Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1782
Mon cher ami, j’ai entendu dire en effet, dans ma retraite de Versailles, qu’après le départ[1] de M. le duc de Richelieu il était arrivé deux figures jouant de la flûte[2] en parties. Ma figure, dans ce temps-là, était fort embarrassée d’une espèce de dyssenterie qui m’a retenu quinze jours dans ma chambre, et qui m’y retient encore. L’air de la cour ne me vaut peut-être rien ; mais je n’étais point à la cour, je n’étais qu’à Versailles, où je travaillais à extraire, dans les bureaux de la guerre, des mémoires qui peuvent servir à l’Histoire dont je suis chargé. J’ai la bonté de faire, pour rien, ce que Boileau ne faisait pas, étant bien payé ; mais le plaisir d’élever un monument à la gloire du roi et à celle de la nation vaut toutes les pensions de Boileau. J’ai porté cet ouvrage jusqu’à la fin de la campagne de 1745 ; mais ma détestable santé m’oblige à présent de tout interrompre ; je suis si faible qu’à peine je puis tenir ma plume en vous écrivant ; je suis même trop mal pour me hasarder de me transporter à Paris. Voilà comment je passe ma vie mais les beaux-arts et votre amitié feront éternellement ma consolation. Adieu, mon cher ami.