le ciel, le nuage, le vent, la tempête, je vous envoie ma pensée.

Je vous envoie aussi mon portrait et le portrait de Charles fait par mon autre fils, Victor. La porte qui est derrière nous, c’est la petite porte de notre petite maison. Vous avez, dans ces trois pouces carrés, la cabane et le proscrit.

Ce que vous n’avez pas, ce qui ne tiendrait pas sur un si petit espace, ce que je ne puis vous envoyer, car les mots manquent aux sentiments, c’est ma tendre et profonde amitié pour vous. J’en fais deux parts et j’en mets une aux pieds de votre charmante femme.

Vous avez lu le discours tronqué[33], je vous l’envoie complet. Ne vous affligez pas, réjouissez-vous, au contraire, que les victimes prêchent la magnanimité aux bourreaux. C’est un spectacle noble et digne de votre esprit[34].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 15 mai 1853.

Au moment où je reçois votre lettre du 11 mai, vous recevez ma lettre du 13. Continuation de nos chassez-croisés. Nous avançons cependant. Mais il me semble que cette fois vous déviez un peu. Je vais venir à la déviation, mais je commence par l’approbation. J’approuve tous vos arrangements pour l’imprimerie[35], faites, allez, mettez la chose en train. J’accepte tout pour ma part dans les termes où vous me l’écrivez. Donc vous n’êtes pas compromis, ni laissé là par moi. Il est excellent d’avoir une imprimerie, et soyez tranquille, je vous donnerai de l’ouvrage.

Cela posé et bien dit, voici en quoi selon moi vous déviez : vous abandonnez l’idée de l’édition expurgée, vous voulez ne plus faire qu’une édition, vous vous leurrez à ce sujet complètement d’illusions ; point de procès, dites-vous ; détrompez-vous. Vous aurez procès, et si vous n’êtes pas très alerte et très adroit (qualités que vous avez, vous, mais qui manquent aux belges, témoin Tarride), vous aurez saisie de l’édition peut-être entière. Quant au procès, vous savez que je ne puis venir le plaider, pas d’illusion encore. Vous le perdrez, et comme le livre sera déclaré incendiaire, vous aurez le maximum, plus la saisie maintenue.

Voyez ce que devient l’affaire dans ce cas. Or, je connais le livre et je vous prédis à coup sûr. — Avec l’édition tronquée, aucun de ces dangers ; on paraît, on est à l’abri, on est inattaquable. Oui, dites-vous, mais l’édition clandestine ? Oh ! ici, il y a péril, mais péril beaucoup moindre qu’avec une seule édition. Dans ce dernier cas, c’est vous, c’est le gérant qui courez tous les dangers. Dans le cas de la clandestine, vous ne risquez presque rien. S’il y a procès, qui sera poursuivi ? le maladroit vendeur quelconque, Rosez peut-être ou tout autre qui se laissera pincer. Dans ce cas-là, ni le procès, ni l’amende, ni la prison ne nous regardent. Voyez l’avantage. — Je comprends que vous dites : oui, mais comment imprimer les deux éditions de front avec une seule imprimerie, la nôtre, quelle lenteur ! Et puis, en justice, on reconnaîtra nos caractères et quelle que soit l’étiquette du sac, Genève ou Bréda, on nous condamnera. Ici je reprends la parole et je dis : — Sans doute, mais profitons de ce qui a été fait des deux côtés, tirons à la fois parti de l’imprimerie de Bruxelles et de l’imprimerie de Jersey ; l’imprimerie de Jersey fera l’édition clandestine, l’imprimerie de Bruxelles l’édition tronquée ; pas de temps perdu, pas d’identité de caractères ; tous les périls évités, tous les avantages réalisés. J’insiste sur tout cela. Songez-y. Cela me paraît être absolument le vrai. De cette façon nous tirons parti de tout ; ce que vous avez fait là-bas est bon, et ce que j’ai fait ici est utile.

Quant aux prix, d’après les deux dernières lignes de la lettre de M. Moertens (très bonne et très honorable lettre), je vois qu’ils seraient presque les mêmes à Jersey qu’à Bruxelles ; la page pour laquelle ils demandent ici 1 fr. 70 (composition 2 fr. 50, toute clichée) aurait 31 ou 32 lignes ; celle de M. Mœrtens n’en aurait que 25. En outre, la composition est plus chère sur ce caractère perle à cause de sa petitesse qui augmente la peine des ouvriers. Défalquez le port des épreuves et le port du manuscrit (qui sera fort lourd) par la poste, et vous verrez que les prix reviennent au même. J’ajoute ceci : pour imprimer ces vers, il faut le caractère perle (je vous envoie un spécimen ; le caractère des notes de Nap.-le-Pet. serait encore mieux). Avez-vous ce caractère ? Il en faut au moins deux feuilles (de 64 pages) pour pouvoir marcher lestement. C’est un caractère peu usité et qui ne servira guère que pour cela. En grèverez-vous l’imprimerie naissante ? Ne vaut-il pas mieux laisser faire cette dépense par l’imprimerie d’ici qui y consent ? Quant à la nécessité du caractère, jugez-en.

Voici un vers long :

Tandis qu’en bas dans l’ombre on souffre, on râle, on pleure.

Même avec le caractère perle, il faudra entamer la garniture pour ne pas le replier (je m’oppose carrément au repli ; un vers replié n’est plus un vers, et plus il est beau, plus il est laid). Reste donc ceci : introduire les clichés. Mais si vous reculez devant la difficulté d’introduire 150 livres de plomb, comment songiez-vous à introduire des ballots de livres imprimés à Bréda ? Au reste, on me dit que les clichés passent comme plomb fabriqué en payant un droit. S’en assurer.

Cher compagnon de guerre, je crois qu’il y aurait sagesse et utilité à tous les points de vue de faire ainsi.

Je résume l’opération en ces deux termes : 1° Expédier de Jersey la clandestine toute clichée (coût 1 000 fr. ; 2° imprimer là-bas à notre imprimerie en même temps sur épreuves, et avec les lacunes indiquées par vous, l’expurgée, et tirer la clandestine à bras sur les clichés. Vous voyez qu’il reste encore une forte besogne à notre imprimerie, et que, de plus, ceci lui sauve l’achat de deux feuilles (64 pages) de caractères perle. Remarquez bien que, de cette façon, tout ce que vous avez fait là-bas est intact et utilisé.

Voilà toutes mes insistances. Je crois fermement être dans le vrai. — Cependant, si vous persistiez à répudier l’auxiliaire de Jersey (il faudrait en ce cas payer les clichés d’essai), voici ce qui resterait à faire : imprimer de front à notre imprimerie les deux éditions, l’expurgée et la clandestine, car je vous déclare que l’opération est folle autrement ; j’en parle en connaissance du livre, procès, saisie, perte sèche. Pour cette double impression, doubles caractères, doubles ouvriers, double dépense, puis péril en justice du caractère reconnu, et faisant transparente la clandestinité, enfin embarras de l’envoi du manuscrit et du va-et-vient des épreuves. (En cas d’envoi du manuscrit, je l’enverrais par tiers, mais à des intervalles, car vous n’avez pas besoin de tout à la fois, et jusqu’au dernier moment, je touche à l’œuvre. Ne faudrait-il pas charger les paquets à la poste ? Savez-vous quels sont les procédés pour cela, et les formalités ? Dites-le-moi.)

J’ai tâché de tout mettre sous vos yeux. Lisez ma lettre deux fois, et décidez. Il n’y a qu’un point auquel je tiens absolument, car autrement l’affaire serait folie, c’est la double édition, expurgée publique, et clandestine complète ; toute l’opération, sécurité et profit, est là. Voyez si vous pouvez faire les deux éditions de front et en six semaines dans notre imprimerie. Autrement, croyez-moi, clichez la clandestine à Jersey. Décidez, et répondez vite, vite. Si vous acceptez Jersey, écrivez pour l’imprimeur la lettre qu’il vous demande dans sa lettre du 13.

Je prends cette marge pour y mettre toutes nos plus tendres amitiés.

L’histoire du pot de chambre-cercueil est ravissante. — Remarquez que j’étais allé au-devant de votre désir de 500 francs de plus ; dans ma dernière lettre je vous dis que je vous donnerais 2 000.

Et le compte de Tarride ? Et les comptes de Marescq ? Et les Œuvres oratoires ? Et Cappellemans ?[36]


À Hetzel.


Marine-Terrace, 26 mai [1853].

Tenez-vous bien, je vous préviens que je vais faire d’immenses efforts pour être rapide et laconique. Je viens de recevoir vos deux lettres timbrées du 23 et du 24. J’attends Zéno pour conclure et je vous écris en l’attendant.

D’abord voici le bon de 1 500 francs.

Maintenant, quant à l’acte de société, je vous l’envoie avec mes notes ; mais le mieux et le plus simple est de m’abandonner entièrement à vous. S’en reposer sur une intelligente et loyale nature comme la vôtre, c’est toujours le plus sûr et le meilleur. Faites donc pour le mieux. Je signerai ce que vous m’enverrez. Oui-dà, gaîment. Je cite mon Racine, Les Plaideurs, il est vrai.

La lettre de M. Mœrtens est excellente. Il suffirait de faire commenter le traité par la lettre. Pourtant, quant aux actions indéfiniment augmentables, je persiste et vous êtes de mon avis. Veillez-y.

J’ai besoin d’argent comme un diable. N’oubliez pas, le 57 mai, de m’envoyer par M. de Pouhon, 2 000 les francs Tarride.

