Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 311

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Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 323-324).
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311. — Á M. DE FORMONT.
Ce 27 janvier.

Les confitures que vous aviez envoyées à la baronne[1], mon cher Formont, seront mangées probablement par sa janséniste de fille, qui a l’estomac dévot, et qui héritera au moins des confitures de sa mère, à moins qu’elles ne soient substituées, comme tout le reste, à Mlle  de Clère. Je devais une réponse à la charmante épître dont vous accompagnâtes votre présent : mais la maladie de notre baronne suspendit toutes nos rimes redoublées. Je ne croyais pas, il y a huit jours, que les premiers vers qu’il faudrait faire pour elle seraient son épitaphe. Je ne conçois pas comment j’ai résisté à tous les fardeaux qui m’ont accablé depuis quinze jours. On me saisissait Zaïre d’un côté, la baronne se mourait de l’autre ; il fallait aller solliciter le garde des sceaux et chercher le viatique. Je gardais la malade pendant la nuit et j’étais occupé du détail de la maison tout le jour. Figurez-vous que ce fut moi qui annonçai à la pauvre femme qu’il fallait partir. Elle ne voulait point entendre parler des cérémonies du départ ; mais j’étais obligé d’honneur à la faire mourir dans les règles. Je lui amenai un prêtre moitié janséniste, moitié politique, qui fit semblant de la confesser, et vint ensuite lui donner le reste. Quand ce comédien de Saint-Eustache lui demanda tout haut si elle n’était pas bien persuadée que son Dieu, son créateur, était dans l’eucharistie, elle répondit : Ah, oui ! d’un ton qui m’eût fait pouffer de rire dans des circonstances moins lugubres.

Adieu ; je vais être trois mois entiers tout à ma tragédie[2] ; après quoi je veux consacrer le reste de ma vie à des amis comme vous. Adieu ; je vous aime autant que je vous estime.

  1. Mme  de Fontaine-Martel.
  2. Adélaïde du Guesclin.