Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1983
Ô gens profonds et délicats,
Lumières de l’Académie,
Chacun prend de vos almanachs.
Vous donnez des certificats[1]
Sur le beau temps et sur la pluie ;
Mais il me faut un autre soin,
Et ma figure aurait besoin
D’un bon certificat de vie.
Chez vous tout brille, tout fleurit ;
Tout vous y plaît, je dois le croire ;
Je me doute bien qu’on chérit
Les climats dont on fait la gloire.
Vous et Frédéric, votre appui,
Que j’appelle toujours grand homme
Quand je ne parle pas à lui[2],
Ce roi, ce Trajan d’aujourd’hui,
Plus gai que le Trajan de Rome,
Ce roi dont je fus tant épris,
Et vous, très-graves personnages,
Qui passez pour ses favoris,
Et pour heureux autant que sages ;
Vous, dis-je, et Frédéric le Grand,
Vous, vos talents, et son génie.
Vous feriez un pays charmant
Des glaces de la Laponie.
Vous auriez beau certifier
Qu’on voit mûrir dans vos contrées
De Bacchus les grappes dorées
Tout aussi bien que le laurier,
De ma part je vous certifie
Que le devoir et l’amitié,
Qui depuis vingt ans m’ont lié,
Me retiennent près d’Émilie.
Cette Émilie incessamment
Doit accoucher d’un gros enfant.
Et d’un bien plus gros commentaire :
Je veux voir cette double affaire.
Je les entends très-faiblement ;
Mais, messieurs, ne voit-on donc faire
Que les choses que l’on entend ?
Vous m’avouerez, mon cher monsieur, que, si vous avez eu quelques beaux jours au commencement de mai, vous avez payé depuis un peu cher cette faveur passagère. Mes plus beaux jours seront en automne. Je viendrai dans votre charmante cour, si je suis en vie : c’est un tour de force dans l’état où je suis ; mais que ne fait-on pas pour voir Frédéric le Grand et les hommes qu’il rassemble auprès de lui !
Souvenez-vous de moi dans votre royaume.
- ↑ Le roi de Prusse avait envoyé à Voltaire (voyez la lettre 1977) des certificats sur la beauté du climat de Berlin, par Maupertuis, d’Argens, Algarotti, etc. Le certificat signé de Darget était ainsi conçu :
Je, qui suis né sur les bords de la Seine,
À Sans-Souci, séjour charmant,
Mais qui depuis dix ans habite ces climats
Où l’on croit que l’hiver et ses affreux frimas
M’accâblent en tout temps de froidure et de peine,
À tout chacun atteste et certifie
Que, depuis environ deux mois,
Il fait dans ce pays des chaleurs d’Italie,
Que l’on y mange fraises, pois.
Abricots et melons aussi bons qu’on Turquie ;
Qu’on y jouit aussi de la tranquillité
Qui rend le travail agréable,
Et qu’on peut avec liberté
Travailler dans son lit, et ne point boire à table ;
En foi de quoi j’ai signé le présent
- Dans le palais d’un monarque adorable,
- Qui fait des vers en s’amusant,
- Qui souffre la goutte en riant,
- Dans le palais d’un monarque adorable,
Et, pour ses ennemis seulement redoutable,
- Avec ses amis, doux, affable,
- Ne se montre le plus puissant
- Qu’en se montrant le plus aimable.
C’est en réponse à ces vers que Voltaire écrivit la lettre du 29 juin.
- ↑ Voltaire lui donnait aussi le nom de Grand en lui écrivant ; voyez la fin de la lettre 1972, page 19.