Ô homme charmant, mais léger, que vous êtes ! Vous ne lisez même pas mes lettres. Il y a un mois que je vous ai répondu, quant à Claude Gueux et              [37], que je ferais avec plaisir ce que vous désiriez. Envoyez-moi, sur les bases de notre traité Marescq, une lettre un peu détaillée qui fasse traité. Je vous répondrai par l’acceptation et vous pourrez marcher.

Quant au volume nouveau, faites faire vous-même le traité, en reproduisant (sauf la répartition des produits) le traité Tarride pour Nap.-le-Petit, et en ajoutant les 150 fr. par mois au répondant en cas de prison, lesdits 150 fr. payés par les partageants dans la proportion de leurs parts. Cette proportion est convenue, je n’y change rien, bien entendu. Et puis, rédigez vous-même, en tête, le préambule que vous désirez pour bien assurer le droit de propriété pris en Belgique. Au besoin, faites rédiger ce préambule par quelque avocat belge de mes amis (M. Funck). — À propos, et la propriété en France ? Où en est le procès en contrefaçon que vous vous faites à vous-même ?[38]

Vous me dites de vous envoyer le manuscrit. Pourquoi ? puisque nous allons imprimer ici ? Je vous enverrai les épreuves au fur et à mesure, vous imprimerez bien plus aisément et bien plus correctement que sur de l’écriture, et l’édition châtrée marchera de front avec le cheval entier.

Je marquerai les suppressions, et vous supprimerez en outre ce qu’il vous plaira. Nous verrons ce qui restera. Ferdousi[39] affirme qu’il y a de beaux eunuques. Hélas ! triste beauté ! Heureusement nous aurons à côté le vrai monstre vivant.

J’ai reçu aujourd’hui de Marescq le compte de mars. Non, la vente n’avait pas baissé. On était toujours dans les 10 900.

Charles en effet est devenu un excellent photographe (prononcez avec soin). Voici de ses œuvres : moi — Charles — l’autre Victor Hugo. Ultimus.

Je vous dirai qu’il y a toutes sortes de préméditations dans cette photographie. Nous rêvons des illustrations d’ouvrages (plus les ouvrages) tout à fait neuves et originales. En attendant regardez mon portrait. Que diriez-vous de vendre cela ? On en ferait un tirage pouvant aller avec les 4 sous, (parlez-en à Marescq) et un autre, petit format, pouvant se relier avec Nap.-le-Petit, et le volume nouveau. Vous n’auriez aucun déboursé à faire. Vous diriez à Charles ce que, selon vous, cela pourrait se vendre (les estampes photographiques de Blanquart Evrard se vendent 2 fr.) à Bruxelles, chez Tarride, à Londres, chez Jeffs, à Paris, chez Marescq, etc. Charles vous les enverrait par 100, par 200, etc. Quand ce serait vendu, vous prélèveriez votre commission, et vous enverriez ici l’argent. Ce serait une corde de plus à l’arc de tout le monde. Qu’en dites-vous ? Charles peut vous envoyer des choses admirables. Il en fait.

Œuvres oratoires. Il faudra un bout de préface, avertissement des éditeurs, avant-propos, etc., où l’on expliquera quels sont les discours écrits et les discours improvisés, etc. Prévenez-moi quand vous le voudrez. Je le ferai faire ici par Vacquerie. Tarride le signera. — Je suis charmé d’avoir été dans les mains de Marc Dufraisse. Vous savez que c’est un des hommes que j’aime et dont je fais le plus grand cas, cœur, esprit, caractère et talent. Est-ce qu’il a pu renouer le fil cassé par Cappellemans ? Comment s’est-il débrouillé dans tout cela ? S’il avait besoin de quelques indications de moi, dites-lui bien que je suis à sa disposition. Et par-dessus tout, faites-lui de ma part des effusions de remercîments.


Onze heures du soir. J’attendais Zéno. Voici du nouveau. Tout est rompu avec lui. Sur vos précédentes lettres (hélas ! inconvénient de ces correspondances à propos interrompus), j’avais dénoué la chose, en le prévenant qu’on lui paierait ses petits frais. Il paraît qu’il s’était un peu piqué. Aujourd’hui quand j’ai voulu renouer, ce n’était plus le même homme. Il est revenu sur tout ce qu’il avait concédé, faisant obstacle et difficulté de tout, etc. Ce que voyant, je l’ai pris de haut, et j’ai rompu. Rompu définitivement. Du reste tout cheval qui se dérobe est un mauvais cheval, je ne regrette pas Zéno. N’en parlons plus.

Faites en sorte seulement que nous n’ayons pas à Bruxelles le contre-coup des exigences Zéno, mettez à cela toute votre force d’esprit. Car me voici revenu à Bruxelles. Il n’y a plus que votre combinaison. Donc imprimons les deux éditions en Belgique. Mais avez-vous le caractère perle ? Dès que vous me répondrez oui, je vous enverrai le manuscrit. Hâtez-vous de me répondre.

Plus une minute à perdre. Chaque minute perdue vaut de l’or.

On ferait clandestinement chez nous l’édition complète et chez Labroue ou Mœrtens l’expurgée. Revenons à toutes vos combinaisons pour l’envoi des épreuves, etc. J’enverrai le manuscrit par tiers. À quelle adresse le premier tiers ? (Poste restante, cela n’a-t-il pas des inconvénients ?) Faut-il charger le paquet à la poste ? Quelles sont, en ce cas, les formalités ? Répondez-moi vite avec précision et détail. À vous. Ex imo.

N’oubliez pas, le 31 mai, les 2 000 fr. Tarride.

Vite ! vite ! Dépêchons-nous ![40]


À Paul Meurice[41].


Marine-Terrace, 26 juin [1853].

Je vous écris tous les jours, recevez-vous mes lettres ? j’en charge les vents, comme faisait Virgile ; toutes mes pensées, cher poëte, vont à vous. Quand vous reverrai-je ? Vous travaillez, je le sais, et j’ai peur que vous ne nous veniez pas cette année. Je crois bien aussi que ce n’est pas nous qui irons vers vous. Les destinées de tous sont encore à peine à moitié chemin. Écrivez-nous souvent, non des lettres idéales, comme celles que je vous envoie à travers les gros nuages pluvieux de cet horrible été menteur ; mais de bonnes lettres réelles, des lettres en chair et en os, des lettres dont le facteur demande le port, des lettres qu’on ouvre en famille avec des appels de joie dans toute la maison.

Cher ami, je vous donne mille peines et vous me rendez mille joies. Vos petites lettres aux lignes microscopiques sont une bonne partie de notre bonheur. Exulibus epistolae dulces, dit Cicéron.

Je vous remercie de tous vos bons soins pour l’affaire Guinard, et pour la rectification de Charles. La publication a fait excellent effet. Est-ce que vous serez assez bon pour transmettre ce mot à Hipp. Lucas dont j’ignore l’adresse actuelle. Ma prochaine lettre vous portera une lettre pour Laurent Pichat[42]. Son article est plein de talent et de cœur[43] ; par tous les côtés affectueux et littéraires, il m’a vivement touché. Dites-le lui, je vous prie, en attendant que je le lui écrive. Je vous enverrai aussi un mot pour M. Tournachon Nadar[44]. — Vous ne sauriez croire comme il m’est difficile de trouver le temps d’écrire les lettres qui me tiennent le plus au cœur, tant je suis accablé de travail, de tiraillements, et de toutes les arides correspondances des affaires.

Je pense que le mois théâtral aura été bon, grâce à ces affreuses pluies. (En voilà un été qui manque de parole ! Il aurait été digne de présider une république. Promettre juin et donner novembre !) J’aurai plusieurs paiements à faire dans le courant de juillet. Les droits d’auteur que vous toucherez pour moi pourront y servir.

Mad. Meurice a écrit à ma femme une lettre charmante. Dites-le lui bien pour qu’elle recommence, et mettez-moi vous-même à ses pieds. Et puis je vous aime, et puis je vous désire et puis j’envoie à votre doux et noble et grand esprit toutes mes tendresses. Autour de moi toutes les mains se tendent vers vous.

Je fais cette lettre insignifiante. J’espère que de la sorte, fût-elle même ouverte, elle vous parviendra[45].


À Hippolyte Lucas.


Marine-Terrace, 26 juin 1853.

D’abord, mon cher poëte, un serrement de main pour votre succès, puis un autre, puis dix autres pour votre bonne pensée de passer par Jersey, cette année, en allant en Bretagne. Votre succès charme ma bourse un peu plus aplatie, hélas ! en ce moment[46]. Votre venue et celle de votre famille nous vont au cœur, et, comme disait Rabelais : melius est cor quam gula. Arrivez-nous donc et nous ne serons plus des exilés et des proscrits.

L’été est triste, cette année ; maussade comme une tragédie, pluvieux comme une élégie, je gage que Jersey vous attend pour redevenir idylle.

Cependant le temps qui nous attriste doit faire merveille au théâtre. Le bon saint Médard, qui pleure des larmes d’or dans les caisses des spectacles, est le vrai saint du calendrier. Si jamais je bâtis un théâtre, je construirai dans la chapelle de location une niche à saint Médard. Tout ceci veut dire, cher poëte, que vous devez faire beaucoup d’argent et que je vous remercie de m’enrichir. Tout va bien ici ; je suis au milieu d’un petit peuple libre et qui m’aime un peu. Je travaille beaucoup, je me promène au bord de la mer, malgré la pluie. Je pense à vous tous, malgré la distance et je vous serre la main.

Victor Hugo.[47]


À Gustave Flaubert.


