Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 481

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Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 495).
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481. — Á M. L’ABBÉ ASSELIN.[1]
proviseur du collège d′harcourt
Mai.

En me parlant de tragédie, monsieur, vous réveillez en moi une idée que j’ai depuis longtemps de vous présenter la Mort de César, pièce de ma façon, toute propre pour un collège où l’on n’admet point de femmes sur le théâtre. La pièce n’a que trois actes, mais c’est de tous mes ouvrages celui dont j’ai le plus travaillé la versification. Je m’y suis proposé pour modèle votre illustre compatriote, et j’ai fait ce que j’ai pu pour imiter de loin

La main qui crayonna
L’âme du grand Pompée et celle de Cinna[2].

Il est vrai que c’est un peu la grenouille qui s’enfle pour être aussi grosse que le bœuf[3] ; mais enfin je vous offre ce que j’ai. Il y a une dernière scène à refondre, et, sans cela, il y a longtemps que je vous aurait fait la proposition. En un mot, César, Brutus, Cassius, et Antoine, sont à votre service quand vous voudrez. Je suis bien sensible à la bonne volonté que vous voulez bien témoigner pour le petit Champbonin, que je vous ai recommandé. C’est un jeune enfant qui ne demande qu’à travailler, et qui peut, je crois, entrer tout d’un coup en rhétorique ou en philosophie. Nous sommes bon gentilhomme et bon enfant, mais nous sommes pauvre. Si l’on pouvait se contenter d’une pension modique, cela nous accommoderait fort ; et elle serait au moins payée régulièrement, car les pauvres sont les seuls qui payent bien.

Enfin, monsieur, si vous saviez quelque débouché pour ce jeune homme, je vous aurais une obligation infinie. Je voudrais qu’il fût élevé sous vos yeux, car il aime les bons vers.

Adieu, monsieur ; comptez sur l’amitié, sur l’estime, sur la reconnaissance de V. Point de cérémonie ; je suis quaker avec mes amis. Signez-moi un A.

  1. Gilles-Thomas Asselin, né à Vire, mort en 1767.
  2. Vers de P. Corneille ; voyez tome XXXII, page 152.
  3. La Fontaine, livre 1er fable iii.