Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1785

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Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 413-414).

1785. — À M. BOURGEOIS[1].
À Paris, ce 20 janvier 1746.

Les maladies fréquentes qui m’accablent, monsieur, m’ont empêché de répondre plus tôt à l’honneur que vous m’avez fait ; et la crainte de vous parler de moi-même a retardé encore ma réponse. Je ne sais si c’est réparer ou augmenter mon tort que de vous envoyer les deux dernières pièces que j’ai composées pour le théâtre[2]. Peut-être ne vous donneront-elles pas une idée fort avantageuse de l’homme dont vous voulez parler dans votre histoire ; mais au moins elles vous feront connaître que l’auteur est plein de reconnaissance pour vous, et qu’il ambitionne votre estime. J’y joins une estampe[3], par laquelle vous connaîtrez moins mes traits que l’honneur que m’a fait Mme  la marquise du Châtelet, à moi et aux lettres, en faisant graver, au bas de ce portrait, le beau vers latin que vous y lirez[4]. Je sens combien j’en suis indigne, mais le prix de ses bontés en est plus grand. Il n’est point vrai, monsieur, que je sois né à Saint-Loup, mais j’ai ouï dire que mon grand-père y était né. À l’égard des anecdotes que vous me demandez, je les ferai rédiger, si vous persistez dans le dessein que vous avez. Je ne vous envoie point d’édition de mes ouvrages, parce qu’il n’y en a aucune dont je sois content. Vous verrez même, par les Éléments de Newton, que je joins à ce paquet, combien de fautes j’ai été obligé de faire corriger à la main. Dès qu’il y aura une édition passable de mes ouvrages, je ne manquerai pas d’avoir l’honneur de vous la faire tenir. Mais je suis actuellement si occupé à écrire les campagnes du roi que je n’ai guère le temps de travailler à une édition. Ma mauvaise santé, d’ailleurs, est un obstacle continuel à tout ce que je veux et à ce que je dois faire. S’il se trouvait cependant, monsieur, que je fusse en état de vous rendre, à Paris, quelque petit service, vous verriez qu’alors j’oublierais les maladies qui me persécutent.

Permettez-moi d’adresser ici mes respects à l’académie dont vous êtes membre, et de vous assurer, monsieur, de tous les sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.

  1. Publiée par M. L. Delayant dans la Revue de l’Aunis, du 1er février 1864, sur les originaux déposés à la bibliothèque de la Rochelle. — Nicolas-Louis Bourgeois, né à la Rochelle en 1715, avocat, membre de l’Académie de la Rochelle et secrétaire de la Société d’agriculture du cap Français, auteur d’un poëme sur le Système des billets de banque, Amsterdam, L’Honoré et Châtelain, in-8o, viii et 60 p., 1737 ; de recherches sur le Poitou ; d’un poëme sur Christophe Colomb, ou l’Amérique decouverte, Paris, Moutard, 1773, 2 volumes in-8o, 484 p. ; et d’un Éloqe historique de Michel de L’Hospital, Châtellerault, 1776, in-8o, 193 pages. Ses recherches sur les grands hommes du Poitou le mirent en relations avec Voltaire, qu’il supposait né à Saint-Loup. Il mourut en 1776. (H. B.)
  2. La Princesse de Navarre et le Temple de la Gloire, représentées en 1745.
  3. Le portrait de Voltaire, gran par Baléchou.
  4. 3.
    Post genitis hic carus erit, nunc carus amicis.
    Mme  du Châtelet n’a fait qu’un seul vers dans sa vie, et c’est un vers latin.