Marine-Terrace, 28 juin [1853].

Puisque vous ne voulez pas de remerciements, monsieur, savez-vous comment je vous prouverai ma reconnaissance ? par mon indiscrétion. Voici un nouveau paquet pour Mme C. Permettez-moi d’y joindre, pour vous, mon portrait ; c’est un ouvrage de mon fils, fait en collaboration avec le soleil. Il doit être ressemblant. Solem quis dicere falsum audeat ? Vous, y retrouverez la bague dont vous me parlez dans votre gracieuse lettre[48]. J’ai gardé le souvenir de cet hiver de 1844 et de ces soirées chez Pradier. Une partie de tout cela est mort, mais vit au fond de mon âme ; je suis heureux que votre souvenir y soit mêlé, car vous êtes maintenant pour moi un ami.

Je ne puis m’expliquer quelle est l’intention du bon Dieu en nous ôtant, à nous, exilés, le soleil, cet été ; peut-être fera-t-il compensation en nous ôtant Bonaparte cet hiver. Si cela est, que ce mystérieux tout-puissant soit loué !

Je vous serre cordialement la main, monsieur.

Victor Hugo[49].


À Louise Colet.


Marine-Terrace, 28 juin [1853].


Le beau, c’est la croyance, et l’art, c’est la prière.

Vous avez fait là des vers de marbre blanc, des vers bas-relief, qui pourraient suppléer les métopes sacrées et rendre au Parthénon ce que lui avait donné Phidias et ce que lui a volé Elgin. Et vous espériez être couronnée ? Ô charmante et noble femme que vous êtes, cela était trop beau pour n’être pas proscrit. — Vous avez raison, ce poëme passe vos autres poëmes ; je suis tenté de dire de vos vers ce que vous dites des grecs ; on y sait à peine

Où la femme finit, ou commence la Muse.

Maintenant vous me demandez conseil. Faut-il publier ce poëme, quitte à en faire un autre l’an prochain ? Si vous avez de ces opulences-là, si vous êtes comme Latone, sûre d’enfanter Diane après Apollon, et de mettre au jour deux jumeaux divins, allez, faites, publiez, que voulez-vous que je vous dise ? Je me borne à vous admirer.

Il va sans dire que, si vous reconcourez, et si je suis encore de l’Académie en 1854, vous disposerez de moi et que je ferai mon possible et mon impossible pour que l’Académie ne fasse pas une nouvelle sottise.

Voici le portrait que votre chère et gracieuse amie veut bien désirer. Ce n’est pas ma faute s’il est si pâle ; c’est la faute du soleil de juin qui se met maintenant à manquer de parole tout comme s’il avait l’arrière-pensée de devenir empereur de quelque chose.

Quand vous verrez Préault[50], Jules Favre, Pelletan, parlez-leur un peu de moi. Ils ont raison de m’aimer. Je pense à eux souvent. C’est un miracle que de tels talents et de tels esprits soient encore en France. C’est comme vous. Comment se fait-il que vous ne soyez pas dans quelque Jersey ! Vous êtes évidemment un oubli de M. Bonaparte.

Remerciez Villemain de tout ce qu’il vous a dit de bon pour moi ; je serai charmé d’être dans son livre. Il a dû voir que je l’avais un peu mis dans le mien. L’occasion s’est offerte de le nommer dans Napoléon-le-Petit ; je l’ai saisie avec joie.

Je fais en ce moment une œuvre de titan : ce n’est pas d’écrire un livre contre un homme, c’est de le publier. Vous ne sauriez croire les lâchetés et les reculades que je constate. L’argent à gagner ne suffit plus pour faire contrepoids à la peur. Cependant la chose est en train, je le veux, et j’y parviendrai. Soyez tranquille, d’ici à deux mois, vous aurez le petit livre auquel vous faites l’honneur de le souhaiter.

L’été nous fait banqueroute, c’est triste, surtout pour nous, exilés. J’en prends mon parti, et je n’en vais pas moins faire des vers et crier anathème à cet homme, au bord de la mer ; mais c’est trop d’être mouillé à la fois par l’écume et par la pluie.

Je me mettrais volontiers aux pieds de la belle miss Blacke, mais je suis aux vôtres.

V.

Nous avons tout reçu. Ma femme est bien touchée de votre gracieux souvenir et vous écrira[51].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 7 juillet.

Commençons par quelques détails :

1° Dans l’instruction pour l’imprimeur, j’ai expliqué de quelle façon j’indiquerais les suppressions pour l’édition expurgée.

Dans l’instruction Spéciale qui accompagnait l’envoi de la première épreuve, j’ai répété ces explications (revoir les deux instructions). J’ai dit que j’entourais d’un cercle à l’encre rouge tout ce qui, demeurant entier dans la clandestine, devait être supprimé dans la châtrée ; que M. Mœrtens regarde les épreuves, et faites-vous les représenter, il y a sur toutes des passages marqués à l’encre rouge (et aussi sur celle que je vous envoie). Je ne comprends donc pas comment M. Mœrtens peut dire (27 juin) : Je ne vois aucune indication de suppression pour l’expurgée. Faisons attention à tout, car il résulte de cette inattention que l’expurgée n’a pas été commencée, retard à ajouter aux autres. À ce propos, je demande si vous avez cru nécessaire de faire, même dans la complète, la suppression des noms que j’indiquais pour ce vers :

Rouher, cette catin, Troplong, cette servante.

Répondez-moi à ce sujet.

Je répète, en outre, que vous pouvez ajouter à mes suppressions toutes les suppressions que dans votre prudence vous jugerez utiles.

2° Vos calculs à tous sont inexacts et rien de plus facile à voir. Il y aura 87 pièces détachées ; j’en ajouterai deux, ce qui fera 895 le blanc du haut et le blanc du bas font perdre à peu près une page par pièce ; mettons seulement 80 pages blanches ; ajoutez 9 faux-titres, le titre, la préface et la table, cela fait 100 pages. Eh bien, dites-vous, c’est cela ! Avec 194 pages (à 32 vers par page), cela fait 294 pages. Nullement, il n’y aura point 32 vers par page. En dehors des pages blanches ci-dessus, il ne faut compter, à cause des alinéas, des chiffres et des entre-strophes qu’environ 20 vers par page, cela fait donc pour 6 240 vers juste 312 pages. Ajoutez les 100 pages : 412. Maintenant ajoutez 30 pages de notes, vous aurez au minimum 442 pages (en serrant beaucoup). Napoléon-le-Petit en avait 462. Vous voyez donc qu’il faut refaire tous vos calculs, et m’envoyer plus de 48 pages par semaine.

Si M. Samuel m’avait écrit ce que vous m’écrivez, l’incident n’aurait pas surgi[52]. Il n’y aurait eu qu’un dissentiment, non sur le fond, mais sur la forme, non de conscience, mais de tactique, sur la question de conduite politique. Rien de plus.

L’honneur n’étant pas touché, il était facile de s’entendre.

Eh bien, sur la question de conduite et de tactique, je vous déclare que je crois, et que nous croyons tous ici, que vous raisonnez mal là-bas.

D’abord s’il n’y avait pas de préface (et j’examine ce cas), ce serait la chose la plus déplorable du monde et la plus ridicule pour moi de me présenter avant le procès, et pour effrayer le procès, comme pouvant (et par conséquent comme devant) venir en Belgique ; puis, si le Bonaparte n’est pas intimidé et fait le procès, de me retirer de l’affiche. Je serais l’épée de bois qui n’a pas fait peur et qu’on remet dans le fourreau. Toutes les raisons de tactique et de prudence politique, données après coup, n’atténueraient en rien l’immense ridicule qui en rejaillirait sur moi, et sur le parti républicain tout entier.

Ne l’oubliez pas, vous toujours si vaillant dans des luttes de cette nature, ce qu’on peut faire est subordonné à ce qu’on doit faire. Je ne peux pas aller devant la loi Faider, pourquoi ? parce que je ne le dois pas.

Si je n’ai pas cette raison-là, je n’en ai aucune.

Or, cette raison, je l’ai, je l’ai à tous les points de vue. Vous me l’avez écrit dix fois vous-même dans les termes les plus absolus.

Relisez la préface. Elle est sans réplique.

Subordonnons donc toutes les questions de tactique aux questions de devoir. C’est l’unique moyen de rester grands.

Mais parlons tactique, je le veux bien. Vous allez voir que la tactique est de mon avis.

Vous dites :

— Si vous ne faites pas de préface, si vous ne dites rien, le Bonaparte, sur la foi de votre lettre de l’an passé, dira : il va aller en Belgique, parler, faire un discours, scandale énorme en faveur du livre, grand éclat, étrivières oratoires sur mon dos à moi, Bonaparte, bah, laissons le livre en paix. Point de procès.

Voilà comment vous raisonnez ; je réponds :

— Pourquoi Bonaparte a-t-il fait la loi Faider ? Pour prendre les écrivains ses ennemis. Il rêve de nous ressaisir pour Cayenne. Ce serait là sa sécurité et sa volupté. S’il n’y a pas de préface aux Châtiments, si on laisse croire que je viendrai au procès, il dira : — Bon, faisons un procès, V. H. viendra, il essaiera de faire un discours et n’y parviendra pas (je vous ai démontré comment), on le fourrera en prison, et alors, si j’entre en Belgique, je le prendrai ; si je n’y entre pas, je serai sûr du moins qu’il se taira (on n’écrit pas librement en prison) et ne fera plus rien contre moi tant qu’il sera sous clef. Vite , puisqu’il doit venir, faisons le procès.

