Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2211

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 259-260).

2211. — À M. DARGET.
À Berlin, ce 8 mars 1751.

Mon cher ami, je vais vous écrire en gros caractères, à cause de vos yeux. Il ne faut pas offenser la prunelle de son ami. Je vous avertis que, pour cette maladie, il ne faut que du régime, très-peu de vin, et se bassiner les yeux les matins avec de l’eau tiède. Je voudrais être déjà à Potsdam ; mes meubles ne pourront partir qu’après-demain. Je suis en marché de deux chevaux : c’est tout ce qu’il me faudra pour aller à la bibliothèque de Sans-Souci, et pour vous venir voir. J’en trouve ici à cent écus la paire ; mais je ne m’y connais pas. Si notre actif ami, l’aimable petit Vigne, veut m’en faire avoir à Potsdam, le petit enfant, plus intelligent que moi, n’a qu’à les retenir sur-le-champ, et commander harnais de campagne, mors et bride ; et à peine serai-je dans mon Marquisat que j’aurai ma cavalerie. Je suis comme une araignée qui fait sa toile dans un coin, et qui s’établit jusqu’à ce qu’un coup de balai la fasse déloger. Je bâtis un corps de logis à Cirey, et je l’abandonne tout meublé ; je monte une bonne maison à Paris, et je la quitte au bout de deux mois ; je m’établis au Marquisat, et je vais en Italie au mois de mai. Mais, mon cher ami, je pourrais bien être enterré au Marquisat. Mon affaire avec la nature va mal. J’ai pris mon parti sur tout, et je jette mon bonnet par-dessus les moulins, afin de n’avoir plus la tête si près du bonnet. Bonsoir ! je me fais un plaisir extrême de vous revoir, de vous embrasser. Songez à vos yeux. Mille compliments à M. Fredersdorff, au docteur joyeux[1], à tutti quanti.

  1. La Mettrie.