Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 264

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Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 267-269).
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264. — À M. THIERIOT[1].
Paris, 26 may (n. s.), 1732.

I am very sorry that M. Bernard has stolen my compliment to the gentlemen of the pit, and has sent to you what I would show to nobody, and what you have communicated to many persons. I will not excuse myself by telling you Bernard’s copy was faulty in many places. I knew very well that a discourse written in one day, and made like a hasty-pudding, was to be swallowed all at once by the pit, but not to be chewed by readers. Since I did not send it to you, why then have you showed it to others ? After all I forgive you and Bernard, because you are both very amiable créatures. My lady Sandwich takes upon herself to get the Craftsman for the abbot Rothelin : you may spare yourself this trouble.

I hâve seen some French verses of the young Bernard, intended for the young idol whom you adore. The verses are not good, nor are convenient those of Pope and Gay ; the reason of it seems to me very plain : the picture itself is an allusion. Your nymph’s prudery is expressed by the temple of Diana : if you load this allegory with another allusion to the first book of Virgil, it will not be understood by the women and by the young coxcombs or fops. Even many men of letters, in reading it, will be at a stand for a little while till they remember the passage of Virgil. I grant a famous passage of any great author is very convenient for a print or to a medal. The motto Ite, missa est, was admirable for the medal of king James the Second, Ænus est intus suited very well Lewis the Fourteenth, and so forth. Here the thing is quite différent : it is not a single hémistiche, known by every body, that strikes a full light on the mind of the reader ; this is a long allusion to that latin verse, et vera incessu patuit dea. The quick flash of the Latin loses its brightness in the long English commentary. Two verses are enough, one for rhyme and one for sense. I hope sir Homer Pope and sir Ovid Gay will be so kind as to forgive my boldness ; you know I entertain for them the sense of the highest esteem : I admire their works, I love their persons, I would with all my heart live with them, but you know I am tied ; I am fettered here by my studies, my works, my fortune and my health. The baronne has been very sick, but is recovered. I thank you for the lamentable story of the bookbinder. Pray, my dear, send me the remarks which the traveller Motraye bas scribbled on my history. I was a fool to print so few copies of that book : they bave made here four editions of it : the fourth édition was sent to me this very morning. I have differed to print Ériphyle, because I intend to try it again on the theatre next year. Enough of my affairs ; those of the French parliament, the tracasseries of the priests, the foolish rage of the jesuits and jansenists I despise, and I do not care a pin for ail these facetious troubles, unless we have barricades. I live very easy at your baronne′s house ; while you go roaming abroad, I stay at home like a Carthusian. Farewell, my dear friend, love the English nation, ingratiate me with your friends : tell chiefly my lord and my lady Bolingbroke I am attached to them for life. My respects to the great foes. Mr  Pulteney and my lord and lady Harvey. Drink my health with the glutton Pope. Write often. Get my plates out of Woodman’s hands when the time shall be proper. Farewell[2].

  1. Pièces inédites, 1820.
  2. Traduction : Je suis fâché que M. Bernard ait eu mon compliment aux seigneurs du parterre, et qu’il vous ait envoyé ce que je ne voulais montrer à personne, et ce que vous avez communiqué à tant de monde. Je ne m’excuserai point en vous disant que la copie de Bernard n’était pas exacte en plusieurs endroits. Je savais très-bien que ce discours fait en un jour et à la hâte pouvait être entendu du parterre, mais non passer à l’examen réfléchi des lecteurs. Puisque je ne vous l’avais pas envoyé, pourquoi donc l’avoir montré à d’autres ? Après tout, je vous pardonne, ainsi qu’à Bernard, en faveur de votre amabilité. Milady Sandwich se charge de procurer le Craftsman à l’abbé de Rothelin ; ainsi vous pouvez vous épargner cette peine. J’ai vu quelques vers français du jeune Bernard, composés pour la jeune idole que vous adorez : ils ne sont pas bons, et ceux de Pope et de Gay ne conviennent pas non plus. La raison m’en paraît toute simple. Le portrait même est une allusion ; la pruderie de votre nymphe y est exprimée par le temple de Diane. Si vous chargez cette allégorie d’une autre allusion au premier livre de Virgile, cela ne sera pas compris par les femmes ni par les jeunes paladins. Plusieurs hommes de lettres seraient même obligés de s’arrêter, en lisant, pour se rappeler les vers de Virgile. J’accorde qu’un passage fameux tiré de quelque grand auteur convient parfaitement à une gravure ou à une médaille. Le mot Ite, missa est était admirable pour la médaille du roi Jacques II. Æneus est intus allait très-bien à Louis XIV, et ainsi de suite. Ici le cas est tout à fait différent. Ce n’est pas un seul hémistiche connu de tout le monde, et que l’esprit du lecteur puisse saisir de suite : c’est une longue allusion à ce vers latin :

    Et vera incessu patuit dea.

    L’expression du latin perd son éclat et sa beauté dans le long commentaire anglais. Deux vers suffisent, l’un pour la rime et l’autre pour le sens. J’espère que sir Homère Pope et sir Ovide Gay voudront bien me pardonner ma hardiesse. Vous n’ignorez pas que j’ai pour eux le sentiment de la plus haute estime. J’admire leurs ouvrages, j’aime leurs personnes ; je voudrais de tout mon cœur pouvoir vivre avec eux ; mais vous savez que je suis lié, ou plutôt enchaîné ici, par mes études, mes œuvres, ma fortune et ma santé. La baronne* a été très-malade : elle est maintenant rétablie. Je vous remercie de l’histoire lamentable du relieur. Je vous prie, mon cher, de m’envoyer les remarques que le voyageur La Motraye a griffonnées sur mon dernier ouvrage. J’ai été bien fou de faire imprimer si peu d’exemplaires de ce livre. On en a fait ici quatre éditions. La quatrième m’a été envoyée ce matin même. J’ai différé à faire mettre Ériphyle sous presse, parce que je compte l’essayer encore au théâtre l’année prochaine. C’est assez parler de mes affaires ; quant à celles du parlement français, je les méprise, ainsi que les tracasseries des prêtres et la folle rage des jésuites et des jansénistes. Je ne m’inquièterai point de tous ces troubles ridicules, à moins cependant que nous n’ayons des barricades. Je vis très à l’aise chez votre baronne, et tandis que vous passez votre temps à courir dans les pays lointains, je garde la maison comme un chartreux. Adieu, mon cher ami, aimez la nation anglaise ; mettez-moi bien avec vos amis ; dites surtout à milord et à milady Bolingbroke que je leur suis attaché pour la vie ; mes respects très-sincères à M. Pulteney, et milord et milady Hervey. Buvez à ma santé avec le gourmand Pope ; écrivez souvent. Tâchez de ravoir mes planches des mains de Woodman, quand vous croirez qu’il en est temps. Adieu.

    *. Mme de Fontaine-Martel.