S’il y a, au contraire, une préface annonçant que je ne viendrai pas (et en donnant les raisons, toutes puisées dans le devoir), le Bonaparte n’a plus d’intérêt au procès. Un procès ! un scandale, un grand bruit autour du livre ! une réclame immense éveillant la curiosité universelle ! des citations terribles partout, jusque dans le réquisitoire Bavay qui sera reproduit par les journaux de France ! des plaidoiries pour et contre dans tous les journaux d’Europe ! Et pourquoi tout ce tapage qui triplera le bruit du livre ? pour prendre l’éditeur et l’imprimeur ! pour n’avoir pas même le plaisir de la vengeance ! À quoi bon ?

Vous voyez que, dans ce dernier cas, grâce à la préface, il y a beaucoup de chances pour qu’il n’y ait pas de procès. Moi absent, plus d’intérêt pour Bonaparte. Vous voyez au contraire que dans le cas où je laisse croire que je viendrai, c’est une prime d’encouragement au procès.

Réfléchissez bien à ce raisonnement qui me paraît capital.

À tous les points de vue donc, au point de vue de la dignité comme au point de vue de la tactique, la préface que je vous ai envoyée est nécessaire. — Ce que je puis concéder, le voici : M. Samuel envoie des considérants rédigés par lui et qu’il préfère aux miens ; je les accepte. — À la seule condition d’y ajouter quatre lignes disant ceci : attendu en outre que les devoirs spéciaux de M. V. H. comme représentant républicain lui interdisent de se faire volontairement justiciable d’une loi imposée à la Belgique par M. Bonaparte et qui, au mépris des droits du peuple, attribue et reconnaît à M. B. la qualité de souverain de la France.

Avec ces quelques mots indifférents à M. S., j’accepte pleinement ses considérants. — Les conditions spéciales pour l’amende, la prison, etc., ne sont pas dans le projet de traité. Si on veut les mettre dans une lettre ainsi que les considérants ci-dessus, j’y consens encore. — Vous voyez que je suis accommodant. Répondez-moi vite et à tout. Ci-joint l’épreuve que je remets à votre diligence et une lettre pressée pour M. Marescq que j’aime mieux envoyer par la poste de Bruxelles. Serez-vous assez bon pour l’y faire mettre ? Elle contient l’épreuve de la préface des Odes.

Je vous parlerai de petits détails pour le traité dans une prochaine lettre ; l’important passe aujourd’hui[53].


À Hetzel.


14 juillet [1853].

Ma dernière lettre doit nous avoir mis d’accord. Je ne répète pas les explications qui y sont. Échangeons, M. Samuel et moi, les deux lettres convenues, et tout sera fini. Quand vous le voudrez, je vous enverrai la mienne. Quant à la préface, vous ouvrez un jour nouveau. Si en effet, dans tous les cas la clandestine doit être niée, si vous êtes parfaitement sûr que, par témoignages ou saisies de clichés ou autrement, on ne parviendra pas à vous en jeter la paternité, si vous êtes sûr de vos hommes, de vos cachettes, de vos procédés pour vendre sous le manteau, en ce cas-là, vous avez pleinement raison, il ne faut pas de préface ; mais êtes-vous bien sûr ? dans tous les cas, il faudrait les lettres à cause de l’éventualité peu probable, mais possible à la rigueur, d’un procès pour l’expurgée.

Je châtre de mon mieux et vous pouvez rechâtrer après moi. Est-elle commencée ? — Quant à la clandestine, puisque nous avons le choix, il faudra mettre dessus Genève et non Londres. Il ne faut pas compromettre Londres sans nécessité.

Ce n’est pas seulement ma confiance que vous avez, c’est ma meilleure et plus tendre amitié. Vous aurez été aussi nécessaire pour publier le livre que moi pour le faire. Entendez-vous bien cela ? Et maintenant ne me dites plus de bêtises. Je vous embrasse sur les deux joues[54].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 9 août 1853[55].

Je comprends, mon cher monsieur Hetzel, toutes vos raisons, et, bien à contre-cœur, je m’y rends. Je vais me tourner d’un autre côté. Il m’en coûte de ne pas vous associer à cette publication. Quand le poëte est proscrit et que le libraire l’est aussi, il semble que ce serait le cas de marcher ensemble. Le mauvais sort en dispose autrement. Vous avez été rudement éprouvé cette année ; vous demandez une trêve, un moment pour respirer, un peu de repos, je comprends tout cela, et, croyez-le bien, ce n’est pas du bout des lèvres que je vous le dis, après tant de luttes, vous avez le droit, nous aurions tous le droit de nous reposer et de reprendre haleine. — Moi, je dois rentrer en lice.

Vous insistez, vous croyez que je pense que vous manquez à un devoir en reculant devant la publication des Châtiments. Non, je ne le pense point. Si je le pensais, je vous le dirais. Rassurez-vous donc de ce côté. — Et quant au livre, ne vous inquiétez pas non plus. Je veux qu’il paraisse. Il paraîtra.

Je vous écris ces quelques lignes à la hâte, et je vous envoie mon meilleur serrement de main.

Victor Hugo[56].


À Hetzel.


Marine-Terrace, 18 août 1853[57].

Avant que votre lettre m’arrivât, cher conmilito, j’avais reçu de M. S.[58] des adresses, et mis le tout à la poste. En même temps, je répondais bien cordialement à une lettre bien cordiale de M. S. — Tout cela parti, la vôtre m’est arrivée le lendemain. Vous voilà maintenant au fait. Du reste, je crois que tout est bien ainsi, et que, dans une affaire si grave où le lien d’association est si intime et si étroit, les relations ne pouvaient continuer comme elles étaient. Votre départ pour Spa les a forcément mises sur un autre pied. Je vous répète que je crois cela bon, et quant à votre alibi, je l’approuve entièrement. Il importe que nous vous conservions[59]. Nous avons besoin pour toute la publication future, d’une âme à Bruxelles, et vous êtes cette âme.

Quant au procès éventuel, M. S., outre l’annexe au traité, me propose de m’écrire la lettre dont vous m’aviez parlé. Je crois comme vous et comme lui que cette lettre pourrait concilier les nécessités de[60].

Vous trouverez sous ce pli une nouvelle épreuve de moi que Charles vous envoie pour remplacer le portrait gâté. Il y peint notre maison à laquelle vous voudrez bien ajouter les deux grands bras ouverts qui vous attendent.

J’ai reçu les deux volumes des Œuvres Oratoires par la poste ; il y a pas mal de fautes et de fautes funestes. Oui pour non, moins pour plus, etc. Enfin, nous les réimprimerons mieux à Paris, etc., le travail des notes est fort bien fait.

Vous voyez Janin à Spa. Serrez-lui les deux mains dans les vôtres pour moi, en mon nom, à mon intention, et, vous que j’aime, dites-lui que je l’aime. Janin n’est pas seulement un vigoureux et charmant esprit, c’est un vaillant cœur. Et que Spa ne vous fasse pas trop oublier Jersey. L’un vous a, l’autre vous veut. Hi te habent isti rogant te. Cicéron l’écrivait en latin et je vous le griffonne en français.

Vous avez dit que Charles pouvait envoyer pour vente 100 portraits. Le dites-vous toujours ? En voudrait-on à Paris ?[61]


À Paul Meurice.


Marine-Terrace, 4 octobre [1853].

Coup sur coup, lettre sur lettre. Hier Auguste, aujourd’hui moi. Cher poëte, vous trouverez sous ce pli deux choses : 1° Une lettre au libraire Gosselin. Je ne sais pas l’adresse actuelle du libraire Gosselin. Lisez la lettre et vous verrez de quoi il s’agit[62]. Entre nous, je ne crois pas que ma proposition soit acceptée ; un roman se prête beaucoup plus que des vers à un certain agiotage de librairie auquel certains éditeurs doivent de grosses fortunes. Je crois donc que les deux libraires contractants se déroberont. S’il en était autrement, je serais charmé de leur faire amende honorable dans un a parte attendri.

Voici maintenant ce que je voudrais de votre admirable bonté : savoir l’adresse de Gosselin ; si faire se peut, le voir vous-même, lui remettre la lettre en mains propres, s’il vous parle de l’affaire, l’engager à la terminer dans le sens que je propose, le prier de s’entendre le plus tôt possible avec Renduel, et de vous envoyer, également le plus tôt possible, leur réponse commune que vous me transmettriez. — Si vous ne pouvez le voir, lui envoyer ma lettre avec un mot par lequel vous le prieriez de vous envoyer le plus tôt possible la réponse.

2° Un bon de 360 francs.

Ce bon, si vous me permettez de vous donner cet embarras, sera touché chez vous par le brave homme qui m’a rendu, en décembre 1851, un si essentiel service, Firmin Lanvin[63]. Il viendra chez vous chercher l’argent, et vous aurez la bonté, en le lui remettant, de lui faire signer le reçu au bas du billet.

Maintenant outre ce bon, il vous sera présenté une traite de douze cents francs, payable le 10 octobre, c’est-à-dire dans six jours à partir d’aujourd’hui 4 ; je vous serai obligé de l’acquitter sur l’argent que vous avez à moi. Je crois être resté dans les limites du chiffre indiqué par vous. Je continue avec une autre plume[64]. J’ai remarqué que, pour moi du moins, le style épistolaire faisait meilleur ménage avec l’oie qu’avec le fer. Soyez donc assez bon quand vous verrez mon vieux et cher ami Louis Boulanger, pour lui dire que je l’aime toujours. Je suis incurable à l’endroit des vieilles affections. Remerciez pour moi M. de Mirecourt de sa bonne pensée ; je me rappelle M. de Mirecourt comme un aimable et vif esprit, et je serai charmé d’être entre ses mains[65].

