Correspondance de Voltaire/1722/Lettre 68

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Correspondance de Voltaire/1722
Correspondance : année 1722GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 77-78).
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68. — À M. THIERIOT.

1722.

Je pars du Bruel ; je vais passer un jour à la Source, chez milord Bolingbroke, et de là à Ussé, en poste. Faites en sorte, mon cher ami, que j’y trouve une lettre de vous, qui m’apprenne que les Pâris vous ont donné quelque bon emploi. Je suis très-surpris qu’on vous ait préféré, comme vous me le dites, un fils de m… Il me semble qu’on devrait avoir plus d’égard aux gens qui exercent qu’aux enfants de ceux qui ont eu cette dignité. Raillerie à part, j’écrirai une épître chagrine aux Pâris, s’ils ne vous donnent rien. Ce que vous me mandez touchant M. le cardinal Dubois est fort raisonnable. Je m’occupe à présent à adoucir dans mon poëme les endroits dont les vérités trop dures révolteraient les examinateurs. Je ferai ce que je pourrai pour avoir le privilège en France ; ainsi vous pouvez répandre qu’il sera imprimé en ce pays-ci, et que les souscripteurs n’ont rien à craindre.

Je vous ai mille obligations des soins que vous prenez pour mes dessins. Si Coypel tarde trop, je crois qu’il serait bon de l’engager à n’entreprendre que deux dessins. Tout est absolument à votre disposition. Je viens de corriger, dans le premier chant, un endroit qui me paraît essentiel. Vous savez que, lorsque Henri IV avait déclaré à Henri III qu’il ne voulait pas aller en Angleterre, Henri III lui répliquait, pour l’y engager. Tout ce dialogue faisait languir la narration. J’ai substitué une image à cette fin de dialogue. J’ai fait apparaître à mon héros son démon tutélaire, que les chrétiens appellent ange gardien. J’en ai fait le portrait le plus brillant et le plus majestueux que j’ai pu ; j’ai expliqué en peu de vers serrés et concis la doctrine des anges que Dieu nous donne pour veiller sur nous : cela est, à mon gré, bien plus épique[1].

Voilà un beau sujet pour la première vignette ; mais je crains bien que ces vignettes ne nous emportent bien du temps. J’ai corrigé encore beaucoup de morceaux dans les autres chants, surtout dans le quatrième. Je m’occupe un peu, dans la solitude, à régler l’auteur et l’ouvrage ; mais je vous assure qu’il n’y aura jamais rien à corriger aux sentiments que j’ai pour vous.

  1. Il ne reste rien de ces premières versions.