Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2632

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 108-109).

2632. — À GUILLAUME VIII. LANDGRAVE DE HESSE-CASSEL[1].
À Schwetzingen, près de Manheim, le 4 août.

Monseigneur, Votre Altesse sérénissime m’a recommandé de lui apprendre la suite de l’aventure odieuse de Francfort. Le roi de Prusse l’a fait désavouer par son envoyé en France. Cependant le brigandage exercé par Freytag, qui se dit ministre du roi de Prusse à Francfort, n’a pas encore été réparé ; les effets volés n’ont point été restitués, et on n’a point rendu encore l’argent qu’on avait pris dans nos poches. Il ne faut point de formalités pour voler, et il en faut pour restituer. Il y a grande apparence que le conseil de la ville de Francfort ne voudra pas se couvrir d’opprobre ; et on doit espérer que le roi de Prusse fera justice du malheureux qui, pour se faire valoir, d’un côté, auprès de son maître, et, de l’autre, pour dépouiller des étrangers, a commis des violences si atroces. Il aurait peut-être fallu être sur les lieux pour obtenir une justice plus prompte. Voilà en partie pourquoi j’avais eu dessein de passer quelques semaines à Hanau ; mais ma santé et les bontés[2] de ma cour m’ont rappelé en France ; et je compte y retourner après avoir profité quelque temps des agréments de la cour de Manheim, dont je jouis, sans oublier ceux de la vôtre. Je serai pénétré toute ma vie, monseigneur, des bontés dont Votre Altesse sérénissime m’a honoré depuis que j’ai eu l’honneur de lui faire ma cour à Paris. Si j’étais plus jeune, je me flatterais de pouvoir encore venir me mettre à ses pieds ; mais, si je n’ai pas cette consolation, j’aurai du moins celle de penser que vous me conservez votre bienveillance, et je serai attaché à Votre Altesse sérénissime jusqu’au dernier moment de ma vie, avec le plus profond respect et le plus tendre dévouement.

  1. Guillaume, né le 10 mars 1682, landgrave de Hesse-Cassel depuis le mois d’avril 1751, sous le nom de Guillaume VIII, mort le 29 janvier 1760. — Voltaire, avant de faire son troisième et dernier voyage en Prusse, avait connu ce prince, à la cour duquel il alla passer trois ou quatre jours, du 26 au 30 mai 1753, à sa sortie de Gotha. (Cl.)
  2. Cette cour était confessée par des jésuites, et l’on verra plus tard quelles furent ses bontés pour Voltaire. (Cl.)