Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2030

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Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 76-77).

2030. — À MADAME LA DUCHESSE DU MAINE.
Fontainebleau, le 2 novembre.

Ma protectrice, il n’y a pas d’apparence que les nouveaux chagrins qui m’arrivent me permettent d’être aux ordres de Votre Altesse sérénissime mardi prochain. On m’a volé à Lunéville la tragédie de Sémiramis, la petite comédie de Nanine, plusieurs autres manuscrits, et, ce qui est cent fois plus cruel, l’Histoire de la dernière guerre[1], que j’avais écrite avec vérité, quoique par ordre du roi. Tout cela est imprimé en province, plein de fautes absurdes, d’omissions, d’additions, de tout ce qui peut déshonorer les lettres et un pauvre auteur. Je suis forcé d’être à Fontainebleau, pour tâcher d’arrêter le cours de ces misères. Je me flatte que Votre Altesse sérénissime, non-seulement me pardonne, mais daignera entrer dans ma peine, avec sa bonté ordinaire. Son Catilina ne s’en trouvera pas plus mal, La petite-fille du grand Condé trouvait la place assez tenable ; mais elle y verra, à mon retour, de nouvelles fortifications, et, puisqu’elle a été bâtie par ses ordres, j’espère qu’elle résistera aux assauts des barbares. Ô madame, que les petits barbares sont en grand nombre ! que ce malheureux siècle a besoin de vous ! Mais c’est moi qui en ai le plus grand besoin ; il faut que je combatte sous vos étendards. Me voilà comme les anciens héros qui devaient purger la terre de monstres, avec le secours des déesses.

Ma protectrice, voici des Grecs[2] en attendant des Romains. J’ai bien peur d’avoir mal peint les uns et les autres ; mais je suis bien sûr d’avoir raison si je dis que, dans la patrie d’Alcibiade et de César, il est bien difficile qu’il y ait eu des dames qui valussent Mme la duchesse du Maine. Des héros, on en trouve partout ; des âmes comme la vôtre, cela est un peu plus rare. Jugez quel est mon sort, si cette belle âme est toujours la protectrice de

Voltaire.

  1. Voyez la note de la lettre 1755.
  2. La tragédie d’Oreste, dédiée à la duchesse du Maine.