Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2103

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Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 146).
2103. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].
Ce… (juillet) 1750.
Sur un grand chemin de l’évêché de Hildesheim, beau pays pour un prêtre, et digne d’appartenir à un roi hérétique.

Beau Sans-Souci, daignez attendre
Le plus malingre des humains ;
Au paradis je dois me rendre,
Mais le diable en fit les chemins.

Sire, quel chien de pays que la Westphalie et les environs de Hanovre et de Hesse ! On y fait trois milles en deux jours. J’ai été en exil quinze jours à Clèves ; j’ai la fièvre, et Votre Majesté a eu beau presser et prêcher les chevaux de la route, ainsi qu’en usaient les héros d’Homère :


Dans des jours à jamais terribles,
Quand il faut battre l’ennemi,
Vous êtes très-bien obéi
Par cent mille bras invincibles ;
Mais vos postillons, vos coursiers.
Imitent fort mal vos guerriers.
Ils n’ont pas l’humeur si docile ;
Et vous avez beau, comme Achille,
Les encourager en beaux vers :
Ils sont les seuls, dans l’univers,
Qui ne goûtent pas votre style.

J’ignore si ce petit billet doux arrivera avant moi. Mais il faut toujours écrire à sa maîtresse, dût-on porter la lettre soi-même ; à plus forte raison à Frédéric le Grand. J’assure Sa Majesté de mes vifs désirs, et lui présente mes profonds respects.

Signé à Halberstadt, en attendant que je sois assez heureux pour en partir. V.

  1. Publié dans le journal der Freymüthige, oder Berlinische Zeitung für gebildete, unbefangene Leser, publié par A. de Kotzebue ; Berlin, 1803, in-4o, page 89.