Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1644

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 286-287).

1644. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON.
À Cirey[1], ce 15 avril.

Vanitas vanitatum, et metaphysica vanitas[2]. C’est ce que j’ai toujours pensé, monsieur ; et toute métaphysique ressemble assez à la coquecigrue de Rabelais bombillant ou bombinant dans le vide[3]. Je n’ai parlé de ces sublimes billevesées que pour faire savoir les opinions de Newton, et il me paraît qu’on peut tirer quelque fruit de ce petit passage :

« Que savait donc sur l’âme et sur les idées celui qui avait soumis l’infini au calcul, et qui avait découvert la nature de la lumière et la gravitation ? Il savait douter[4]. »

Physiquement parlant, monsieur, je vous suis bien obligé de vos bontés, et, surtout, de celle que vous avez de vouloir bien réparer, par mon petit contrat avec un prince et avec un saint, les pertes que j’ai faites avec tant de profanes. J’ai l’honneur de courir ma cinquantième année.

Êtes-vous dans la cinquantième ?
J’y suis, et je n’en vaux pas mieux ;
C’est un assez f… quantième,
Tâchez un jour d’en compter deux.

En vous remerciant mille fois, monsieur, et en vous demandant le secret. J’ai donné à Doyen le féal, argent comptant, et billets qui valent argent comptant mais on paye le plus tard qu’on peut, et un fesse-matthieu de fermier de M. le duc de Richelieu, nommé Duclos, qui devait, selon toutes les lois divines et humaines, me compter quatre mille livres le lendemain de Pâques, recule tant qu’il peut, tout contraignable qu’il est. Voulez-vous permettre que ce Doyen fasse toujours mon contrat à bon compte ? Sinon il n’y a qu’à le réduire à ce que Doyen a dans ses mains. Je mangerai le reste à mon retour très-volontiers. Faites comme il vous plaira avec votre vieux serviteur.

Je m’occupe à présent à faire un divertissement[5] pour un dauphin et une dauphine que je ne divertirai point. Mais je veux faire quelque chose de joli, de gai, de tendre, de digne du duc de Richelieu, l’ordonnateur de la fête.

Cirey est charmant, c’est un bijou venez-y, monsieur tâchez d’avoir affaire à Joinville. Mme  du Châtelet vous aime de tout son cœur, vous désire autant que moi, et vous recevra comme elle recevait Wolff et Leibnitz. Vous valez mieux que tous ces gens-là. Portez-vous bien. Permettez que je présente mes respects à monsieur l’avocat du roi très-chrétien[6]. Je vous aime et vous respecte de tout mon cœur.

Votre ancien et le plus ancien serviteur, etc.

  1. Voltaire n’avait pas revu Cirey depuis le commencement de février 1742.
  2. Ecclésiaste, ch. i, v. 2.
  3. In vacuo bombinans. (Pantagruel, liv. II, ch. vii.)
  4. Voyez tome XXII, page 427.
  5. La Princesse de Navarre ; voyez tome IV, page 271.
  6. M. de Paulmy, fils du marquis d’Argenson.