Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2918

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 378-379).

2918. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 23 mai[1].

Il faut casser mes magots de la Chine, ma chère enfant ; l’infidélité qu’on m’a faite sur cette ancienne plaisanterie de la Pucelle d’Orléans empoisonne la fin de mes jours. On m’a envoyé quelques morceaux de cet ouvrage ; tout est défiguré, tout est plein de sottises atroces. Il n’y a ni rime, ni raison, ni bienséance. Cependant on m’imputera cette indigne rapsodie, et il m’arrivera la même chose que dans l’aventure de l’Histoire générale ; on imprimera ce que je n’ai pas fait, à la faveur de ce que j’ai fait. Le contraste de cet ouvrage avec mon âge et avec mes travaux me fait sentir la plus vive douleur. Je suis très-incapable de songer à une tragédie ; il faut la liberté d’esprit, et ce dernier coup m’étourdit. Si, par hasard, vous savez quelques nouvelles, si vous pouvez voir Darget et m’instruire, vous me ferez grand plaisir. J’aimerais mieux vous voir ici ; vous feriez ma consolation avec votre sœur. Comment vont les bénéfices de votre frère ? Si Jeanne d’Arc avait fondé quelque bon prieuré, il serait juste qu’il le desservît : je lui souhaite des pucelles et des abbayes.

  1. La lettre que nous donnons ici comme entière n’est qu’un fragment d’une autre lettre qui, après avoir toujours figuré à cette place, avait été rejetée par M. Beuchot au 23 août. Or, M. Beuchot s’est trompé, non moins que ses devanciers. Il n’a pas vu que le commencement de la lettre suspectée est bien du 23 mai 1755, mais que la fin lui est étrangère et appartient à une lettre du 13 août. Si, maintenant, on détache d’une lettre du 2 juillet les deux derniers alinéas qui sont postérieurs à cette date, et si on reporte ces fragments au 23 août à titre de lettre entière, on aura, je crois, remis quelque ordre dans cette partie de la Correspondance. (G. A.)