Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2464

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 523-524).

2464. — À M. LE COMTE D’ARGENSON.
À Potsdam, le 24 novembre.

Quand je revis ce que j’ai tant aimé,
Peu s’en fallut que mon feu rallumé
Ne fît l’amour en mon âme renaître,
Et que mon cœur, autrefois son captif,
Ne ressemblât l’esclave fugitif
À qui le sort fait rencontrer son maître[1], etc.


C’est ce que disait autrefois le saint évêque Saint-Gelais, en rencontrant son ancienne maîtresse ; et j’en ai dit davantage, en retrouvant vos anciennes bontés. Croyez, monseigneur, que vous n’êtes jamais sorti de mon cœur ; mais je craignais que vous ne vous souciassiez guère d’y régner, et que vous ne fussiez comme les grands souverains qui ne connaissent pas toutes leurs terres. Votre très-aimable lettre m’a donné bien des désirs, mais elle n’a pu encore me donner des forces. Je vous rate tout net en vous aimant, parce que l’esprit est prompt et la chair infirme chez moi[2]. Je suis si malingre que, voulant partir sur-le-champ, je suis obligé de remettre mon voyage au printemps. Je ne suis pas comme le président Hénault, qui disait qu’il était quelquefois fort aise de manquer son rendez-vous. Soyez sûr que j’ai une vraie passion de venir être témoin de votre gloire et du bien que vous faites.

J’ai bien peur que l’intérêt qui devrait animer ce que j’ai eu l’honneur de vous envoyer[3] ne soit étouffé sous trop de détails. Cela me fait penser qu’il ne faut pas ennuyer, par une longue lettre inutile, un homme qui en reçoit tous les jours une centaine de nécessaires, qui quelquefois aussi sont ennuyeuses.

Conservez, je vous en prie, votre bienveillance au plus ancien, au plus respectueux, au plus tendre de vos serviteurs. V.

En voulant fermer cette lettre, j’ai coupé le papier ; vous me le pardonnerez.

  1. Ces six vers composent la première stance d’une pièce de poésie de J. Bertaut, évêque de Séez, intitulée Renaissance d’amour. Voltaire les cite tome XIX, page 11.
  2. Matth., xxvi, 41 ; Marc, xiv, 38.
  3. L’ouvrage dont il est question dans la lettre 1755.