Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2222
Christine par l’esprit, Gustave par le cœur,
Régnez, embellissez, affermissez le trône ;
Le Russe en ses déserts en pâlit de terreur,
Minerve dans Berlin félicite Bellone,
Et toutes deux ont dit : Allons vers notre sœur,
Son empire est le nôtre, et c’est nous qu’on couronne.
Madame, permettez que parmi tant de voix qui applaudissent et qui souhaitent à Votre Majesté un règne heureux, la voix d’un ancien serviteur se fasse entendre.
Que ne puis-je ressembler à Descartes, qui alla se mettre aux pieds de Christine ! Souffrez qu’au moins je présente un tribut à Votre Majesté : c’est un recueil[2] qu’on s’est avisé d’imprimer à Dresde, et dont j’ai corrigé toutes les fautes à la main ; il est rempli d’additions et de changements. Il n’y a au monde que deux exemplaires ainsi corrigés, l’un pour un héros digne d’être votre frère, l’autre pour son auguste sœur. C’est par cette rareté seule que cet ouvrage mérite peut-être d’être honoré d’une place dans la bibliothèque de Votre Majesté. Si on veut admirer ce qui est rare en effet par soi-même, et ce qui est d’un prix inestimable, il faut ou aller à Stockholm ou être à Potsdam. Il y a longtemps que j’ai vu une épître charmante que l’Apollon de Prusse a faite pour la Pallas de Suède. Après un tel tribut payé par une divinité à une autre, comment un profane oserait-il parler, soit en vers, soit en prose ?
Je suis avec le plus profond respect, madame, de Votre Majesté le très-humble et très-obéissant serviteur.