Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1768

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Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 400-401).

1768. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
À Paris, ce 20 octobre.

Monseigneur, il n’y a pas de soin que je ne prenne pour faire une Histoire complète des campagnes glorieuses du roi, et des années qui les ont précédées. Je demande des mémoires à ses ennemis mêmes. Ceux qui ont senti le pouvoir de ses armes m’aident à publier sa gloire.

Le secrétaire de M. le duc de Cumberland (qui est mon intime ami) m’a écrit une longue lettre, dans laquelle je découvre des sentiments pacifiques que les succès de Sa Majesté peuvent inspirer.

Si le roi jugeait que ce commerce pût être de quelque utilité, je pourrais aller en Flandre, sous le prétexte naturel de voir par mes yeux les choses dont je dois parler. Je pourrais ensuite aller voir ce secrétaire, qui m’en a prié. M. le duc de Cumberland ne s’y opposerait assurément pas. Je suis connu de la plupart des anciens officiers qui l’entourent. Je parle l’anglais : j’ai des amis à Bruxelles, et ces amis sont attachés à la France. Je peux aisément, et en peu de temps, savoir bien des choses.

Le secrétaire de M. le duc de Cumberland a fait naître à son maître l’envie de me voir ; les éloges[1] que j’ai donnés à ce prince, pour relever davantage la gloire de son vainqueur, lui ont donné quelque goût pour moi. Voilà ma situation.

Si Sa Majesté croit que je puisse rendre un petit service, je suis prêt ; et vous connaissez mon zèle pour sa gloire et pour son service.

Je suis avec respect, etc.


BILLET AJOUTÉ.

Voici, monseigneur, ce qui m’a passé par la tête, à la réception de la lettre anglaise du secrétaire du duc de Cumberland. Il ne tient qu’à vous de me procurer un voyage agréable, et peut-être utile. Vous pouvez disposer les esprits du comité. Je crois que M. le maréchal de Noailles même me donnera sa voix. Vous liriez ensuite ma lettre en plein conseil chacun dirait oui, et le roi aussi. Tout ceci est dans le secret. Madame ***[2] n’en sait rien. Faites ce que vous jugerez à propos ; mais j’ai plus d’envie encore de vous faire ma cour qu’au duc de Cumberland.

N. B. Ce secrétaire du duc de Cumberland est le chevalier Falkener, ci-devant ambassadeur à Constantinople, homme d’un très grand crédit, informé de tout mieux que personne, et, encore une fois, mon intime ami[3]. Ne serait-il pas mieux que cela fût entre le roi et vous ? Mais il y a encore un parti à prendre peut-être, c’est de vous moquer de moi. En tout cas, pardonnez au zèle, et brûlez mes rêveries.

  1. Voyez le vers 75 du Poëme de Fontenoy.
  2. Mme  du Châtelet, sans doute.
  3. C’est à lui que Voltaire avait dédié Zaïre.