Oh ! comme nous vous avons regretté, et comme nous avons pensé à vous et radoté de vous tout le temps que nous avons eu madame de Girardin. Elle a été charmante et très brave. Elle a grimpé, elle a dégringolé ; elle s’est plongée au fond de Piémont, héroïquement, comme madame Paul. Nous avons reparlé de vous à ces beaux vieux rochers. La mer a effacé vos traces de ce sable, mais non de notre souvenir. Elle a pourtant bien fait rage depuis ce temps-là. Et l’autre jour, n’a-t-elle pas failli m’entraîner comme je me baignais à la marée descendante. C’eût été bête. J’ai encore tant de choses à faire. J’ai nagé comme un homme qui n’est pas bonapartiste et je me suis tiré de là. — Rémy[66] va paraître enfin. — Encore trois semaines. — Je suis charmé que ma pierre soit sur vos feuillets[67]. Elle me fait l’effet du cachet de Salomon pesant sur les génies. — Donnez-leur la volée[68].


À Arsène Houssaye.


Jersey, 14 octobre 1853.

Mon cher poëte, vous gouvernez toujours le Théâtre-Français, ce dont je vous plains un peu et je félicite beaucoup le théâtre. Quant à moi, je ne gouverne rien, pas même ma destinée, qui va à vau-l’eau, selon le vent qui souffle, et je n’ai plus guère d’autre bien au monde que la paix avec ma conscience. Toutes les intempéries du dehors compensées par la satisfaction du dedans, voilà ma situation. Elle me laisse au moins ma liberté d’esprit, et j’en profite pour vous applaudir à chaque succès que vous avez. Vous entendez, j’espère, l’applaudissement, quoique ma stalle soit un peu loin du théâtre.

Voici une charmante femme, une charmante actrice, qui s’imagine que mon nom signifie encore quelque chose rue Richelieu, n° 4, et qui me prie de vous dire ce que tout le monde pense d’elle ; c’est-à-dire qu’elle a un grand talent, une beauté faite pour la scène, et la jeunesse, c’est-à-dire l’avenir. Toutes ces choses, vous les pensez comme poëte ; si vous en veniez à les penser comme directeur, elle serait heureuse, et moi, je serais charmé de savoir que le Théâtre-Français, quelque effort qu’on fasse pour lui boucher les yeux et lui fermer les oreilles, n’a pas encore complètement oublié les dix lettres que voici :

Victor Hugo[69].


À Madame XXX[70].


[1853]

Restez le grand esprit que j’ai connu.

Restez ce grand cœur et cette grande âme.

Le succès immédiat n’est rien. La justice est tout, la vérité est tout. Vous êtes digne, vous, de comprendre la beauté de la lutte du droit contre le crime, du juste contre l’injuste, de la pensée contre la force, du proscrit contre le dictateur, de l’atome moral contre l’énormité matérielle, d’un seul contre tous et contre tout. Vous êtes digne de comprendre cela, vous le comprenez, j’en suis sûr. N’écrivez pas de telle sorte qu’on en doute.

Oui, nous souffrons.

Nous souffrons, et nous sourions.

Si cet homme ne souffrait pas, où serait le mérite ? S’il ne souriait pas, où serait la grandeur ?

Ne tombez pas, vous ferme intelligence, dans l’enfantillage légitimiste. Voyez le véritable avenir. Votre œil est fait pour regarder fixement ce soleil-là.

Vivez, en vous disant que ma pensée ne se détache pas de vous, même dans le silence absolu.

Ne faites rien d’irréparable.

Surtout, restez vous-même. Gardez la fierté de votre esprit. Pas de concessions à l’entourage. Que des hommes quelconques vous entourent, passe ; mais qu’ils vous dominent, non ! Jamais ! ne le permettez pas. Vous êtes trop haut pour cela ; c’est le triomphe des petits êtres de grimper sur le dos des esprits supérieurs ; ne leur souffrez pas ces familiarités. Ne vous laissez pas imposer d’opinions par eux sur quoi que ce soit, ni sur moi, ni sur rien. Quand on songe à ce que vous êtes, et qu’on s’aperçoit de leur influence sur vous, cela navre. C’est triste de voir la bave des limaçons sur une rose. C’est triste de voir l’empreinte de la patte de l’oison sur l’aile de l’aigle.

Ne montrez ceci à personne.

Votre lettre a froissé la femme qui l’a reçue et qui vous aime et vous estime. Écrivez-lui en une autre pour l’effacer[71].


À Noël Parfait.


Marine-Terrace, 29 octobre [1853].

Que devenez-vous ? que devient Bruxelles ? que devient le boulevard Waterloo ? Quant à Dumas, nous avons de ses nouvelles. Il nous tombe chaque matin une page étincelante qui nous dit : le bon cœur et le grand esprit se portent bien. Votre dernière lettre nous a charmés, cher proscrit ; c’était un charmant petit journal intime qui ressemblait à votre sourire. Charles disait : c’est Parfait. — Et nous répétions tous ce calembour auquel le bon Dieu vous a attaché.

Vous avez eu, il y a quelque chose comme deux mois, une ravissante fête de nuit ; La Presse nous l’a racontée d’après L’Indépendance belge (article signé d’un D majuscule et d’un esprit charmant qui signifient Deschanel) ; puis ladite fête m’est revenue toute chaude de New-York par le Républicain,, de Californie par le Messager de San-Francisco, de Rio-Janeiro par le Correio national et de Québec par le Moniteur canadien. Contez la chose à Dumas pour qu’il voie que ses fêtes ont autant de succès que ses livres. Contez-la aussi à Deschanel qui ne sera point fâché d’avoir été réimprimé par les quatre points cardinaux.

L’équinoxe souffle énergiquement ici ; mais c’est égal, nous vivons dans un calme profond ; le ciel pleure, la mer gueule dans les rochers, le vent rugit comme une bête, les arbres se tordent sur les collines, la nature se met en fureur autour de moi ; je la regarde dans le blanc des yeux et je lui dis : — De quel droit te plains-tu, nature, toi qui es chez toi, tandis que moi qui suis chassé de mon pays et de ma maison, je souris ? — - Voilà mes dialogues avec la bise et la pluie. Usez-en de votre côté dans l’occasion.

Le livre que vous savez[72] va enfin paraître. Quand vous verrez tous mes amis si chers, Charras, Deschanel, Place, Laussedat, Labrousse, Madier, notre éloquent et courageux Madier, — serrez pour moi toutes ces mains. Mettez-moi aux pieds de madame Parfait et de mademoiselle Marie[73]. Et puis je suis à vous de tout mon cœur[74].


À Gustave Flaubert.


Marine-Terrace, 15 9bre [1853].

Comment vous remercier, monsieur ?

En abusant. Que voulez-vous ? C’est M. Bonap. qui vous vaut toutes ces lettres et toute cette peine. Ajoutez ce grief aux autres.

Voici notre hiver commencé. Un brouillard gris est sur la mer. Je regarde les voiles qui passent à l’horizon et je songe aux choses charmantes que vous m’en dites. Ce sont les oiseaux de l’eau ; je leur souris comme Pétrarque aux colombes ; Pétrarque disait : parlez de moi à ma maîtresse. Je leur dis : parlez de moi à ma patrie.

Excusez cette forme sauvage, je fais de ma lettre l’enveloppe pour que le paquet ne soit pas trop gros. Est-ce que vous voulez toujours bien transmettre cette lettre à Paris ?

Je vous envoie cette chanson encore inédite, extraite du volume, maintenant imminent. Cela sera intitulé Châtiments.

Er puis, comme Luther mourant je dis : gigas fio, et j’en profite pour

vous serrer la main par-dessus la mer[75].
À Paul Meurice.


4 décembre 1853.

Savez-vous cela ? Le bruit de votre succès arrive jusqu’à Marine-Terrace. Le vacarme de la mer qui cogne notre jardin ne nous empêche pas d’entendre les salons de Paris qui applaudissent votre beau et charmant livre[76]. Nous continuons à le lire en nous disputant à qui aura le premier le journal. Hier la poste nous a joué un tour, elle nous a apporté deux fois le même numéro. Un au lieu de deux, jugez l’étendue de ce désappointement pour des gens qu’émeut jusqu’au fond de l’âme cette adorable Marthe ![77].

Je profite de ce que vous tournez la page pour vous parler un peu de mes affaires. Un excellent et cordial feuilleton de Gautier[78] m’apprend (voulez-vous l’en remercier de ma part ?) qu’on joue Lucrèce Borgia aux Italiens. Or, de quelle façon joue-t-on cela ? Est-ce d’accord avec Guyot, et en payant 10 pour cent sur la recette aux termes de mon traité avec Vatel, avec Lumley, etc... ?[79] ou est-ce d’autorité, de haute lutte et sans payer de droit ? Soyez assez bon, cher curateur du proscrit, pour voir Guyot et savoir cela. Le plus tôt possible serait le mieux. Je pense que, dans le dernier cas, Guyot aura de lui-même fait les actes conservatoires, sommation d’huissier, etc. Voudrez-vous bien vous en informer ? Si le Théâtre Italien ne donne pas les 10 pour cent, et je ne veux d’aucun autre arrangement, il faut que Guyot le poursuive sur-le-champ. Il y a arrêt, devenu définitif et souverain. Je ne pense pas que la Cour impériale donne un soufflet à la Cour royale, qui est elle-même. Dans tous les cas, ce serait curieux. — Ayez donc, mon poëte, entre deux chapitres, la bonté de courir un peu chez Guyot et de mettre les fers au feu, si le Théâtre Italien ne s’exécute pas. S’il accepte et exécute le traité Lumley, c’est bien, qu’il joue Lucrèce, Angelo, Hernani, tout ce qu’il voudra. Hélas ! l’exil a peu le sou, et puisque le régime ne veut pas qu’on me paie des droits d’auteur en français, je serai charmé d’en toucher en italien.

