Correspondance de Voltaire/1725/Lettre 146

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Correspondance de Voltaire/1725
Correspondance : année 1725GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 142-143).
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146. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Paris, ce 23 juillet.

Depuis que je ne vous ai écrit, une foule d’affaires m’est survenue. La moindre est le procès que je renouvelle contre le testament de mon père. Les peines que je me donne tous les jours m’ont bientôt ôté le peu de santé que l’espérance de vous voir m’avait rendu. Je mène ici une vie de damné, tandis que Thieriot et vous vous avez l’air d’être dans les limbes, à votre campagne. Il n’y a plus d’apparence que je revoie la Rivière-Bourdet. Voilà qui est fait ; il n’y a point de repos pour moi jusqu’à l’impression de Henri IV. Je ne vous dirai point combien la situation où je me trouve est douloureuse. Vous n’êtes pas assez fâchée de vivre sans moi pour que je vous montre toute mon affliction. Je vous prie seulement de me rendre un petit service dans votre ville de Rouen. Un de vos coquins d’imprimeurs a imprimé, depuis peu, Mariamne ; j’en ai un exemplaire entre les mains. Si, par le moyen de M. Thieriot, je pouvais savoir quel est l’imprimeur qui m’a joué ce tour, j’en ferais incessamment saisir les exemplaires. Il peut mieux que personne être informé de cela. Je ne lui écris point pour l’en prier, car je compte que c’est tout un d’écrire à vous ou à lui ; et d’ailleurs, en vérité, je n’ai pas un moment de temps. Qu’il me pardonne donc ma négligence, et qu’il ait la bonté, quand il ira à Rouen, de dénicher un peu le faquin qui a donné ma Mariamne. Elle est pleine de fautes grossières et de vers qui ne sont point de moi ; j’en suis dans une colère de père qui voit ses enfants maltraités, et cela m’oblige de faire imprimer ma Mariamne plus tôt que je ne l’avais résolu, et dans un temps très-peu favorable. Il pleut des vers à Paris. M. de Lamotte veut absolument faire jouer son Œdipe[1] ; M. de Fontenelle fait des comédies tous les jours. Tout le monde fait des poèmes épiques ; j’ai mis les poèmes à la mode, comme Langlée y avait mis les falbalas. Si vous voulez des nouvelles, messieurs du clergé refusent de payer le cinquantième, et je m’imagine que, sur cela, la noblesse et le tiers état pourront bien penser de même. Les dames du palais partent demain, à l’exception de Mme  la maréchale de Villars, qui est retenue par une perte de sang. Mme  de Prie[2] a pris les devants avec Mme  de Tallard, et, avant de partir, m’a donné un ordre pour le concierge de sa maison de Fontainebleau, où j’ai un appartement cet automne. Je verrai le mariage de la reine ; je ferai des vers pour elle[3], si elle en vaut la peine. J’en ferais plus volontiers pour vous si vous m’aimiez. Voilà le papier qui me manque. Adieu ; je vous aime de tout mon cœur.

  1. Voyez tome II, page 47, note 3.
  2. Voyez la note 2, tome XVI, page 71.
  3. Voyez, tome X, page 250, l’Épitre à la Reine, en lui envoyant la tragédie de Mariamne.