Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1658

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Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 301-302).

1658. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 5 juin.

Vous m’avez écrit, adorable ange, des choses pleines d’esprit, de goût et de bon sens, auxquelles je n’ai pas répondu, parce que j’ai toujours travaillé. Figurez-vous que, pendant ce temps-là, M. de Richelieu envoie au président Hénault, et à M. d’Argenson le ministre, l’informe esquisse de cet ouvrage. J’en suis très-fâché, car les hommes jugent rarement si l’or est bon quand ils le voient dans la mine tout chargé de terre et de marcassites. J’écris au président pour le prévenir. J’espère qu’avec du temps et vos conseils je pourrai venir à bout de faire quelque chose de cet essai ; mais je vous demande en grâce de jeter dans le feu le manuscrit que vous avez. Pourquoi voulez-vous garder des titres contre moi ? Pourquoi conserver les langes de mon enfant, quand je lui donne une robe neuve ?

Je conviens avec vous que le plaisant et le tendre sont difficiles à allier. Cet amalgame est le grand œuvre ; mais enfin cela n’est pas impossible, surtout dans une fête. Molière l’a tenté dans la Princesse d’Élide, dans les Amants magnifique ; Thomas Corneille, dans l’Inconnu ; enfin cela est dans la nature. L’art peut donc le représenter, et l’art y a réussi admirablement dans Amphitryon. Je vous avertis d’ailleurs qu’on a voulu une Sanchette ou Sancette, et que je la fais une enfant simple, naïve, et ayant autant de coquetterie que d’ignorance ; c’est du fonds de ce caractère que je prétends tirer des situations agréables :

Si quid novisti rectius istis,
Candidus imperti ; si non, his utere mecum.

(Hor., lib. I, ep. vi, v. 67.)