Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1293

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 455-456).

1293. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Ce 17 juin, à Bruxelles.

Vous saurez, mademoiselle, que ce grand garçon, aussi étourdi sur les affaires des autres que sur les siennes, m’envoie au milieu du mois de juin votre lettre du 5 mai. Elle a même bien l’air d’avoir été décachetée ; il est visible qu’on a plaqué deux fois de la cire, et que l’on a mis un chiffre par-dessus un autre cachet. Il me semble que vous ne vous servez jamais d’un chiffre. Il y a grande apparence que notre étourdi est un peu curieux.

Eh bien ! pour dépayser le monde, il faudra rendre Zulime meilleure. Nous avions déjà nommé les deux enfants de vos chiens noirs, l’un Ramire, et l’autre Zulime. Mais j’ai peur que cela ne ressemble aux gentilshommes ruinés de ce pays-ci, qui se font appeler Votre Altesse ; il faut que l’on ait fait une grande fortune pour donner ainsi son nom.

M. d’Argental me mande qu’au milieu de vos occupations et de vos plaisirs, vous allez prendre, si vous pouvez, un moment de loisir pour m’envoyer les plus sévères critiques. Je vous en remercie d’avance, ma charmante Thalie, faite pour donner des lois à Thalie et à Melpomène, et ne les confiez point à de grands indiscrets. J’avais prié M. d’Argental de me renvoyer les deux copies, afin que je pusse en rassembler ce qu’il y aurait de plus supportable, pour joindre à une troisième un peu différente que j’ai par devers moi. Mandez-moi si vous avez ces copies, et, en ce cas, ayez la bonté de les envoyer, avec vos critiques bien détaillées, chez M, l’abbé Moussinot, cloître Saint-Merry : c’est un docteur de Sorbonne qui veut bien être mon agent et faire mes affaires. J’ai cru ne pouvoir mieux me raccommoder avec les dévots qu’en prenant un prêtre pour mon intendant ; mais j’aime encore mieux être bien avec le public ; et pour lui plaire, il faut avoir vos avis et en profiter, Mme  la marquise du Châtelet vous fait les plus sincères compliments. On ne peut avoir pour vous, mademoiselle, plus d’estime qu’elle en a ; pour moi, je défie tout le monde, et les Lachaussée, et les Destouches, non pas en vers, non pas en situations, mais en sentiments de reconnaissance, en tendre attachement pour vous, que je conserverai assurément toute ma vie. V.

Mon adresse : à Bruxelles, chez Mme  du Châtelet, rue de la Grosse-Tour.