Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1037

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 132-133).

1037. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 janvier.

Mon cher ange, vous avez été bien étonné du dernier paquet de Zulime ; mais qui emploie sa journée fait bien des choses. Je travaille, mais guidez-moi.

Je persiste dans l’idée de faire un procès criminel à l’abbé Desfontaines. Mon cher ange gardien, vous me connaissez. Les gens à poëme épique et à Éléments de Newton sont des gens opiniâtres. Je demanderai justice des calomnies de Desfontaines jusqu’au dernier soupir ; et ce même caractère d’esprit vous assure, je crois, de ma tendre et éternelle reconnaissance.

J’ai envoyé mon dernier Mémoire[1] à M. d’Argenson ; mais je ne compte le faire imprimer qu’avec permission tacite, dans un recueil de quelques pièces. Il me semble qu’il sera alors très-convenable de laisser dans mon mémoire justificatif tout ce qui est littéraire : car, si l’avidité du public malin ne désire actuellement que du personnel, les amateurs un jour préféreront beaucoup le littéraire. J’ai fait cet ouvrage dans le goût de Pellisson, et peut-être de Cicéron. Je serais confondu si ce style était mauvais.

N’ayant rien à craindre d’aucune récrimination, cependant j’insiste qu’on commence le procès par une requête présentée au nom des gens de lettres, qu’ensuite mes parents en présentent une au nom de ma famille outragée, sauf à moi à m’y joindre, s’il est nécessaire.

J’espérais que, sans forme de procès, et indépendamment du châtiment que le magistrat de la police peut et doit infliger à l’abbé Desfontaines, je pourrais obtenir un désaveu des calomnies de ce scélérat, désaveu qui m’est nécessaire, désaveu qu’on ne peut refuser aux preuves que j’ai rapportées.

Enfin j’en reviens toujours là : point de preuves contre moi, sinon que j’ai écrit la lettre qui est dans le Préservatif. Or, cette lettre, que dit-elle ? Que Desfontaines a été tiré de Bicêtre par moi, et qu’il m’a payé d’ingratitude. Encore une fois, cette lettre doit être regardée comme ma première requête contre Desfontaines. D’ailleurs, rien de prouvé contre moi, et tout démontré contre lui. Enfin j’insiste sur le désaveu de ses calomnies, et j’attends tout des bontés de mon cher ange gardien.

Je serais bien honteux de tant d’importunités, si vous n’étiez pas M. d’Argental.

Adieu ; mon cœur ne peut suffire à mes sentiments pour vous, et à ma tendre reconnaissance.

  1. Le Mémoire imprimé tome XXIII, page 27.