Correspondance de Voltaire/1754/Lettre 2835

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Correspondance de Voltaire/1754
Correspondance : année 1754GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 306-307).

2835. — À M. DUPONT,
avocat.
À Prangins, par Nyon, pays de Vaud. 20 décembre.

Vous êtes aussi essentiel qu’aimable, mon cher ami ; je vous parlerai d’affaires aujourd’hui. J’ai laissé cinq caisses entre les mains de Turckeim de Colmar, frère de Turckeim de Strasbourg. Je lui ai mandé, il y a un mois, de les faire partir, et je n’ai point eu de ses nouvelles. C’est l’affaire des messagers, me dira-t-on ; ce n’est pas celle d’un avocat éloquent et philosophe : j’en conviens, mais ce sera celle d’un ami. Je vous demande en grâce de parler ou de faire parler à ce Turckeim. Ces caisses contiennent les livres et les habits de Mme  Denis et les miens, et nous ne pouvons nous passer ni d’habits ni de livres. Nous sommes venus passer l’hiver dans un beau château, où il n’y a rien de tout cela, et nous comptions trouver nos caisses à notre arrivée. J’ai donné au sieur Turckeim les instructions nécessaires ; je n’ai pas même oublié de lui recommander de payer les droits, en cas qu’on en doive, pour dix-huit livres de café qui sont dans une des caisses. Je l’ai prié de se munir d’une recommandation de M. Hermani pour le bureau qui est près de Bâle. Je n’ai rien négligé, et je n’en suis pas plus avancé. Il semble que mes ballots soient à la Chine, et Turckeim aussi ; mais vous êtes à Colmar, et j’espère en vous. J’ai écrit deux fois, en dernier lieu, à ce Turckeim, par Mme  Goll ; mais, pendant ce temps-là, elle était occupée du départ de son cher mari pour l’autre monde, et elle aura pu fort bien oublier de faire rendre mes lettres. Je m’imagine qu’elle ira pleurer son cher Goll à Lausanne, et que Mme de Klinglin n’aura plus de rviale à Colmar.

Je n’ai point encore vu M. de Brenles ; mais il viendra bientôt, je crois, nous voir dans notre belle retraite. Nous nous entretiendrons de vous et du révérend Père Kroust[1], pour peu que M. de Brenles aime les contrastes. Je resterai ici jusqu’à la saison des eaux. Je n’ai pas trouvé dans le pays de Vaud le brillant et le fracas de Lyon, mais j’y ai trouvé les mêmes bontés. Les deux seigneurs de la régence de Berne m’ont fait tout deux l’honneur de m’écrire, et de m’assurer de la bienveillance du gouvernement. Il ne me manque que mes caisses. Permettez donc que je vous envoie le billet de dépôt dudit Turckeim ; le voici. Je lui écris encore. Je me recommande à vos bontés.

Notez bien qu’il doit envoyer ces cinq caisses par Bâle, à M. de Ribaupierre, avocat à Nyon, pays de Vaud. J’aimerais mieux vous parler de Cicéron et de Virgile, mais les caisses l’emportent. Adieu : je vous demande pardon, et je vous embrasse. V.

  1. Celui de Colmar, dont il est question tome XIX, page 500 ; XXI, 167 ; XXIV, 105.