Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1685

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Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 330-331).

1685. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce jeudi.

L’un et l’autre de mes anges, je vous prie de battre de vos ailes un très-aimable homme nommé l’abbé de Bernis. Il faut absolument que vous lui fassiez changer un endroit de son Discours[1]. Il le faut, il le faut ; vous allez en convenir, et lui aussi, ou tout est perdu.

Les plus cruels ennemis de l’Académie, et puis tous les talents de l’esprit de ces plus cruels ennemis. Ah ! les lâches, les ridicules ennemis, passe ! et du mérite, du mérite ! les grands talents ! Roi, de grands talents ! quatre ou cinq scènes de ballet ; des vers médiocres dans un genre très-médiocre voilà de plaisants talents ! Y a-t-il là de quoi racheter les horreurs de sa vie ? Puisqu’il daigne désigner Roi, est-ce ainsi qu’on le doit désigner, lui, le plus cruel ennemi de l’Académie[2] ? C’est ainsi qu’on eût parlé d’Antoine dans le sénat ; c’est mettre Roi dans la balance avec l’Académie, c’est l’égaler à elle, c’est la rabaisser à lui. Ah ! divins anges ! c’est trop d’honneur pour ce faquin ; ne le souffrez pas, élevez-vous de toute votre force qu’il ne soit pas dit qu’un homme aussi aimahle que l’abbé de Bernis ait paru se plaindre tendrement de Roi, au nom de l’Académie. Il n’en faut parler qu’avec mépris, avec horreur, ou s’en taire. C’est mon avis à jamais. Bonsoir, mes deux anges.

  1. L’abbé de Bernis, connu alors par un recueil de petits vers dont quelques-uns étaient désobligeants pour Voltaire, qui les lui pardonna très-philosophiquement, fut reçu à l’Académie française, en décembre 1744, à la place de l’abbé Gédoin, mort le 10 auguste précédent. Il raya de son Discours de réception le nom du poëte Roi. (Cl.)
  2. On attribuait à Roi un Discours prononcé à la porte de l’Académie, critique d’abord publiée en 1743, et reproduite en 1746 ; voyez tome XXIII, page 205.