Avez-vous revu Gosselin ? a-t-il une réponse de Renduel et de Pagnerre ?[80] Rappelez-lui que je l’ai prié de m’envoyer une copie du traité de 1831 relatif justement à cette affaire.

Prenez tout mon cœur pour vous et donnez-en un peu à votre charmante femme[81].


À Paul Meurice[82].


Marine-Terrace, 7 Xbre [1853].

Je reçois votre lettre, et je vous réponds courrier par courrier. Commencez, je vous prie, par remercier M. Huet[83] et par lui remettre ce mot. Je tirerai sur vous pour cette petite somme. Maintenant, à M. Ragani. Vous avez excellemment fait. Il faut pousser vivement le procès. Je vous envoie le pouvoir. Il y a arrêt, arrêt de cour d’appel, devenu souverain. Par conséquent, même avec les juges d’à présent, l’issue ne peut faire doute. Voyez, je vous prie, cher poëte, cher ami, mon excellent ami, qui a été mon excellent avocat, Paillard de Villeneuve[84], c’est encore par lui que je voudrais que la cause fut plaidée. Il a déjà vaincu, il vaincra encore. Montrez-lui ces quelques lignes, et ajoutez en mon nom que je comprendrais pourtant qu’il hésitât à replaider pour moi, car ma situation est particulière maintenant, et devant les gens d’aujourd’hui, tout compromet. Je trouverais donc tout simple, dites-le lui bien, qu’il reculât devant mon nom à prononcer devant ces juges que j’ai flétris, et quoiqu’il ne s’agisse ici que d’une chose purement littéraire et d’une simple question de propriété, je ne lui en voudrais pas le moins du monde et mon amitié pour lui n’aurait ni étonnement, ni diminution, s’il déclinait, pour une foule de raisons que je comprends, la mission que je serais heureux de lui voir remplir. Mettez-le, je vous prie, bien à son aise, car, avant de m’aimer, j’aime mes amis. Si P. de V. ne peut pas, voyez (que d’ennuis je vous donne !) mon autre ami et mon autre avocat Crémieux. Si Crémieux ne peut, voyez Jules Favre qui est aussi mon ami, et que je serais fier d’avoir pour avocat. Au cas d’hésitation de Paillard de Villeneuve, écrivez-moi et je vous enverrai tout de suite une lettre pour Crémieux, et une, en-cas, pour Jules Favre. Crémieux est aussi excellent qu’éloquent, et je compterais bien sur lui. Outre le pouvoir et la lettre à M. Huet, vous trouverez sous ce pli copie de la lettre à moi adressée par M. Ragani (lettre qui me paraît tout conclure et tout juger contre les prétentions incroyables de ce monsieur) et copie de la lettre répondue par Charles en mon nom. Paillard de Villeneuve vous donnera tous les détails que vous désirez sur l’arrêt, les autres procès, etc. Si l’original de la lettre de Ragani était nécessaire, je vous l’enverrais. — Je n’ai plus que la place de vous embrasser et de vous demander pardon pour tant de peines. Vous devez me haïr autant que je vous aime. C’est difficile, mais juste. Dès que j’aurai les volumes de J. J.[85] je lui répondrai. Sa lettre est exquise. Mettez-moi aux pieds de votre charmante femme.

Aug. m’a dit vos derniers chagrins auxquels nous prenons vive part[86].


À Émile Deschanel, à Bruxelles[87].


Marine-Terrace, dimanche 11 décembre 1853.

Vous regimberez-vous encore ? ai-je raison de vous appeler mon poëte ? Savez-vous que vos vers sont superbes ? La strophe sur Tacite est sculptée en bronze ; la fin est d’une énergie qui vous sacre brun, ou même noir. Sacre brun vous fera peut-être dire sacrebleu. Mais qu’est-ce que cela me fait ? jurez si bon vous semble. Vos vers nous ont charmés. Charles vous bat des mains, Toto des pieds ; Vacquerie vous embrasse.

Les journaux de Jersey prennent partout des citations de ce livre[88] et en sont pleins ; et, chose bizarre, les journaux anglais eux-mêmes le citent en français. Ils déclarent ces vers intraduisibles ; ce qui faisait demander l’autre jour à une anglaise d’ici s’ils étaient obscènes. J’ai répondu : Je crois bien, le Bonaparte y est à chaque ligne.

Que je voudrais me retrouver au milieu de vous, ne fût-ce qu’une heure ! Dînez-vous toujours à l’Aigle ? Vous rappelez-vous les furies de Charles contre les asperges blanches ? Et cet excellent faro ! et nos bonnes causeries ! et nos bons rires ! et notre grande conversation sur l’âme et sur Dieu, que nous remîmes à un lendemain qui n’est jamais venu ! — Et votre Cours, comme le couronnement de tout ! Je vous revois au fond de cette grande salle, trop petite, assis à votre trône dans la lumière, doux, gracieux, modeste, applaudi, charmant, entouré d’une foule d’hommes dont les mains claquent et de femmes jolies dont le cœur bat... Je me retourne vers ce passé-là comme vers la patrie.

Ici, l’hiver, tout est sombre, gris, violent, terrible, orageux, sévère ; la pluie coule sur ma vitre comme une chevelure d’argent ; toute la nature se livre frénétiquement au vacarme ; et je n’ai guère autre chose à faire qu’à rager comme le vent et à rugir comme la mer.

Quand vous verrez notre convalescent Hetzel, qui masque sa paresse de sa pâleur, dites-lui donc de m’écrire. Criez bravo à Dumas de ma part pour deux ravissants numéros du Mousquetaire qui sont arrivés dans mon trou. Et vous, pensez à moi, écrivez-moi bien long avec ce cœur charmant, avec ce style exquis, avec cet esprit profond et doux qu’on applaudit à Bruxelles et qu’on aime à Jersey.


À Octave Lacroix[89].


16 décembre 1853, Marine-Terrace.

Merci, doux et cher poëte. Vos charmantes hirondelles sont venues nicher dans ma fenêtre. Elles battent de l’aile à travers mon orage. Les hirondelles du poëte valent mieux encore que les hirondelles de Dieu. Les hirondelles de Dieu ont peur de l’hiver ; les vôtres n’ont pas eu peur de l’exil. Merci !

J’ai lu tout ce noble et gracieux volume[90]. J’y ai trouvé mon nom, celui de ma femme, tous nos souvenirs amis, tous mes chauds rayons d’autrefois. Que de beaux vers ! que de jolis vers ! Tout cela est jeune, probe, frais et bon. Vous avez un talent qui panse le cœur.

Continuez. Tant que vous ferez des vers, j’en lirai. Que la poésie soit la bienvenue dans l’adversité ! Tant que l’oiseau bleu viendra cogner du bec à ma croisée, je l’ouvrirai, et je dirai à Dieu comme à vous : merci !

Je vous serre la main.

Victor Hugo[91].
Monsieur Alfred Busquet[92].
45, rue Notre-Dame-de-Lorette, Paris.
Marine-Terrace, 29 Xbre 1853.

Votre lettre du 13 me parvient, monsieur, seulement aujourd’hui 29. La poste française actuelle a de ces caprices. Elle a probablement ses raisons pour se hâter lentement. Elle est de l’école d’Horace. Ne la chicanons pas. — Et payons ce que demande le facteur.

Votre idée, conçue par vous, acceptée par madame de Balzac, me touche vivement. L’exil est donc encore bon à louer le cercueil. Je vous remercie d’avoir pensé à moi.

Certes, c’eût été une joie pour moi de sculpter mon nom obscurément dans un petit coin du monument de Balzac. Le jour de son enterrement, j’ai jeté ma pelletée d’admiration dans sa fosse, et d’en bas, mon âme, encore liée à la terre, a salué son âme envolée et libre qui m’a souri d’en haut. Compléter aujourd’hui ce que j’ai ébauché alors, achever l’esquisse de mon grand ami, être la main qui mettra sur ce front de marbre la couronne de bronze de la postérité, oui, c’eût été dans mon adversité un bonheur. Je dois y renoncer pourtant, monsieur. Je ne m’appartiens plus en ce moment ; je n’appartiens plus à la poésie pure, à la pensée qui sourit, à l’art serein et heureux ; j’appartiens au devoir.

Au devoir sévère, exclusif, immédiat, implacable. Un devoir qui commande et qui veut être obéi.

Cette absorption austère dans le devoir étroit et absolu n’est que momentanée ; avant peu, j’espère, je pourrai revenir aux saines joies libres de l’esprit. À cette heure, je ne dois pas. J’ai autre chose à faire. Je ne dois pas voir d’autre cercueil que le cercueil de la liberté.

Si j’ai quelque force en moi, je la dois dévouer à ceux qui souffrent, à ceux qui pleurent, à ceux qu’on torture ; je la dois aux vivants, et je suis sûr que les morts m’en applaudissent, et que Balzac dans sa tombe me dit : c’est bien.

Soyez assez bon, monsieur, pour faire accepter à madame de Balzac mes remercîments et mes regrets. Je mets mes respects à ses pieds.

