Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2101

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 140).

2101. — À M. DARGET.
À Clèves, 2 juillet 1750.

Un pauvre malade errant se recommande à vous, monsieur : Frédéric le Grand m’a ordonné de venir, et mon âme a commandé à mon corps de marcher. Je ne sais où est le roi, mais si je dois être quelque temps à Berlin, comme dans mes précédents voyages, je vous supplie de vouloir bien me faire trouver quelque logement, pour moi et pour trois personnes. Le plaisir de vous embrasser me fera oublier mes maux. Je crois que mon cher d’Arnaud sera bien étonné de me voir courir la poste, lui qui ne m’a vu qu’en robe de chambre et en bonnet de nuit. Il faut mettre cette entreprise au rang des prodiges du roi. Vous ne sauriez croire le plaisir que j’ai de faire pour lui des choses extraordinaires. Tout chétif que je suis, j’ai fait paraître chez moi, à Paris, sur mon petit théâtre, Cicéron et César. Je vais voir un homme qui les représente tous deux sur le théâtre du monde, et je vous envie le bonheur d’être toujours auprès de lui.

J’embrasse mon cher d’Arnaud, et je veux qu’il vous engage à m’aimer un peu. Puissé-je arriver immédiatement après ce billet, et vous assurer au plus tôt de tous les sentiments que vous m’avez déjà inspirés, et que vous fortifierez encore ! Je supprime pour jamais les inutiles formules, car je vous aime de tout mon cœur.

Cette lettre ne partira que le 3 ; c’est encore un jour de perdu.