Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1077

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 180-182).

1077. — À M. LE LIEUTEANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
Cirey en Champagne, 20 février 1739.

Je ne puis empêcher que plusieurs gens de lettres vous présentent des requêtes contre l’abbé Desfontaines ; aussi bien que tout le public, mes parents peuvent s’y joindre pour l’honneur de toute une famille outragée. Mais moi, monsieur, qui regarde plus ma réputation que ma vengeance, j’ai l’honneur de vous supplier instamment de me faire accorder un désaveu des calomnies du sieur Desfontaines, qui soit aussi authentique que son libelle. Vous avez entre les mains, monsieur, la lettre de Mme de Bernières, celles du sieur Thieriot, celle du libraire Prault, le certificat de Demoulin, la lettre du sieur Dulion, enfin celle de l’abbé Desfontaines même écrite au sortir de Bicêtre[2]. Puis-je moins demander, monsieur, que le désaveu de ces calomnies si hostiles et si prouvées ? Et quand vous êtes prêt à punir le coupable, n’aurez-vous pas quelque bonté pour le citoyen offensé ? Je parle à l’homme autant qu’au juge. Je parle à mon protecteur aussi bien qu’au magistrat. Songez que le moment où j’ai servi autrefois l’abbé Desfontaines est l’époque de ses fureurs contre moi. Voyez la lettre du sieur Dulion, voyez celle de Thieriot, du 16 août 1726, dans laquelle il m’avertit que Desfontaines, pour récompense, a fait, contre moi, un libelle. Considérez, monsieur, je vous en conjure, qu’il m’a persécuté, calomnié pendant des années ; écoutez la voix publique. Songez qu’un écrit intitulé le Préservatif, que je n’ai ni imprimé, ni fait, a été le prétexte de son libelle, qu’il a fait et imprimé, distribué et avoué publiquement. Je sais ses récriminations ; mais, monsieur, est-ce un crime de se plaindre d’un ingrat et d’un calomniateur ? Je porte à votre tribunal les mêmes plaintes qu’à tous les honnêtes gens. Est-ce à lui à m’accuser d’avoir écrit, il y a deux ans, qu’en effet il avait payé mes bienfaits d’un libelle ? Oui, monsieur, c’est précisément de quoi je demande vengeance. Je la demande, et de ce libelle fait en 1726, et de vingt autres, et surtout du dernier[3]. Je la demande avec tous les gens de lettres, avec tout le public, qui vous en aura obligation ; mais cette vengeance n’est autre chose qu’un désaveu nécessaire à mon honneur. Il ne m’appartient pas de vous prier de punir, mais je dois vous supplier de faire cesser un si horrible scandale. Je vous demande ce désaveu, monsieur, et par cette lettre, et par ce placet ci-joint.

Requête du sieur de Voltaire.

1° Le sieur de Voltaire représente très-humblement qu’il est très-vrai qu’en 1725 il fit tous ses efforts auprès de feu M. le maréchal de Villars pour faire tirer de Bicêtre le sieur Desfontaines, qui y était enfermé pour avoir corrompu plusieurs ramoneurs ; et M. le comte de Maurepas peut se souvenir de tous les soins que le sieur de Voltaire se donna pour lors ;

2° Il est très-vrai que l’abbé Desfontaines pour toute récompense fit un libelle contre le sieur de Voltaire ;

3° Il est très-vrai qu’il n’a cessé d’attaquer pendant dix ans le sieur de Voltaire et plusieurs gens de lettres par des injures atroces ;

4° Dans les Observations[4] même, quoique corrigées exactement par le sieur abbé Trublet, il a toujours glissé des calomnies personnelles : tantôt disant, à propos de la Henriade, que le sieur de Voltaire avait intérêt à ménager les Juifs ; tantôt l’accusant de bassesses, d’irréligion, quoique indirectement ;

5° Il est prouvé par la lettre du sieur Dulion, qui est entre les mains de M. d’Argental, conseiller au parlement, que le dit Desfontaines faisait un libelle contre le sieur de Voltaire dans le temps même qu’il était condamné à la chambre de l’Arsenal pour avoir vendu à Ribou une feuille scandaleuse ;

6° Le sieur de Voltaire a fait parler vingt fois à l’abbé Desfontaines par M. de Bernières, par l’abbé Asselin, proviseur de Harcourt, par le sieur Thieriot, pour l’engager à cesser tant de noirceurs et d’ingratitudes ;

7° Il a souffert dix années avant de se plaindre soit en vers, soit en prose, et quand il s’est plaint, il a dit simplement le fait ; il a fait voir ses bienfaits et l’ingratitude ;

8° Aujourd’hui l’abbé Desfontaines inonde Paris et les pays étrangers d’un libelle diffamatoire[5] qui perdrait d’honneur le sieur de Voltaire s’il demeurait sans satisfaction ;

9° Le sieur de Voltaire ne demande qu’un désaveu aussi authentique que l’outrage ; il espère que ceux qui veillent au maintien des mœurs et des lois daigneront lui faire obtenir ce désaveu, puisque les attestations authentiques qu’il a réunies entre leurs mains sont des preuves de la fausseté des accusations contenues dans le libelle.

Le sieur de Voltaire attend tout des bontés et de l’équité de M. Hérault,

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.
  2. Cette lettre est du 31 mai 1724 ; nous l’avons donnée sous le n° 110.
  3. La Voltairomanie
  4. Titre de la collection des lettres de Desfontaines sur les écrits modernes.
  5. La Voltairomanie.