Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 341

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Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 350).
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341. — DU COMTE DE CAYLUS[1].
Paris, ce 16 juin 1733.

Il est constant, monsieur, que je ne me suis point plaint de vous, puisque vous n’avez pas entendu parler de moi, et je ne crois pas que les plaintes puissent s’adresser à d’autres qu’à ceux qui les font naître ; du moins, c’est ma façon de penser. Il est bien vrai que j’aurais été fort content de ne me point trouver dans la première édition du Temple du Goût : un homme simple, retiré de toute affaire, n’aime point que le public parle de lui, et les amusements d’un homme du monde, surtout dans le genre dont il s’agit ici, ne sont presque jamais dignes d’être cités.

Il est encore vrai que vous me ferez un très-grand plaisir de ne point mettre les quatre vers que vous avez la bonté de me communiquer pour votre deuxième édition[2], non-seulement pour les raisons que je viens de vous rapporter, mais encore pour votre propre goût, auquel assurément vous faites tort en parlant comme vous faites de moi. Je pourrais encore vous prier de les retrancher, par la connaissance que j’ai des éloges excessifs ; le public, avec raison, les regarde toujours comme des critiques. J’ai reçu toutes vos politesses avec grand plaisir ; j’y réponds avec reconnaissance, mais je vous prie, si la chose vous est possible, de me laisser comme j’étais. Le vers a tant couru qu’il y aurait de l’affectation à vous prier de retrancher ma part. À l’égard des autres articles de votre lettre, monsieur, si j’avais vécu avec vous, vous sauriez que je n’ai jamais fait un vers, et je ne sais pourquoi l’on m’a choisi pour me faire le présent d’une épigramme, qu’apparemment le poète n’a pas faite meilleure, et qu’il a voulu faire passer sur le compte d’un homme du monde. Je ne connais personne capable de toutes les noirceurs dont vous me faites le portrait, et je n’ai jamais rien vu qui méritât les soupçons que vous me communiquez ; mais le monde ne vous est pas connu, ou vous savez très-bien qu’à la faveur d’un mécontentement et d’une brouillerie, dont j’ai été fort fâché, il y a bien des gens qui répandent leur venin, et font impunément des méchancetés ; je crois que vos plaintes n’ont aucun autre fondement.

Au reste, monsieur, je vous remercie encore une fois de votre politesse ; vous y mettrez le comble si je ne me trouve point dans votre nouvelle édition. Faites-moi le sacrifice de quatre jolis vers en eux-mêmes, mais qui renferment un éloge que ni mort ni vivant n’a jusqu’ici mérité.

Je suis parfaitement, etc.

  1. Recueil Serieys, 1802.
  2. Voltaire obéit à M. de Caylus ; il ne reste aucune trace de ces quatre vers. Voyez ci-après la lettre 350.