Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2045

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 91).

2045. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Versailles, janvier 1750.

Vous saurez, mes anges, que votre créature s’est trouvée un peu mal à Versailles. Que dites-vous de Mme  Denis, qui l’a su, je ne sais comment, et qui est partie sur-le-champ pour venir me servir de garde ? Je souhaite qu’Oreste se porte mieux que moi ; vous jugez bien que je n’ai guère pu travailler, pas même à Catilina.

Il n’y a point de vraie tragédie d’Oreste sans les cris de Clytemnestre. Si cette viande grecque est trop dure pour les estomacs des petits-maîtres de Paris, j’avoue qu’il ne faut pas d’abord la leur donner. Que Clytemnestre s’en aille, et laisse là son mari, l’urne, le meurtrier, et aille bouder chez elle, cela me paraît abominable. il y a quelques longueurs, je l’avoue, entre les sœurs ; surtout quand une Gaussin parle, il faut élaguer.

Ce malheureux lieu commun des fureurs est une tâche rude. Vous en jugerez à l’heure qu’il vous plaira. Je n’ai certainement pas donné d’étendue à la scène de l’urne ; elle est étranglée à la lecture. Il semble que tous les personnages soient hâtés d’aller ; mais vous verrez les petites corrections que j’ai faites. Nous ne pourrons revenir que vendredi.

Je vous demande en grâce de me ménager les bontés de M. le duc d’Aumont. On répète Oreste dimanche. Je veux vivre pour avoir le plaisir de venger Sophocle, mais surtout pour vous faire ma cour : car ce n’est qu’à vous que je la veux faire, et je ne suis ici qu’en retraite.