Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1955
Sire, ce n’est pas le tout d’être roi, et d’être un grand homme dans une douzaine de genres, il faut secourir les malheureux qui vous sont attachés. Je suis arrivé à Paris piralytique, et je suis encore dans mon lit. Vespasien guérit bien un aveugle[1] ; vous valez mieux que lui. Pourquoi ne me guéririez-vous pas ? Je n’ai encore trouvé rien qui me fît plus de bien que les vraies pilules de Stahl, et nous n’en avons à Paris que de mal contrefaites. Je vois bien que tout mon salut est à Berlin. Votre Majesté me dira peut-être que le roi Stanislas est mon médecin, et elle me renverra à lui. Eh bien sire, je prends le roi Stanislas pour mon médecin, et le roi de Prusse pour mon sauveur.
Je supplie Votre Majesté de daigner m’envoyer une livre des vraies pilules de Stahl. Elle peut ordonner qu’on me les adresse par la poste, sous l’enveloppe de M. de La Reynière, fermier général des postes de France, si elle n’aime mieux m’envoyer ce petit restaurant par les sieurs Mettra, comme elle faisait autrefois.
Mettez-moi, sire, en état de pouvoir vous faire ma cour au commencement de cet été. Ce serait ce voyage-là qui me donnerait encore quelques années de vie. Je viendrais ranimer, auprès de mon soleil, le feu de mon âme qui s’éteint.
Le flambeau du fils de Japet
Et la fontaine de Jouvence
Feraient sur moi bien moins d’effet
Que deux jours de votre présence.
Recevez, sire, avec votre bonté ordinaire, l’attachement, le profond respect, l’admiration de votre ancien serviteur, de votre ancien protégé, de celui dont l’âme a toujours été à genoux devant la vôtre.
- ↑ Voyez Sueton., Vespasian., cap. vii. (Note de M. Boissonade.)