Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2558

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 26-27).

2258. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Vabern, près de Cassel, le 28 mai.

Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte et vous adore.
Ô destin, ô dieux, que j’implore,
Quels seront pour moi désormais
Les jours que vous ferez éclore ?
Dieux ! le plus cher de mes projets
Est de pouvoir lui dire encore :

Je suis comme tous vos sujets,
Je vous respecte et vous adore.


Madame, ma figure souffrante et ambulante est à Vabern, près de Cassel, chez monseigneur le landgrave, et mon âme est à Gotha : elle est à vos pieds ; elle y sera tant que je respirerai. J’ai bien peur que Vos Altesses sérénissimes ne m’aient rendu malheureux pour le reste de ma vie ; je leur pardonne de tout mon cœur. Ce n’est pas mauvaise intention de leur part ; mais, en vérité, elles devaient songer, en me comblant de tant de bontés, en me faisant mener une vie si délicieuse, qu’elles me préparaient d’éternels regrets.

Où pourrais-je vivre dorénavant, madame, après avoir passé un mois entier à vos pieds ? Croyez-vous qu’en quittant votre palais, le séjour de Plombières me sera bien agréable ? Ce serait des eaux du Léthé qu’il me faudrait. Je prévois, madame, que je n’aurai autre chose à faire qu’à revenir faire ma cour à Vos Altesses sérénissimes. J’ai été dans le temple des grâces, de la raison, de l’esprit, de la bienfaisance et de la paix ; je retournerai dans ce temple ; il n’y aura pas moyen d’aller vivre avec des profanes.

Je me mets aux pieds de monseigneur le duc, et de toute votre auguste famille. Quand pourrai-je revoir ce que j’ai vu, et entendre encore ce que j’ai entendu ? Je pars pour Plombières cependant, madame ; j’obéis aux deux plus terribles médecins que je connaisse, et j’aurai l’honneur de renouveler à Vos Altesses sérénissimes les témoignages d’un respect, d’un attachement et d’une reconnaissance qui ne finiront qu’avec la vie de V. à qui le papier manque.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François (Supplément).