Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1891

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 514-515).

1891. — AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
11 juin 1748.

Il paraît, depuis quelques jours, dans Paris, une édition en douze volumes, de mes prétendus ouvrages. Dans cette édition subreptice, il y a quatre tomes entiers de pièces étrangères, remplies des plus affreux scandales, des libelles diffamatoires contre des personnes respectables, et des impiétés les plus abominables. Je sais, à n’en pouvoir douter, que l’ouvrage est imprimé à Rouen, et j’en ai fait écrire à monsieur le premier président, à qui j’ai eu aussi l’honneur de m’adresser. Je prendrai la même liberté, si cela est nécessaire, d’en instruire Sa Majesté. Je n’ai pu encore en parler à M. le comte de Maurepas, qui, depuis quelques jours, n’est pas à Versailles. Mais, monsieur, je suis persuadé qu’il suffit de m’adresser à vous pour réprimer cet horrible scandale, qui intéresse les lois et la religion. Il y en a un magasin dans Paris. Ce n’est pas chez les libraires. Et on ne peut parvenir à en avoir connaissance que par les principaux colporteurs. Le sieur de Beauchamp, qui a, je crois, un département dans la librairie, et sur la bienveillance de qui je peux compter, pourrait se donner quelque mouvement avec prudence, et sans effaroucher personne, si vous aviez la bonté de lui en dire un mot. Je n’ose vous proposer, monsieur, d’en ordonner des recherches par les commissaires et les exempts préposés pour cette partie de la police. Ils sont trop connus, et leur seule présence est un avertissement qui sert à faire cacher ce qu’on cherche à découvrir. Mais, monsieur, si vous pouviez seulement ordonner à quelque personne moins connue de chercher le livre, vous en auriez peut-être des nouvelles, et on remonterait à la source. De mon côté, dès que j’aurai fini mon quartier auprès du roi, je mettrai des gens en campagne, et j’aurai l’honneur de vous donner avis de ce que j’aurai découvert. J’ai cru, en attendant, qu’il était de mon devoir d’avoir recours à vous dans une affaire où il s’agit de l’ordre et du bien public. Je vous supplie de vouloir bien donner quelques ordres. Je vous en aurai une extrême obligation.

  1. Éditeur, Léouzon Leduc. — M. Berryer avait succédé à M. de Marville l’année précédente.