Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 233
Mon cher Thieriot, je viens enfin de voir tout à l’heure cette belle préface qu’on m’impute depuis un mois. Faites rougir M. de Chauvelin de vous avoir dit du bien de cet impertinent ouvrage, où le sérieux et l’ironie sont assurément bien mal mêlés ensemble, et dans lequel on loue, avec des exclamations exagérées, les factums de Chaudon[1], et ceux pour le père carme, que, Dieu merci, je ne lirai jamais. Cette préface est pourtant d’un homme d’esprit, mais qui écrit trop pour écrire toujours bien. Je suis très-fâché que M. de Chauvelin connaisse si peu ma personne et mon style. On ne peut lui être plus attaché, ni être plus en colère que je le suis. Quand Orphée-Rameau voudra, je serai à son service. Je lui ferai airs et récits, comme sa muse l’ordonnera. Le bon de l’affaire, c’est qu’il n’a pas seulement les paroles telles que je les ai faites.
Je gage qu’il n’a pas, par exemple, ce menuet :
Le vrai bonheur
Souvent dans un cœur
Est né du sein de la douleur.
C’est un plaisir
Qu’un doux souvenir
Des peines passées ;
Les craintes cessées
Font renaître un nouveau désir[2].
Il y a vingt canevas que je crois qu’il a perdus, et moi aussi.
Mais, quand il voudra faire jouer Samson, il faudra qu’il tâche d’avoir quelque examinateur au-dessus de la basse envie et de la petite intrigue d’auteur, tel qu’un Fontenelle, et non pas un Hardion[3], who envies poets, as eunuchs envy lovers. Ce M. Hardion a eu la bonté d’écrire une lettre sanglante contre moi à M. Rouillé.