Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2701

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 176-177).

2701. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Colmar, 27 février 1754.

Madame, je ne suis qu’un vieux étourdi ; je me suis trop fié à ma mémoire, et, dans cette vie, il ne faut se fier qu’à Votre Altesse sérénissime.


Lothaire le Saxon en vingt-cinq couronné[2]


voilà ce qu’il fallait mettre, conformément au corps de l’ouvrage. Ce sera la matière d’un petit errata.

Je compte incessamment avoir l’honneur de vous envoyer le second tome.

Dieu me garde de traiter l’histoire de Charles VI[3] et de marcher sur des cendres si chaudes, qui sont encore remplies de charbons ardents ! J’en ai fait une histoire particulière, sur les lettres originales de tous les ministres ; mais cela n’est destiné qu’à l’arrière-cabinet de Votre Altesse sérénissime.

Sa dernière lettre pénètre mon cœur et le déchire. Sera-t-il possible que ma mauvaise santé me porte ailleurs, quand toute mon âme est dans le château d’Ernest le Pieux ? Mon corps est entre les mains de la nature, et un peu dans celles du gouvernement de France ; mais mon cœur n’appartient qu’à Gotha. Que j’ai mal fait, madame, de quitter cet asile de la vertu, de la générosité, de l’esprit, de la paix, des agréments !

Figurez-vous, madame, qu’un gros jésuite qui gouverne despotiquement le Palatinat me reproche les vérités que la loi de l’histoire m’a forcé de dire sur les papes. Un autre jésuite, qui gouverne le diocèse de Porentruy, où je suis, me poursuit pour la même cause. Ah ! madame, que Frédéric de Saxe, votre ancêtre, avait raison de combattre pour exterminer cette engeance ! Les moines sont nés persécuteurs, comme les tigres sont nés avec des griffes. Le clergé était institué pour prier Dieu, et non pour être tyran. Il est vrai que le fanatisme a fait plus de mal à votre maison qu’à moi, et que j’aurais tort de me plaindre. Je ne me plains que de ma destinée, qui m’empêche de venir moi-même mettre à vos pieds le second tome de ces Annales.

J’espère encore quelque chose du printemps, à moins que quelque descendant de Sergius III et de Marozie ne vienne m’excommunier et me poignarder ; mais le portrait de Votre Altesse sérénissime le fera fuir, comme chez nous l’eau bénite chasse les diables.

J’ai eu l’honneur de lui mander que j’avais retrouvé une copie de cet Essai sur l’Histoire universelle. À quoi bon toutes ces histoires tristes ? J’aime mieux celle de Jeanne ; mais je suis honteux de parler de Jeanne avec mes cheveux gris. Je ne connais plus qu’un sentiment, celui du plus profond respect, de l’attachement, de la tendre reconnaissance, qui me mettent aux pieds de Votre Altesse sérénissime.

  1. Éditeurs, Bavoux et François. — Cette lettre a été publiée en 1842, par M. Stanford, dans un ouvrage intitulé Rambles and Researches in Thuringian Saxony.
  2. Vers technique des Annales.
  3. Mort en 1740.