Correspondance de Voltaire/1724/Lettre 138
Enfin, je crois que vous m’aimez autant qu’autrefois, puisque vous vous remettez à être malade quand je le suis. Ne me donnez plus cette marque d’amitié, mon cher ami. Vous êtes la moitié de moi-même, la plus saine et la plus vivante ; conservez cette moitié si chère dans le temps que l’autre dépérit tous les jours. J’ai eu assez de courage jusqu’ici pour supporter mes maux ; il me semble que je ne pourrais pas tenir contre les vôtres et les miens mêlés ensemble. Vous avez un fond de tempérament assez bon ; vous n’êtes sûrement malade que pour avoir trop mangé : soyez persuadé que la sobriété vous donnera de la santé, et qu’il n’est pas permis à tout le monde d’être intempérant. Achevez vite votre édition[2], et revenez. Comment voulez-vous que je vous envoie du Chaulieu ou du La Fare ? Je n’ai presque bougé de mon lit depuis quinze jours. Me voilà condamné à ne sortir de l’hiver. Je ne vois plus de fin à mes maux, je n’en espère plus. J’ai renoncé à avoir de la santé, comme Lamotte à faire de bons vers. Que je commence à vous savoir bon gré d’avoir résisté aux, efforts que j’ai faits pour vous séparer de moi[3] ! Je vois plus que jamais que je n’aurais pu me consoler de votre perte. Vous avez préféré mon bonheur à votre fortune, et vous n’avez songé qu’à moi lorsque je ne songeais qu’à vous. Couronnez tout cela par un prompt retour. Adieu, je n’ai pas la force d’écrire davantage.