Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1441
Eh bien, mon cher confrère, je ferai donc venir ce manuscrit de l’Enfant prodigue, qui est entre les mains des comédiens de Paris ; il est fort différent de l’imprimé. Le moindre des changements est celui que mes amis furent obligés d’y faire, à la hâte, du président en sénéchal. La police ne voulut jamais permettre qu’on osât mettre sur le théâtre un président. On n’était pas si difficile du temps de Perrin-Dandin. En Angleterre, j’ai vu sur la scène un cardinal qui meurt en athée.
Quant à la situation de la fin, je m’en rapporte à vous. Vous connaissez mieux le théâtre que moi ; croiriez-vous bien que je n’ai jamais vu jouer ni répéter l’Enfant prodigue ? Les effets du théâtre ne se devinent point dans le cabinet ; mais je ne suis point tenté de quitter mon cabinet pour aller voir la décadence du théâtre de Paris ; je ne veux y aller que quand vous ranimerez les très-languissantes Muses de ce pays-là. Poésie, déclamation, tout y périt. Si nous pouvions, en attendant, faire un petit tour à Lille, je vous donnerais Mérope, en cas que vous eussiez du loisir mais, en vérité, il n’y a pas moyen de travestir Mlle Gautier en reine douairière ; elle ne doit embellir que les rôles des jeunes princesses. Je reprends de temps en temps mon coquin de Prophète en sous-œuvre. Tous les Mahomets sont nés pour vous avoir obligation.
Bonsoir, mon cher confrère. Mille compliments, je vous prie, à Mlle Gautier.