Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2467

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 527).
2467. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Sire, vous avez perdu plus que vous ne pensez ; mais Votre Majesté ne pouvait deviner que dans un gros livre[1], plein d’un fatras théologique, et où l’abbé de Prades est toujours misérablement obligé de soutenir ce qu’il ne croit pas, il se trouvât un morceau d’éloquence digne de Pascal, de Cicéron et de vous.

Lisez, je vous en supplie, sire, seulement depuis 103 jusqu’à 105, à l’endroit marqué, et jugez si on a dit jamais rien de plus fort, et si le temps n’est pas venu de porter les derniers coups à la superstition. Ce morceau m’a paru d’abord être de d’Alembert ou de Diderot, mais il est de l’abbé Yvon[2]. Jugez si j’avais tort de vouloir travailler avec lui à l’encyclopédie de la raison.

Comparez ces deux pages avec la misérable phrase d’écolier de rhétorique par où commence le Tombeau de la Sorbonne[3] : « Un vaisseau de la Sorbonne, sans voiles et sans timon, donnant contre des écueils, et fracassé sans ressource. » Cela ressemble au fameux plaidoyer fait contre les p… de Paris : « Elles allèrent dans la rue Brise-Miche chercher un abri contre les tempêtes élevées sur leurs têtes dans la rue Chapon. » Vous sentez combien il est ridicule d’appliquer à la Sorbonne ce que Cicéron disait des secousses de la république romaine.

Il y a des choses que je fais, il y a des choses sur lesquelles je donne conseil, d’autres où j’insère quelques pages, d’autres que je ne fais point. Mais ce qui m’appartient uniquement, c’est mon érysipèle, mon amour pour la vérité, mon admiration pour votre génie, et mon attachement à la personne de Votre Majesté.

  1. Il est ici question de l’Apologie de l’abbé de Prades, page 103, deuxième partie. Amsterdam, 1752, in-8°. (Note de M. Boissonade.)
  2. L’abbé Yvon, né vers 1720, est mort vers 1784 ; voyez tome XVII, page 135.
  3. Cette phrase prouverait que Voltaire n’est point l’auteur du Tombeau de la Sorbonne, inséré dans les Mélanges, si un désaveu était une preuve, et s’il n’avait pas ainsi désavoué tous les ouvrages qui pouvaient le compromettre, et qui sont bien réellement de lui. (Note de l’édition en 42 vol. in-8°.)