Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2371

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 418-419).
2371. — À M. DE LA CONDAMINE.
À Potsdam, le 29 avril.

Eh ! morbleu, c’est dans le pourpris
Du brillant palais de la lune,
Non dans le benoît paradis,
Qu’un honnête homme fait fortune.


Du moins c’est ce que dit l’Arioste, l’un des meilleurs théologiens que nous ayons. Est-ce qu’il y avait pays au lieu de pourpris dans ma lettre[1] ? Eh hien ! il n’y a pas grand mal. Le conseiller aulique Francheville, mon éditeur, en a fait bien d’autres, et moi aussi ; mais, mon cher cosmopolite, ne me croyez pas assez ignare pour ne pas savoir où est Carthagène : j’y envoie tous les ans plus d’un vaisseau, ou du moins je suis au nombre de ceux qui y en envoient, et je vous jure qu’il vaut mieux avoir ses facteurs dans ce pays-là que d’y aller. Mais, quoique M. de Pointis eût pris Carthagène[2], en deçà de la ligne, cela n’empêche pas que nous n’ayons été fort souvent nous égorger au delà.

Je vous suis sensiblement obligé de vos remarques ; mais il y a bien plus de fautes que vous n’en avez observé. J’ai bien fait des péchés d’omission et de commission. Voilà pourquoi je voudrais que la première édition, qui n’est qu’un essai très-informe, n’entrât point en France. Jugez dans quelles erreurs sont tombés les La Martinière, les Reboulet, et les tutti quanti, puisque moi, presque témoin oculaire, je me suis trompé si souvent. Ce n’est pas au moins sur le maréchal de La Feuillade. Je tiens l’anecdote de lui-même ; mais je ne devais pas en parler. La seconde édition vaudra mieux, et surtout le Catalogue des écrivains, qui, beaucoup plus complet et beaucoup plus approfondi, pourra vous amuser. Je l’avais dicté pour grossir le second tome, qui était trop mince ; mais je le compose à présent pour le rendre utile.

Puisque vous avez commencé, mon cher La Condamine, à me faire des observations, vous voilà engagé d’honneur à continuer. Avertissez-moi de tout, je vous en supplie ; je sais fort bien qu’il n’y a point d’esclaves à la place Vendôme, et je ne sais comment on y en trouve[3] dans l’édition de mon conseiller aulique. Il y a plus d’une bévue pareille. Je vous dirai : Et ignorantias meas ne memincris[4]. Votre livre, qui vous doit faire beaucoup d’honneur, n’a pas besoin de pareils secours. Je souhaite que vous en tiriez autant d’avantage que de gloire ; je ne suis pas surpris de ce que vous me dites, et je ne suis surpris de rien. Soyez-le si je ne conserve pas toujours pour vous la plus parfaite estime et la plus tendre amitié.

  1. Lettre 2360.
  2. En 1697. Voyez le chapitre xvi du Siècle de Louis XIV.
  3. Voyez tome XIV, page 494. Mais Voltaire avait commis la même faute dans ses Anecdotes, publiées en 1748 ; voyez tome XXIII, page 241.
  4. Psaume xxiv, verset 7.