Correspondance de Voltaire/1725/Lettre 144

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Correspondance de Voltaire/1725
Correspondance : année 1725GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 140-141).
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144. — À MADAME LA PRESIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce mercredi, 27 juin.

Je sors de chez Silva, à qui j’ai envoyé quatre fois inutilement demander votre ordonnance : il m’a paru aussi difficile d’en avoir une de médecin que du roi. Enfin Silva vient de me dire que les morceaux d’une boule de fer étaient aussi bons que la boule en entier. Mais, pour moi, je puis vous assurer que le régime vaut mieux que toutes les boules de fer du monde. Je ne me sers plus que de ce remède, et je m’en trouve si bien que je serais déjà chez vous par le coche ou par les batelets, sans la lettre que M. Thieriot m’a écrite. Il m’a mandé que vous et lui seriez fort aises de me recevoir, mais qu’il ne me conseillait pas de venir sans avoir auparavant donné de l’argent[1] à M. de Bernières. Je n’ai jamais plus vivement senti ma pauvreté qu’en lisant cette lettre. Je voudrais avoir beaucoup d’argent à lui donner, car on ne peut payer trop cher le plaisir et la douceur de vivre avec vous. J’envie bien la destinée de M. des Alleurs, qui a porté à la Rivière-Bourdet son indifférence et ses agréments. Je m’imagine que vous avez volontiers oublié tout le monde dans votre charmante solitude, et que qui vous manderait des nouvelles de ce pays-ci, fût-ce des nouvelles de votre mari, vous importunerait beaucoup.

Je ne sais autre chose que le risque où le roi Stanislas a été d’être empoisonné. On a arrêté l’empoisonneur, et on attend de jour en jour des éclaircissements sur cette aventure. Les dames du palais partiront, je crois, le 10 pour aller chercher leur reine[2]. Je crois M. de Luxembourg parti pour Rouen. Voilà tout ce que je sais. Tout le monde dit dans Paris que je suis dévot et brouillé avec vous, et cela parce que je ne suis point à la Rivière, et que je suis souvent chez la femme au miracle[3] du faubourg Saint-Antoine. Le vrai pourtant est que je vous aime de tout mon cœur, comme vous m’aimiez autrefois, et que je n’aime Dieu que très-médiocrement, dont je suis très-honteux.

Je ne sais point du tout si M. de Bernières ira vous voir, et vous savez si j’y dois aller. Mandez-moi ce que vous souhaitez : ce sont vos intentions qui règlent mes désirs. Adieu ; soit à la Rivière, soit à Paris, je vous suis attaché pour toujours, avec la tendresse la plus vive.

  1. Voyez tome XXIII, pages 38 et 61.
  2. Marie Leczinska, fille du roi de Pologne Stanislas, mariée à Louis XV le 5 septembre 1725. On avait voulu faire périr son père avec du tabac empoisonné.
  3. Voyez tome XV, page 61.