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Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1759

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Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 392-393).

1759. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
Août.

Vous devez avoir reçu, monsieur, les prémices de l’édition du Louvre[1], telles que vous les voulez, simples et sans reliure : voilà comme il vous les faut pour Plombières ; mais le roi en a fait relier un exemplaire pour votre bibliothèque de Paris, que je compte bien avoir l’honneur de vous présenter à votre retour.

Je vous ai fait une infidélité, en fait de livres. Je parlais, il y a quelques jours, à Mme de Pompadour, de votre charmant, de votre immortel Abrégé de l’Histoire de France ; elle a plus lu à son âge qu’aucune vieille dame du pays où elle va régner, et où il est bien à désirer qu’elle règne. Elle avait lu presque tous les bons livres, hors le vôtre ; elle craignait d’être obligée de l’apprendre par cœur. Je lui dis qu’elle en retiendrait bien des choses sans efforts, et surtout les caractères des rois, des ministres, et des siècles ; qu’un coup d’œil lui rappellerait tout ce qu’elle sait de notre histoire, et lui apprendrait ce qu’elle ne sait point ; elle m’ordonna de lui apporter, à mon premier voyage, ce livre aussi aimable que son auteur. Je ne marche jamais sans cet ouvrage. Je fis semblant d’envoyer à Paris, et, après souper, on lui apporte votre livre en beau maroquin, et à la première page était écrit :


Le voici ce livre vanté ;
Les Grâces daignèrent l’écrire
Sous les yeux de la Vérité,
Et c’est aux Grâces de le lire.

etc., etc., etc. Il y en a davantage[2], mais je ne m’en souviens pas ; je ne me souviens que de vos vers aimables où Corneille déshabille Psyché. Nous ne déshabillons personne dans notre fête. Cahusac[3] pourrait bien n’être point joué, mais on donnera un magnifique ouvrage[4] composé par M. Bonneval[5], des Menus, et mis en musique par Colin[6]. Vous savez que le sylphe[7] réussit. Cela fait, ce me semble, un très-joli spectacle ; venez donc le voir. Peut-on prendre toujours des eaux ? Revenez dans ces belles demeures, où je ne souperai plus, mais où je vous ferai ma cour si vous et moi sommes assez sages pour dîner.

Tortone est pris[8], le château non ; mais tout le Canada est perdu pour nous plus de morues, plus de castors. La paix, la paix ! Je suis las de chanter les horreurs de la destruction. Ô que les hommes sont fous, et que vous êtes charmant ! Savez-vous que je vous idolâtre ?

  1. Du Poëme de Fontenoy.
  2. On ne sait ce qu’est devenu l’exemplaire donné par Voltaire à Mme de Pompadour, de l’ouvrage du président Hénault.
  3. L. de Cahusac, auteur de plusieurs opéras, et, entre autres, des Fêtes de Polymnie, musique de Rameau ; 1745.
  4. Jupiter vainqueur des Titans, tragédie lyrique en cinq actes, avec prologue, mise en musique par Colin de Blamont et Bury son neveu, représentée, à Versailles le 11 décembre 1745. C’est une pièce allégorique sur les victoires du roi. « Les vers, dit Léris, sont d’un anonyme qu’on prétend être M. de Bonneval. » On a cru qu’il y en avait de plusieurs mains, et même de celle de Voltaire. (B.)
  5. Michel de Bonneval, nommé intendant des menus plaisirs du roi en 1732, mort en 1766.
  6. François Colin de Blamont, né en 1690, mort en 1760. Voltaire l’appelle Colin Tampon dans la lettre 89.
  7. Zélindor. Voyez la lettre 1739.
  8. Le 14 auguste 1745. Quant au château, il capitula le 3 septembre suivant.