Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 980

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Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 66-67).
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980. — À M. THIERIOT.
Cirey, le 10 décembre.

Je me venge de vos critiques sur notre ami M. de La Bruère. Vous me donnez le fouet, et je le lui rends. Il est vrai que j’y vais plus doucement que vous ; mais c’est que je suis du métier, et je ne sais que douter quand vous savez affirmer. Je suis peut-être aussi exact que vous, mais je ne suis pas si sévère. Voici donc, mon cher ami, son opéra[1], que je lui renvoie avec mes apostilles et une petite lettre, le tout adressé à Père Mersenne.

Je me rends sur quelques-unes de vos censures. L’Épître sur l’Homme[2] est toute changée ; enfin je corrige tout avec soin. L’objet de ces six Discours en vers est peut-être plus grand que celui des satires et des épîtres de Boileau. Je suis bien loin de croire les personnes qui prétendent que mes vers sont d’un ton supérieur au sien. Je me contenterai d’aller immédiatement après lui. Comment ne vous êtes-vous pas aperçu que l’Épître sur la Nature du plaisir est précisément celle dont la fin est adressée au prince royal ? Comment n’avez-vous pas vu que le plaisir est le sujet de tout ce poëme ? Comment enfin n’avez-vous pas reconnu les vers que je vous demandais ? Grâce à Apollon, je les ai retrouvés et refaits pour vous épargner la peine de me les envoyer.

Je ne crois pas que Pollion soit fâché de mes contro-critiques ; mais je crois que vous voyez tous deux combien l’art des vers et l’art de juger sont difficiles. Plus on connaît l’art, plus on en sent les épines.

Ne vous hâtez pas de juger M. Dufaï : cela est trop français ; attendez du moins que vous ayez lu son factum. Je dois souhaiter qu’il ait tort, mais je suis bien loin de le condamner[3].

Je ne me rends point sur le Desfontaines, et je vous soutiens que le pied-plat dont vous me parlez, qui vous a si indignement accoutré dans son libelle néologique, c’est lui-même ; mais je ne vous dis que ce que vous savez. Vous cherchez à ménager un monstre que vous détestez et que vous craignez. J’ai moins de prudence ; je le hais, je le méprise, je ne le crains pas, et je ne perdrai aucune occasion de le punir. Je sais haïr, parce que je sais aimer. Sa lâche ingratitude, le plus grand de tous les vices, m’a rendu irréconciliable[4].

  1. Celui de Dardanus, joué en 1739.
  2. Le sixième Discours.
  3. Trompé par des expériences peu concluantes, M. Dufaï avait cru trouver quelques erreurs dans l’Optique de Newton. (K.)
  4. Les deux alinéas qui terminent cette lettre dans Beuchot appartiennent à la lettre du 13 décembre.