Et vous, en échange de votre affectueux souvenir, recevez mon serrement de main.

Ex imo corde.
Victor Hugo[93].


À Madame de Girardin.


29 décembre 1853.

Voilà deux ans d’exil faits.

Savez-vous, madame, que je remercie tous les jours Dieu de cette épreuve où il me trempe. Je souffre, je pleure en dedans, j’ai dans l’âme des cris profonds vers la patrie, mais, tout pesé, j’accepte et je rends grâces. Je suis heureux d’avoir été choisi pour faire le stage de l’avenir.

Ce grand stage, vous le faites de votre côté, vous et ce profond penseur qui est auprès de vous. Vous accomplissez merveilleusement chacun votre œuvre ; vous, vous désenflez le ballon des vanités, des sottises et des ridicules, lui, il sape la vieille forteresse des préjugés, des oppressions et des abus ; j’admire vos coups d’épingle et ses coups de pioche. Continuez tous les deux. Je vous suis des yeux de loin à travers cette sombre nuit qu’on appelle l’exil. Le rayonnement des étoiles la perce.

Tout à l’heure Pierre Leroux était à un coin de ma cheminée de bois peint, et moi à l’autre coin, et le vicomte de Launay[94] est venu s’asseoir entre ces deux démagogues. Vrai, nous nous sommes mis à causer avec vous. En général, les proscrits ne peuvent que pleurer ou rire, vous avez eu ce triomphe, vous nous avez fait sourire. Un moment, grâce à vous, malgré l’ouragan qui tourmente la mer, malgré la neige qui glace la terre, malgré la proscription qui assombrit nos âmes, il y a eu un salon à Marine-Terrace, et vous en étiez la reine, et nous, les anarchistes, nous en étions les sujets. Quel charmant livre que ce beau livre ! Je l’ai lu autrefois, feuilleton à feuilleton ! Je le relis aujourd’hui page à page, j’y retrouve les anciens diamants, et de nouvelles perles. Vous avez ajouté toutes sortes de choses exquises. Il y a sur les femmes une page admirable. — Vous dites : « Tout est perdu, les femmes sont pour les vainqueurs et contre les vaincus ». — Moi je dis : « Tout est sauvé, une femme est avec nous ». — Et quelle femme ! la vraie. Vous.

Oui, vous êtes la vraie femme, parce que vous avez la beauté éclatante et le cœur attendri, parce que vous comprenez, parce que vous souriez, parce que vous aimez. Vous êtes la vraie femme, parce que vous êtes prophétesse et sœur de charité, parce que vous enseignez le devoir aux deux sexes, parce que vous savez dire aux hommes où ils doivent diriger leur âme et aux femmes où elles doivent mettre leur cœur.

J’ai compté les jours sur mes doigts avant d’écrire cette lettre, et si elle ne vous arrive pas le jour de l’an, je serai bien attrapé. Savez-vous que vous avez ébloui Marine-Terrace ! Vous nous avez expédié la cassette d’Aboul-Kasem, des trésors sous forme de livres, des bijoux sous forme de notes, des miracles sous forme de Tables[95].

En ce moment, nous laissons un peu reposer ce que j’appelle la science nouvelle ; nous avons chacun un travail vers lequel nous faisons force de voiles ; nos plumes crient à qui mieux mieux sur le papier ; nous sommes en classe. Mais à la sortie, quelle récréation, et comme nous allons nous en donner des a-b-c ! Moi, je n’ai nul fluide, vous savez ? et je n’aboutis qu’à a b a x (table) et a b a c a d a r a (abracadabra). Je mets cette magie blanche à vos pieds, blanche magicienne ![96].

