Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 296

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Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 312).
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296. — Á M. DE MAUPERTUIS.

J’ai lu ce matin[1], monsieur, les trois quarts de votre livre[2] avec le plaisir d’une fille qui lit un roman, et la foi d’un dévot qui lit l’Évangile. Soyez toujours mon maître en physique, et mon disciple en amitié : car je prétends vous aimer beaucoup, à condition que vous m’aimerez un peu. Vous êtes accoutumé à me donner des leçons, souffrez donc, monsieur, que je soumette à votre jugement quelques Lettres que j’ai écrites autrefois d’Angleterre, et qu’on veut imprimer à Londres. Je les ai corrigées depuis peu ; mais elles me paraissent avoir grand besoin d’être revues par des yeux comme les vôtres ; je vous demande en grâce de vouloir bien les lire. Je n’ose vous prier de mettre par écrit les réflexions que vous ferez, il n’est pas juste que je vous donne tant de peine ; mais j’avoue que, si vous aviez cette bonté, je vous aurais une extrême obligation. J’ai choisi, parmi toutes ces Lettres, celles qui ont le plus de rapport aux études que vous honorez de la préférence ; non que vous n’étendiez votre empire sur plus d’une province du Parnasse, mais je n’ai pas voulu vous ennuyer à la fois in omni génere. Je veux essayer votre patience par degrés.

Quand vous voudrez faire encore un souper chez M, Dufaï, avec l’honnête musulman qui entend si bien le français[3], je serai à vos ordres, et je vous lirai le Temple du Goût. C’est un pays aussi connu de vous qu’il est ignoré de la plupart des géomètres. M. Newton ne le connaissait pas, et M. Leibnitz n’y avait guère voyagé qu’en Allemand.

Adieu, monsieur ; vous n’avez point de disciple plus ignorant, plus docile, et plus tendrement attaché que moi.

  1. Une carte conservée jusqu’à ce jour contient ces mots : « J’ai lu ce matin, monsieur, les trois quarts de votre livre avec le plaisir d’une fille qui lit un roman, et la foi d’un dévot qui lit l’Évangile. Je venais pour avoir l’honneur de vous le dire et de nous » (la phrase n’est pas achevée). Je présume que c’est pour ne pas perdre la première phrase que les éditeurs de Kehl l’ont placée ici. (B.)
  2. Discours sur les différentes figures des astres, cité lettre 286.
  3. M. de La Condamine, habillé en Turc, avait soupe chez M. Dufaï avec Voltaire, sans être reconnu. (K.)