Correspondance de Voltaire/1752/Lettre 2474

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Correspondance de Voltaire/1752
Correspondance : année 1752, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 532).
2474. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].
Potsdam, 27 novembre 1752.

« Je promets à Sa Majesté que, tant qu’elle me fera la grâce de me loger au chatau, je n’écrirai contre personne, soit contre le gouvernement de France, contre les ministres, soit contre d’autres souverains, ou contre des gens de lettre illustre, envers lesquels on me trouvera rendre les égards qui leur sont dus. Je n’abuserai point des lettres de Sa Majesté, et je me gouvernerai d’une manière convenable à un hôme de lettre qui a l’honneur d’être chambelan de Sa Majesté, et qui vit avec des honetes gens[2]. »

J’exécuterai, sire, tous les ordres de Votre Majesté, et mon cœur n’aura pas de peine à lui obéir. Je la supplie encore une fois de considérer que jamais je n’ai écrit contre aucun gouvernement, encore moins contre celui sous lequel je suis né, et que je n’ai quitté que pour venir achever ma vie à vos pieds. J’ai été historiographe de France, et, en cette qualité, j’ai écrit l’histoire de Louis XIV et celle des campagnes de Louis XV, que j’ai envoyées à M. d’Argenson. Ma voix et ma plume ont été consacrées à ma patrie, comme elles le sont à vos ordres. Je vous conjure d’avoir la bonté d’examiner quel est le fond de la querelle de Maupertuis. Je vous conjure de croire que j’oublie cette querelle, puisque vous me l’ordonnez. Je me soumets sans doute à toutes vos volontés. Si Votre Majesté m’avait ordonné de ne me point défendre et de ne point entrer dans cette dispute littéraire, je lui aurais obéi avec la même soumission. Je la supplie d’épargner un vieillard accablé de maladies et de douleur, et de croire que je mourrai aussi attaché à elle que le jour que je suis arrivé à sa cour.

  1. Œuvres de Frédéric le Grand, publiées sous la direction de M.J.-D.-E. Preuss, tome XXII, page 302. Berlin, 1853.
  2. Ce qui précède était écrit de la main de Frédéric, et fut envoyé à Voltaire pour qu’il le signât. La fin de la lettre fut écrite par Voltaire sur la même feuille. (Note de l’édition Preuss.)