Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 249

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Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 250-251).
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249. — À M. DE MONCRIF.
Mars.

Muse aimable, muse badine,
Esprit juste et non moins galant,

Vous ressemblez bien mieux à La Fare, à Ferrand,
Que je ne ressemble à Racine.


Grand merci de vos bontés ; j’y suis plus sensible qu’à des battements de mains[1].

Mon cher et aimable Tithon[2], j’ai été deux fois à votre palais sans pouvoir saluer Son Altesse. J’avais aussi à vous prier de passer chez Mme  de Fontaine-Martel, qui se vante d’avoir quelque chose à vous dire. Recevez donc, par écrit, mon invitation de venir la voir. Si vous rencontrez dans votre palais Rhadamiste et Palamède[3] ayez la bonté, je vous prie, de lui dire des choses bien tendres de la part de son admirateur. À l’égard de votre prince, je me suis écrié à sa porte :


    J’ai par deux fois Votre Altesse ratée ;
    Cela veut dire, hélas ! tout simplement,
Que ma muse deux fois s’est en vain présentée
      Pour vous faire son compliment.
      Heureux qui serait à portée
      De rater effectivement
      Votre personne tant vantée !
      Il n’en ferait rien sûrement.


Cela est un peu irrégulier à présenter à un saint abbé comme monseigneur le comte de Clermont ; mais pour vous, qui n’êtes point in sacris, vous pouvez lire de ces sottises. Faites ma cour en prose à ce prince aimable, et brûlez mes vers : j’y gagnerai beaucoup.

Adieu. Cela est honteux que vous ne fassiez plus de vers. Ce siècle-ci a plus besoin que jamais de grâce et de bon goût. Il faut que vous travailliez.

  1. MM. de Cayrol et François donnent ce commencement de billet avec ce qui suit : « Je demande à monsieur le comte sa protection. Je lui demande surtout qu’il me pardonne de n’être pas à son lever. La raison de cela, c’est que je ne peux pas me lever, moi qui vous parle, ayant ma détestable colique. J’irai chez M. de Lassay dès que je pourrai sortir ; mais je commencerai par venir vous remercier. Mandez-nous si monseigneur vient dîner ; Mme  de Fontaine-Martel voudrait bien le savoir. Souvenez-vous de ce que vous savez auprès de Son Altesse ; c’est le seul prince cà qui je ferai jamais ma cour.»
  2. Allusion au petit poëme intitulé le Rajeunissement inutile, ou les Amours de Tithon et de l’Aurore, dont Moncrif est l’auteur.
  3. C’est-à-dire Crébillon. Palamède est un des personnages de la tragédie d’Électre.