Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2578

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 53-54).

2578. — DE FRÉDÉRIC[1]
prince héréditaire de hesse-cassel.
Cassel le 16 juin.

Monsieur, je suis charmé que vous soyez content du peu de séjour que vous avez fait à notre cour[2]. Vous ne devez qu’à vous-même les politesses qu’on vous y a faites. J’aurais été dans la joie si j’avais pu contribuer à vous rendre les jours que vous avez passés avec nous agréables, pour tâcher de vous témoigner par là mes sentiments, qui ne varieront jamais à votre égard. Votre indisposition m’inquiète d’autant plus que je vous crois très-mal logé au Lion-d’Or. J’espère d’apprendre bientôt que vous vous portez mieux, et que vous aurez continué votre route. Toutefois il ne paraît pas à la lettre[3] que vous m’avez écrite que vous soyez malade ; et il faut être sain pour écrire des lettres aussi énergiques et aussi dégagées d’un fatras d’expressions inutiles. Je suis charmé que vous soyez content de nos salines[4] ; elles coûtent beaucoup, cependant les revenus en sont assez considérables. Le grand défaut qu’elles ont, selon moi, c’est que les bâtiments sont trop près les uns des autres, et, par conséquent, sujets à être mis en cendres au moindre feu : ce qui serait une perte irréparable.

J’ai lu, ces jours passés, dans M. l’abbé Nollet, que la mer n’était salée que parce qu’elle dissout des mines de sel qui se rencontrent dans son lit comme il s’en trouve dans les autres parties de la terre. Je vous prie de m’en dire votre sentiment. Je suis persuadé comme vous qu’on ne change jamais un métal en un autre. Je n’avais aussi jamais entendu parler de cet homme qui veut changer le plomb on étain. Nous mettrons cette découverte dans le mêm rang que ces mines d’arier qu’on croit avoir trouvées dans ce pays ; l’acier n’étant autre chose qu’un fer rougi et trempé, par conséquent ne pouvant se trouver naturellement dans la terre. Cela saute, selon moi, aux yeux.

Vous avez raison de dire que je suis au-dessus des étiquettes et des formules ; je ne les ai jamais aimées, et les aimerai encore bien moins que jamais avec des personnes comme vous, dont je serai toujours charmé de cultiver l’amitié, et que je voudrais convaincre de plus en plus de l’estime la plus parfaite et de la considération la plus distinguée.


Fédéric.

P. S. Mon père m’a chargé de vous faire ses compliments.

  1. Ce prince, né le 14 auguste 1720, eut pour gouverneur J.-P. de Crousaz. Il succéda à son père (Guillaume VIII, landgrave de Hesse-Cassel), à la fin de janvier 1760, sous le nom de Frédéric II, et mourut le 31 octobre 1785 ; il était gendre de George II, roi d’Angleterre, et par conséquent cousin germain du roi de Prusse par alliance.
  2. À Wabern, près de Cassel.
  3. Elle n’a pas été retrouvée.
  4. Celles de Friedberg.