Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1009

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 96-97).

1009. — À M. THIERIOT.
7 janvier.

Pourquoi avez-vous écrit une lettre[1] sèche et peu convenable à Mme  du Châtelet, dans les circonstances présentes ? Au nom de notre amitié, écrivez-lui quelque chose de plus fait pour son cœur. Vous connaissez la fermeté et la hauteur de son caractère ; elle regarde l’amitié comme un nœud si sacré que la moindre ombre de politique en amitié lui paraît un crime.

Comment lui dites-vous que vous haïssez les libelles autant que vous aimez la critique, après lui avoir envoyé la lettre manuscrite contre Moncrif, les vers contre Bernard, contre Mme  Sallé ? Que voulez-vous qu’elle pense ?

Encore une fois, mandez-lui que vous ne balancez pas un moment entre Desfontaines et votre ami ; rendez gloire à la vérité. Non, vous n’avez point oublié le titre du libelle de Desfontaines ; il était intitulé Apologie du sieur de Voltaire. Elle en a ici la preuve dans deux de vos lettres ; nous en avons parlé dans votre dernier voyage. Paraître reculer, paraître se rétracter avec elle, c’est un outrage. Hélas ! c’en serait un de ne pas engager le combat pour son ami. Oue sera-ce de fuir dans la bataille !

Des amis de deux jours brillent de prendre ma défense, et vous m’abandonnerez, tendre ami de vingt-cinq ans ! Vous donnerez à M. de Riclielieu le sujet de dire encore que je suis décrié par vous-même ! Que dira le prince royal ? Que diront ceux qui savent aimer ?

Peut-être qu’à souper, chez Laïs ou Catulle,
Cet examen profond passe pour ridicule[2].

Mais, mon ami, n’est-on fait que pour souper ? Ne vit-on que pour soi ? N’est-il pas beau de justifier son goût et son cœur, en justifiant son ami ?

Dites-moi tout naturellement si vous avez envoyé le libelle au prince royal. Cela est d’une importance extrême. Parlez à M. d’Argenson[3], dites-lui les choses les plus tendres pour moi. Voyez M. d’Argental. Écrivez au prince que je suis malade, et comptez sur votre ami pour jamais.

  1. Voyez lettre 1001.
  2. Vers 16 du sixième Discours sur l’Homme.
  3. Le marquis d’Argenson, auquel est adressée la lettre 1097.