  1. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  2. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique, Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  3. Pelvey, éditeur.
  4. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  5. Archives de la famille de Victor Hugo.
  6. Théorie de l’amour et de la jalousie, publiée en 1852.
  7. Hetzel aux prises avec les éditeurs et imprimeurs belges, en avait vu successivement trois renoncer à la publication, de crainte de procès et d’amendes.
  8. Louis Labarre, publiciste belge, dirigeait à Bruxelles La Nation. Il écrivit de nombreux pamphlets contre Napoléon III.
  9. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. Collection Jules Hetzel.
  10. Collection de M. Détroyat.
  11. Louise Colet débuta en 1836 par un recueil de poésies ; ses poèmes furent plus d’une fois couronnés par l’Académie Française ; elle publia plusieurs volumes de vers et quelques-uns de prose. Sa liaison avec Flaubert fut assez mouvementée et elle eut une certaine célébrité dans le monde des lettres par son aventure avec Alphonse Karr qu’elle tenta de poignarder parce qu’il l’avait critiquée et raillée. — Victor Hugo, dès 1850, avait vivement recommandé à la bienveillance de ses collègues à l’Académie un poème de Louise Colet : La Colonie de Mettray. Quand il eut quitté Paris et jusqu’à la fin de l’exil, Louise Colet entretint avec Victor Hugo une correspondance suivie ; elle fit même le voyage de Jersey pour l’aller voir et le poète ne cessa de l’encourager et de la conseiller.
  12. Victor Hugo, dans Les Châtiments, a consacré une poésie à Pauline Roland ; il y dépeint son ardeur à prêcher au peuple la résistance au coup d’État, il loue sa fermeté d’âme durant sa captivité et son séjour à Lambessa, d’où elle ne revint que pour mourir.
  13. Gustave Simon. — Victor Hugo et Louise Colet, Revue de France. 15 mai 1926.
  14. Le pape des fous, dont il est parle dans Notre-Dame de Paris.
  15. Clément-Janin. — Le Monde nouveau. Septembre 1921.
  16. Hetzel, rebuté par les défections des imprimeurs belges qu’il avait considérés comme ses co-associés, proposait de créer une imprimerie et de supporter les frais à quatre (Victor Hugo, lui Hetzel, Charras et Mœrtens). Il demandait à Victor Hugo, qui s’était engagé pour 1 500 francs, d’avancer le reste, soit 3 000 francs, le capital prévu étant de 6 000 francs et Mœrtens y contribuant pour 1 500 francs. Mais Victor Hugo, éprouvé par l’exil, n’avait pas cette somme et cherchait autour de lui des concours.
  17. Mœrtens, éditeur éventuel des Châtiments.
  18. Publiée en partie dans Les Châtiments, Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  19. Communiquée par la fille de Nefftzer. Actes et Paroles. Pendant l’exil. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  20. Imprimeur polonais qui devait se charger d’imprimer Les Châtiments à Jersey même.
  21. On devait alors imprimer et clicher à Jersey l’édition clandestine, complète, et imprimer à Bruxelles l’édition expurgée.
  22. Samuel était proposé comme imprimeur responsable en cas de procès.
  23. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  24. Sur la tombe de Jean Bousquet, discours prononcé le 20 avril. Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  25. Dans sa lettre du 1er mai, Noël Parfait apprend à Victor Hugo que les proscrits résidant à Bruxelles vont faire réimprimer, pour le répandre, le discours du 20 avril.
  26. Quelques pièces des Châtiments circulaient avant la publication du volume.
  27. Le Temps, 30 juin 1903.
  28. Gustave Flaubert, en 1853, n’avait pas encore écrit ses chefs-d’œuvre ; avec la publication de Madame Bovary, les persécutions commencèrent ; il ne fut pas compris, taxé d’immoralité, il fut jugé, condamné. Victor Hugo alors ne lui ménagea pas son approbation, son appui ; ses lettres montrent pour chacune des grandes œuvres de Flaubert une admiration qui ne se démentit jamais.
  29. La correspondance de Victor Hugo était très surveillée et souvent interceptée. Victor Hugo envoyait à Flaubert les lettres destinées à Louise Colet.
  30. Savoye, juriste, avocat, représentant du Haut-Rhin en 1849, fut expulsé après le coup d’État. Il se réfugia d’abord à Bruxelles, puis à Londres.
  31. Gustave Simon. Victor Hugo et Louise Colet. Revue de France, 15 mai 1926.
  32. Gustave Simon. — Victor Hugo et Louise Colet. Revue de France. 15 mai 1926.
  33. Sur la tombe de Jean Bousquet. Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  34. Archives de la famille de Victor Hugo.
  35. Hetzel, le 11 mai, avait écrit à Victor Hugo : « Nous avons une imprimerie qui est à nous. Nous imprimons publiquement, une seule édition. Nous n’avons ni les frais ni les ennuis d’une édition expurgée. Nous tirerons à 10 000. Nous distribuerons nos dix mille avant la mise en vente. Ils sont partout le jour où nous mettons en vente ostensiblement, puis nous attendons le procès s’il le faut, et nous le gagnons très probablement, car l’esprit public a fait un grand pas ici contre Napoléon.
  36. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  37. Un mot illisible.
  38. À propos du livre : Théorie de l’amour et de la jalousie. (Voir lettre du 6 mars 1853. — Victor Hugo conseillait à Hetzel de faire passer son livre en contrefaçon et de poursuivre ensuite les contrefacteurs pour faire juger le cas par un procès.) —
  39. Poëte persan qui a composé le poème : Le Livre des Rois, histoire légendaire de la Perse.
  40. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  41. Inédite.
  42. Laurent-Pichat publia plusieurs volumes de vers et prit, avec Théophile Gautier, Arsène Houssaye et Maxime du Camp, la direction de la 'Revue de Paris en 1853. Mais en 1858, la Revue de Paris fut supprimée, à cause de ses tendances républicaines. Laurent-Pichat entra alors au Phare de la Loire et publia des romans philosophiques. En 1871 il se fit élire député et vota avec la gauche; en 1875 il devint sénateur inamovible. Son dernier volume de poésie : Les Réveils, parut en 1880.
  43. Laurent-Pichat publia plusieurs volumes de vers et prit, avec Théophile Gautier, Arsène Houssaye et Maxime du Camp, la direction de la 'Revue de Paris en 1853. Mais en 1858, la Revue de Paris fut supprimée, à cause de ses tendances républicaines. Laurent-Pichat entra alors au Phare de la Loire et publia des romans philosophiques. En 1871 il se fit élire député et vota avec la gauche; en 1875 il devint sénateur inamovible. Son dernier volume de poésie : Les Réveils, parut en 1880.
  44. Tournachon, dit Nadar, avant d’être un photographe célèbre, fit d’abord du journalisme, s’illustra dans la caricature dont le Panthéon Nadar fut l’expression la plus réussie. Quelques années plus tard, il se passionna pour l’aérostation et fit plusieurs ascensions dont l’une, en 1864, faillit lui coûter la vie. Pendant le siège de Paris, il rendit de grands services par ses ballons qui assuraient le transport de certains membres du gouvernement et se chargeaient des lettres.
  45. Bibliothèque Nationale.
  46. Il s’agit de la féerie tirée de la Légende du Beau Pécopin, et écrite en collaboration avec Barré : Le ciel et l’enfer, Victor Hugo touchait un tiers des droits d’auteur.
  47. Intermédiaire des chercheurs et curieux, 30 juillet 1898.
  48. Réponse de Flaubert à la lettre du 5 mai.
    « ... Vous me permettrez. Monsieur, de vous remercier pour tous vos remerciements et de n’en accepter aucun. L’homme qui, dans ma vie restreinte, a tenu la plus large place, et la meilleure, peut bien attendre de moi quelque service, — puisque vous appelez cela des services !
    La pudeur que l’on a à exposer soi-même toute passion vraie m’empêche — malgré l’exil — de vous dire ce qui m’attache à vous. C’est la reconnaissance de tout l’enthousiasme que vous m’avez causé. Mais je ne veux pas m’empêtrer dans des phrases qui en préciseraient mal l’étendue.
    Personnellement, déjà, je vous ai vu ; nous nous sommes rencontrés quelquefois, vous m’ignorant, et moi vous considérant. C’était dans l’hiver de 1844, chez ce pauvre Pradier, de si gracieuse mémoire ! On était là cinq ou six, on buvait du thé, et l’on jouait au jeu de l’oie ; je me rappelle même votre grosse bague d’or, sur laquelle est gravé un lion rampant — et qui servait d’enjeu. Vous avez depuis compromis d’autres enjeux, en des facéties plus terribles. Mais la patte du lion y était toujours. Il en porte au front la cicatrice, et les siècles le reconnaîtront à cette marque rouge, quand il défilera dans l’histoire ». — Lettre de Flaubert à Victor Hugo, 2 juin 1853. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  49. Albalat. Gustave Flaubert et ses amis.
  50. Auguste Préault, sculpteur français, élève de David d’Angers, se distingua d’abord par des œuvres d’une facture romantique, puis peu à peu s’assagit et exécuta de nombreux travaux pour l’État.
  51. Gustave Simon. Victor Hugo et Louise Colet. La Revue de France ; 15 mai 1926.
  52. Hetzel lui avait écrit le 4 juillet : « D’accord avec vous sur ce but, l’impossibilité où vous êtes de venir pour le procès, je diffère sur les moyens. Ce n’est pas à vous de dire : je ne viendrai pas ; c’est à votre imprimeur responsable de dire à vous qui voudriez venir : Je ne veux pas que vous veniez. Avant la loi Faider, votre présence à Bruxelles en cas de procès m’aurait couvert, aujourd’hui elle ne me couvrirait peu, à quoi bon offrir deux proies pour une ? Et ceci, Samuel vous le dira, vous l’écrira, et le fera. Mais ce qu’il ne faut pas faire, dans l’intérêt de votre caractère même, ce sont d’une part ces considérants au traité, d’autre part cette préface qui, en faisant voir aux juges et à M. Bonaparte qu’ils n’ont point à redouter votre venue, votre parole, l’éclat qui s’ensuivrait, leur jette en quelque sorte en pâture et d’avance, et votre livre et votre imprimeur abandonné, leur fait en un mot une proie facile à atteindre... Il faut que, tant qu’il n’y aura pas procès, ils redoutent le procès avec vous ; et il faut, quand ils le feront, qu’ils aient ce procès sans vous. Avant le procès nous leur disons : prenez garde, si vous faites le procès, il peut vous en cuire, Victor Hugo peut venir. Le procès arrive. Nous leur disons : Vous imaginez-vous que nous allons souffrir qu’un homme dont la liberté vous est terrible, vienne se livrer à vous et se mettre dans vos mains ? Et c’est alors que l’imprimeur, exécutant ce qu’il aura écrit, vous dira : je refuse votre venue… Réfléchissez, cher ami, et comprenez que la situation est mille fois meilleure pour nous telle que je la fais, que telle que, dans votre sincérité maladroite, passez-moi le mot, vous voulez la faire. »
  53. Publiée en partie dans Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.Collection Jules Hetzel.
  54. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  55. Lettre convenue pour établir un alibi couvrant Hetzel en cas de poursuites judiciaires.
  56. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  57. Inédite.
  58. Monsieur Samuel.
  59. Mot douteux.
  60. Mot illisible.
  61. Collection Jules Hetzel.
  62. Les libraires Gosselin et Renduel avaient acquis, d’abord en 1831, puis en 1832, le droit de publier un roman en deux volumes ; le traité ne donnait pas de titre ; une convention du 30 décembre 1847 renouvelle avec modifications le traité de 1832, toujours sans dénomination. — Les Misérables. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  63. C’est avec un passeport établi au nom de Lanvin, ouvrier typographe, que Victor Hugo avait pu gagner la Belgique en décembre 1851.
  64. Tout le début de cette lettre est d’une écriture très fine et d’une lecture difficile.
  65. Mirecourt se fit connaître en publiant, en 1845, un pamphlet contre Alexandre Dumas : Fabrique de romans ; maison Alexandre Dumas et Compagnie ; Dumas, à la suite de cette publication, intenta un procès en diffamation à Mirecourt qui fut condamné à six mois de prison. Il entreprit en 1854 une série de portraits sous le titre : Galerie des contemporains et consacra l’un de ses premiers petits volumes à Victor Hugo. Plus tard, passant de la louange à l’insulte, en 1862, il fit paraître Les Vrais Misérables, diatribe violente contre le roman et son auteur.
  66. Rémy était le titre sous lequel on désignait, par prudence, Les Châtiments.
  67. « ... J’avais précisément sous les yeux un galet que vous m’avez donné et où vous avez écrit votre nom et la date 31 août 1852. Havre du Pas. Ce cher caillou ne quitte pas ma table et je serre dessous les feuillets que j’écris, cela leur doit porter bonheur ». Lettre de Paul Meurice.
  68. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  69. Archives de la famille de Victor Hugo.
  70. Nous publions cette lettre sans nom de destinataire, car il nous a semblé impossible qu’elle ait été adressée à Mlle Louise Bertin, comme l’indiquent les éditions antérieures à celle-ci ; il s’agit peut-être de Mme d’Aunet.
  71. Archives de la famille de Victor Hugo. Brouillon.
  72. Les Châtiments.
  73. Marie Dumas, fille d’Alexandre Dumas.
  74. Archives de la famille de Victor Hugo.
  75. Collection Spoelberch de Lovenjoul.
  76. La Famille Aubry, roman publié par La Presse.
  77. Personnage de La Famille Aubry.
  78. La Presse, 29 novembre 1853.
  79. En 1845, Victor Hugo avait intenté un procès au Théâtre Italien pour protester contre les représentations de Lucrèce Borgia. Le tribunal ayant décidé que la traduction de Lucrèce Borgia était une contrefaçon, les directeurs du Théâtre Italien avaient été obligés de signer un traité avec Victor Hugo, traité qui lui attribuait 10 p. 0/0 sur la recette.
  80. Pagnerre, éditeur, était en tiers dans le traité Gosselin et Renduel. — Il fut, en 1862, l’éditeur des Misérables, pour Paris.
  81. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  82. Inédite.
  83. Paul Huet, peintre paysagiste de grand talent ; de 1827 à sa mort, chaque tableau qu’il exposa obtint un succès.
  84. Paillard de Villeneuve, avocat célèbre, plaida et gagna de nombreux procès littéraires ; il fut l’un des fondateurs de la Gazette des tribunaux. Ami de Victor Hugo, il plaida pour lui, en 1838, contre la Comédie-Française qui avait manqué à ses engagements pour les reprises d’Hernani et d’Angelo.
  85. Jules Janin.
  86. Bibliothèque Nationale.
  87. Inédite.
  88. Les Châtiments.
  89. Octave Lacroix, poète et journaliste.
  90. Les Chansons d’avril.
  91. Bibliothèque Nationale.
  92. Alfred Busquet, journaliste, fit à La Semaine des chroniques judiciaires fort remarquées ; il collabora au Pays, à L’Artiste ; à la Revue française : il dirigea la librairie Pagnerre jusqu’en 1876.
  93. Archives Spoelberch de Lovenjoul.
  94. Pseudonyme de Mme de Girardin.
  95. Les Tables tournantes, que Mme de Girardin avaient importées à Jersey.
  96. Collection de M. Détroyat.