Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2027

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Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 73-74).

2027. — À MADAME LA COMTESSE DE STAAL[1].

Mademoiselle[2] si je n’étais l’homme du monde le plus infirme, je passerais pour le plus ingrat. J’ai toujours compté pouvoir venir me jeter aux pieds de Mme  la duchesse du Maine, la remercier de ses bontés, et vous dire, mademoiselle, combien je suis pénétré des vôtres. Mais des souffrances continuelles m’arrachent à mes plaisirs et à mes devoirs. Je n’ai d’autres consolations que mes livres et un peu de travail, dans les moments de relâche que me donnent mes maux. Jugez, mademoiselle, si un homme condamné à ne vous point voir est malheureux ! Je suis sûr que Mme  la duchesse du Maine daignera plaindre un de ses sujets qui est exilé de son royaume. Où devrais-je passer ma vie, que dans la patrie du bon goût et du véritable esprit, aux pieds de la protectrice des arts ? J’ose vous conjurer, mademoiselle, de vouloir bien me protéger auprès d’elle : son estime est le but de tous mes travaux ; elle diminuera mes souffrances. Son Altesse sérénissime a vu bien des gens de lettres qui valaient infiniment mieux que moi ; mais jamais aucun d’eux n’a senti plus vivement son mérite, et n’a plus admiré la supériorité de ses lumières. Vous êtes faite, mademoiselle, pour lui faire oublier tout le monde ; mais je vous prie de daigner la faire souvenir de moi. Je viendrai assurément, au premier rayon de santé, vous assurer que je voudrais passer mes jours auprès de vous.

Je suis avec bien du respect, mademoiselle, etc.

  1. Mlle  Delaunay, née en 1693, et mariée, vers le commencement de 1735, au comte ou baron de Staal, après avoir été longtemps attachée, comme femme de chambre, à la duchesse du Maine. Elle mourut près de Paris, à Gennevilliers, le 15 juin 1756. (Cl.)
  2. « Je vous demande mille pardons. J’étais plein du nom de Mlle  Delaunay, que vous avez rendu si respectable, et j’oubliais Mme  de Staal. » (Note de Voltaire.)